Fred Pellerin roule un six avec Un village en trois dés
Je ne suis pas un grand rieur. Ça m’en prend beaucoup. La semaine dernière, je pense que j’ai ri pour l’année. Il y a d’abord eu Louis-José Houde, dont je vous ai déjà parlé, et le lendemain, Fred Pellerin. J’ai gardé pour cette semaine mon texte sur cette première montréalaise au Théâtre Maisonneuve. Il faut bien savoir étirer le plaisir! En plus, le sixième spectacle du «conteux» de Saint-Élie-de-Caxton, Un village en trois dés, est parti en tournée pour au moins trois ans. On n’a pas fini d’en entendre parler. Surveillez-le de par chez-vous, c’est du Fred Pellerin à son meilleur!
Je vous le dis tout de suite, ce spectacle «en trois dés» se regarde sans lunettes spéciales; c’est dans ce qu’il y a à entendre qu’on trouve de la dimension, du grand, du surnaturel. Fred Pellerin le dit lui-même: «À l’ère de la réalité augmentée, des écrans géants, de la haute définition et de l’expérience immersive, j’ai pris la haute résolution de m’en tenir à la légende.»
L’année 0 de la légende
Toussaint Brodeur, Mme Gélinas, Ésimésac, Lurette, Méo, Babine, on en connait déjà un bout sur ces personnages qui peuplent Saint-Élie-de-Caxton. Cette fois-ci, Fred Pellerin se met en frais de faire grandir la légende en nous racontant l’histoire de la fondation de ce chef-lieu tricoté serré, né sur un coup de dé.
Pour écrire son spectacle, Fred Pellerin est allé consulter les archives de sa communauté, sur lesquelles veille Odette Villemure, la secrétaire-réceptionniste de la municipalité. Dans une de ses nombreuses digressions, il nous donne même son numéro de téléphone pour qu’on l’appelle, histoire de rire un peu. Sans doute aussi pour contribuer à faire de cette femme un nouveau personnage au village.
Comme Fred est un conteur et non un conférencier (même s’il nous dit le contraire en boutade dans une autre de ses nombreuses parenthèses), on ne sera pas surpris lorsqu’il nous révèle qu’il manque trois pages à l’histoire de la fondation de Saint-Élie. Et à qui faudra-t-il se fier pour savoir ce qui s’est vraiment passé autour du 12 avril 1865, date officielle de l’érection canonique de Saint-Élie-de-Caxton? Sa grand-mère, comme de bien entendu!
Ça ouvre donc la porte, encore une fois, sur un monde toujours aussi délirant et décoiffé. On fait la connaissance d’Éli, le «curé neuf» qui peine à partager sa rigueur religieuse avec ses ouailles. Il y a la postière Alice, surnommée Aliche pour son talent à cacheter des enveloppes qui font parler les morts, au grand dam du curé. Il y a aussi le gros Charles, un quêteux fascinateur, habile à faire croire toutes sortes d’affaires à n’importe qui, sauf au curé.
Il était une fois la foi
Vous aurez compris que Fred Pellerin nous parle de foi, avec un faible pour ce qu’il appelle la foi horizontale, celle qui permet de croire en quelque chose : le hasard, l’avenir, ou encore mieux, en sa communauté, comme le suggère le récit final qui tourne autour d’une enfant-aux-cheveux-blancs-tout-en-statique dont chaque citoyen du village s’occupera en attendant le retour de sa mère partie vendre ses 101 vaches!
Avec Pellerin, il y a beaucoup de détails, de détours et de rires. Il y a aussi des chansons empruntées entre autres à Gilles Vigneault, Jacques Michel, Martin Léon. Tout cela nous conduit vers une sorte d’épiphanie païenne dont lui seul a le secret. On sort de son spectacle avec l’intime conviction qu’en mettant ensemble la diversité de nos personnalités et convictions, on peut faire de grandes choses.
Maîtrise de l’écriture, efficacité scénique, connexion avec le public, sagesse bienveillante: à 40 ans (même âge que Louis-José Houde), Fred Pellerin roule un six avec ce Village en trois dés. Et devant ce tour de «prestidigiconteur», c’est le public qui est gagnant sur toute la ligne.