La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

À moi l’Afrique!

Après le beau voyage guidé au Sénégal proposé par ma collègue Marie-Julie Gagnon il y a quelques jours, je vous invite à mon tour en Afrique par le biais du cinéma. C’est en effet cette semaine que commence la 38e édition du Festival international de cinéma Vues d’Afrique.



Du 26 mars au 10 avril, pas moins de 118 titres de 44 pays seront offerts en ligne et en salle, la majorité (72%) produits en 2021. Voilà une belle occasion d’aller prendre le pouls de ce continent immense, jeune et très francophone, faisant face à une multitude de défis.

Inspiré par la Journée internationale de la Francophonie (20 mars) et la Journée mondiale de l’eau (22 mars), qui avaient lieu cette semaine, je vous emmène d’abord au Niger, le pays qui a vu naître, en 1970, l’Organisation internationale de la Francophonie, et qui subit aujourd’hui les contrecoups dramatiques des changements climatiques.

Marcher sur l’eau

Le documentaire Marcher sur l’eau nous fait vivre la réalité de Houlaye, 12 ans, qui doit composer avec l’absence d’eau dans son village de Tatiste. La jeune fille doit marcher des kilomètres pour aller cueillir la ration quotidienne d’eau de sa famille dans un puits si profond qu’il faut des ânes pour remonter le précieux liquide à la surface. Et ce n’est pas tout, pendant les longues absences du père et de la mère, des nomades de l’ethnie peule, l’aînée de la famille doit s’occuper de ses petits frères et sœurs.

Ce film est une magistrale leçon de ténacité de la part d’une enfant privée de son enfance, mais aussi d’une population pas très gâtée par la nature. Le portrait n’est par contre pas totalement dépourvu d’espoir. Il faut voir la grande volonté d’apprendre des enfants. Ils ont pour maître l’équivalent d’une Émilie Bordeleau.

Dans sa petite classe ouverte aux grands vents, le professeur enseigne avec un enthousiasme contagieux le français, les mathématiques et l’écologie, en leur parlant, entre autres, de la nappe phréatique comme d’une planche de salut. D’où le titre Marcher sur l’eau.

Ce film est une réalisation d’Aïssa Maïga, une actrice qu’on a pu voir dans Les poupées russes (2005) de Cédric Klapisch et dans Bamako (2006) d’Abderrahmane Sissako. Aïssa Maïga agit cette année comme marraine du festival Vues d’Afrique. Mentionnons que 30% des films présentés à cette édition sont réalisés par des femmes.

Marcher sur l’eau sera présenté à la Cinémathèque québécoise le 8 avril.

Twist à Bamako

Du Niger, déplaçons-nous maintenant vers l’ouest, dans le pays voisin, le Mali. Avec le film Twist à Bamako, on fait aussi un saut dans le temps puisque l’action se passe en 1962, tout de suite après la décolonisation. À l’époque, le Mali ne fait pas que se débarrasser des Français, le pays adopte aussi le système socialiste. On y voit donc comment un jeune militant, Samba, navigue entre ses convictions égalitaristes et la réalité d’un pays attaché à ses traditions.

C’est Robert Guédiguian qui est derrière cette fiction basée sur des faits historiques. Guédiguian est ce réalisateur de gauche qui nous a donné plusieurs films campés dans sa ville natale de Marseille (Marius et Jeannette [1997], Les neiges du Kilimandjaro [2011], Au fil d’Ariane [2014], La villa [2017], Gloria Mundi [2019]). Ici, il veut nous montrer qu’on peut croire à la justice sociale le jour, et danser le twist lorsque la nuit tombe. Mais son personnage principal ne l’aura pas facile: son père est contre les réformes, des camarades le dénoncent, la famille de la fille qu’il aime éperdument se met en travers de son chemin.

Twist à Bamako ne manque pas de rythme et de rebondissements. Les comédiens sont bien dirigés, la musique est un personnage en soi et la reconstitution est particulièrement réussie.

Des raisons de sécurité ont empêché que le tournage se fasse au Mali. La production s’est plutôt repliée sur le Sénégal, qui possède une géographie semblable. D’ailleurs, en regardant le film, j’ai eu l’impression de voir s’animer les photos du reportage de Marie-Julie Gagnon.

Twist à Bamako fait partie des sept longs métrages présentés en compétition officielle. Le film sera projeté le 2 avril à la Cinémathèque québécoise. Il prendra l’affiche en salle à travers le Québec le 8 avril.

Zinder

En compétition dans la catégorie documentaire, j’ai vu Zinder, un film qui s’intéresse à la faune d’un quartier extrêmement dur de Zinder, deuxième ville en importance du Niger. Pauvre, analphabète, sans emploi, la population, qui habite Kara Kara, autrefois le quartier des lépreux, est stigmatisée. La seule porte de sortie passe par la loi du plus fort, qui bien sûr fait la vie dure aux femmes. Je dois avouer que j’ai failli abandonner en cours de visionnement devant la description des exactions commises. Mais il y a rédemption chez les personnages que la réalisatrice Aïcha Macky, elle-même native de Zinder, a choisi de suivre.

Siniya Boy lâche son poing américain et ses machettes pour aller casser des pierres, un job très physique qui lui permet de payer les factures qui viennent avec la grossesse de sa fiancée. Pour Bawo, c’est le programme de réhabilitation d’une ONG qui lui permet finalement de devenir chauffeur de tuk-tuk. Le destin de Ramsess, hermaphrodite qui trafique de l’essence, apparaît moins glorieux lorsque le petit commerce illicite qui fait vivre sa famille prend fin le jour où elle se fait prendre par les douaniers.

Les images de Julien Bossé sont hallucinantes. Elles nous permettent d’être aux premières loges d’un monde qui existe, qu’il faut voir dans son dénuement et sa criante envie de vivre, mais qu’on n’aurait peut-être pas l’audace d’approcher.

Zinder sera présenté en première canadienne le 6 avril à la Cinémathèque québécoise, avec sous-titres français.

Haut et fort

Les projections en salle commenceront le 1er avril avec Haut et fort, le plus récent film de Nabil Ayouch. Le réalisateur marocain met en scène des jeunes de Casablanca, particulièrement des filles, épris de rap dans un pays réfractaire à la liberté véhiculée par le hip-hop.

Cette projection sera l’occasion de souligner le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre le Canada et le Maroc.

La programmation de Vues d’Afrique est aussi très riche en courts-métrages, films d’animation et séries télé. 

Vues d’Afrique en ligne

Un mot en terminant sur le volet en ligne du festival. Du 26 au 31 mars, les sites web de Vues d’Afrique et de TV5-Unis offrent le visionnement gratuit de 11 films réalisés entre 2006 et 2019. Du nombre, mentionnons Bamako d’Abderrahmane Sissako, Les chevaux de Dieu du réalisateur marocain Nabil Ayouch, et Le jour se lève de la documentariste haïtienne Gessica Généus, car Vues d’Afrique offre aussi une place au cinéma créole.

Douvan jou ka leve (Le jour se lève)

Ce documentaire autobiographique essaie de comprendre la «maladie de l’âme» qui ronge le peuple haïtien. C’est la paranoïa maladive de sa mère, et d’autres membres de sa famille, qui a incité Gessica Généus à s’interroger sur le rapport que les Haïtiens ont avec les religions catholique et protestante et le vaudou, autant d’échappatoires pour éviter de faire face à la réalité. Le film, qui comporte des scènes très troublantes tournées dans des églises, de grands rassemblements religieux et un asile, ouvre la porte à une exploration de la maladie mentale dans un pays qui a tendance à démoniser ceux qui en sont atteints. Une facette rarement montrée d’Haïti.

Douvan jou ka leve est offert en version créole avec sous-titres français.

Le premier Africain à recevoir le Nobel d’architecture

Voilà pour mon tour d’Afrique, je passe le relais à ma collègue Emilie Laperrière, qui vous parlera la semaine prochaine d’une nouvelle qui a fait la fierté des Africains: la remise du Pritzker d’architecture, qu’on appelle aussi le Nobel d’architecture, au Burkinabé Diébédo Francis Kéré. Il est le premier africain à recevoir ce prestigieux honneur qu’ont obtenu avant lui des sommités de l’architecture comme Frank Gehry, I.M.Pei, Zaha Hadid et Jean Nouvel.

Kéré a commencé sa carrière en faisant des écoles adaptées au climat africain avec des matériaux locaux dont des briques fabriquées à même le sable. Dans deux des films dont je vous ai parlé (Twist à Bamako et Marcher sur l’eau), on voit cette technique artisanale de fabrication de briques.