Faut qu’y en ait une qui le fasse: Diane Dufresne à l’Arsenal!
Deux ans après Pink Floyd à l’Arsenal, il faut retourner à ce centre d’art contemporain de Griffintown pour une tout aussi imposante exposition, entièrement créée ici, et consacrée cette fois à une des plus grandes artistes de chez nous, Diane Dufresne. L’exposition immersive Diane Dufresne. Aujourd’hui, hier et pour toujours est monumentale, à la hauteur de sa légende.
Derrière ce projet colossal, il y a la société québécoise Tandem de Paul Dupont-Hébert, celui qui nous a déjà amené, au même endroit, les projections géantes des œuvres des peintres Van Gogh et Dali.
Riche de cette expérience, Tandem a permis à l’artiste multidisciplinaire Richard Langevin de réaliser un vieux rêve de faire cohabiter en un seul lieu les multiples talents de Diane Dufresne, sa conjointe depuis bientôt 30 ans.
Voilà donc une exposition qui célèbre la chanteuse-interprète, la bête de scène, la conceptrice de spectacles, l’auteure, la peintre, la sculptrice. Dans cette offrande, le public, qui est toujours au centre de toutes les préoccupations de Diane Dufresne, en a plein les yeux. Pendant des heures, s’il s’attarde à tout ce qu’on lui propose, y compris une entrevue inédite d’une trentaine de minutes accordée à son ami, le journaliste André Ducharme.
Ça commence fort: pour accéder à l’immense espace de 15 000 pieds carrés d’exposition, le visiteur doit traverser un rideau de velours rouge qui est en fait, si on regarde bien au-dessus de notre tête, la spectaculaire Robe théâtre que Michel Robidas avait confectionnée pour le spectacle Top secret en 1986. Quelle entrée!
On se retrouve ensuite aspirés dans un vortex musical et visuel de 35 minutes au cours desquelles on revit l’étincelante carrière de cette artiste à la voix unique, à l’excentricité inégalée, à l’image toujours renouvelée.
Dans ce cyclorama techno, 14 projecteurs bombardent les écrans géants d’images qui nous font revivre les grands shows de Diane Dufresne: Sur mon 36, Magie rose, Top secret, Kamikaze, Couleurs symphoniques, etc.
Le casque d’écoute vissé sur la tête, on apprécie alors l’impressionnante puissance et justesse de la voix de Diane Dufresne au fil des ans. Quel que soit le contexte où elle chante: au Stade olympique, en traînant une robe chargée d’instruments de musique, en bottes de sept lieues, derrière un masque japonais ou cachée sous une burqa.
Les extraits sont généreux, assez longs pour me tirer les larmes quand elle chante avec tant d’intensité Je voulais te dire que je t’attends de Michel Jonasz.
On sort de ce tableau déjà conquis, mais on réalise qu’on n’a encore rien vu. Ces fameux costumes qui viennent de nous émerveiller dans le montage vidéo sont tous exposés pour le plaisir de nos yeux et de nos souvenirs.
Contrairement à Piaf et Gréco qui ont fait leur carrière en robes noires, Diane Dufresne a fait de ses costumes de scène une extension de son personnage, une manifestation de l’exubérance que ses fans attendaient d’elle.
On peut donc admirer de près une trentaine de tenues. Certaines sont suspendues à un carrousel qui tourne, comme au parc Belmont! Elles brillent comme des trophées, et portent la signature d’Azzaro, Mario Di Nardo, Georges Lévesque, Marie Saint Pierre, Michel Robidas, Mario Davignon.
Ce dernier, qui a longtemps travaillé avec Diane Dufresne, me faisait remarquer combien, en près de 60 ans de carrière, elle n’a jamais cessé de se renouveler. En effet, aucune tenue ne ressemble à une autre.
Dire que tous ces costumes ont failli disparaître en 1994 lors d’un incendie dans l’appartement de Diane Dufresne!
J’avoue ici que j’ai eu le privilège, avec mes collègues journalistes culturels, de faire la visite avec Diane Dufresne et Richard Langevin comme guides. Un traitement VIP auquel a aussi eu droit Gilles Vigneault le lendemain de la visite de presse.
À propos de l’incendie de son appartement, Diane Dufresne nous a dit que le sauvetage de ses costumes de scène par les pompiers de Montréal lui a alors fait réaliser l’importance de mieux conserver ce patrimoine qui a tant à raconter.
Tiens!, à propos de ce costume serti de ses initiales, porté lors d’une spéciale à la télé, elle raconte qu’il lui avait valu des reproches de la part de la chroniqueuse Louise Cousineau, qui trouvait qu’elle abusait du DD.
Des critiques, Diane Dufresne en a encaissé toute sa vie.
On a dit qu’elle criait trop. «J’ai crié pour ceux qui ne pouvaient pas le faire.»
On lui a reproché ses accoutrements. Elle a persisté à donner du rêve.
«Mon public m’a beaucoup défendue.»
Cela a permis à l’artiste de poursuivre son chemin. C’était avant les médias sociaux.
Pour autant, ne rangez pas la chanteuse, qui aura 80 ans à la fin du mois, dans le clan des nostalgiques. Pour elle, l’idée de cette exposition est plus pour faire plaisir à son public (toujours lui) qu’une manière de valoriser son passé.
N’empêche, elle s’est beaucoup impliquée dans la fabrication de ce récit visuel de sa vie, consentant même à dévoiler des artéfacts jamais vus, notamment des photos d’elle jeune avec ses parents, et son missel, qu’elle a toujours gardé.
«Je n’ai jamais eu de problème avec la religion. J’aimais les religieuses, leurs soutanes et leurs cornettes. Toutes mes robes longues et coiffes exposées sont là pour le prouver.»
Clou de l’étalage de ses archives personnelles: les journaux de bord de ses spectacles. On apprend en effet que Diane Dufresne notait dans des cahiers, d’une main d’écriture tout ce qu’il y a de plus lisible, chaque détail du déroulement de ses spectacles. On réalise alors que rien n’était laissé au hasard dans ses grands happenings.
Pourquoi n’a-t-elle jamais revendiqué la mise en scène de ses spectacles?
«Je voulais laisser au public l’impression qu’il pouvait s’approprier le déroulement de l’événement.»
Pour l’archiviste André Ruel, ce corpus de cahiers de production est la chose la plus inédite de cette exposition. Quand ce collectionneur émérite de tout ce qui concerne Diane Dufresne a vu ça, il en a eu la chair de poule.
Aujourd’hui à la retraite de la bijouterie Birks, cet étalagiste a mis son expertise au service de l’équipe de Richard Langevin. Les cabinets de curiosités qu’il a créés et remplis d’objets de sa propre collection sont fascinants à scruter.
Les amateurs de pochettes de disques, d’affiches de spectacles, de clippings de journaux, de lignes du temps sont servis. La vedette est radioscopée sous toutes ses coutures.
Le Aujourd’hui du titre de l’exposition concerne principalement le travail de l’artiste visuelle que Diane Dufresne est devenue au contact du frère Jérôme. Ce prêtre qui enseignait la peinture, contemporain de Borduas, n’a pas signé le Refus global, mais il était un fervent automatiste.
Devant quelques-uns de ses tableaux personnels, Diane Dufresne nous a confié que c’est grâce au frère Jérôme qu’elle s’est mise à l’écriture de chansons.
«En peinture, il m’a montré à créer à partir de ce que me dicte mon instinct. Et de faire la même chose avec les mots.»
Voilà maintenant qu’elle s’adonne à la sculpture. Ne voyez rien de morbide dans la présence de son effigie dans un cercueil qui se balance, dans les têtes de mort qu’elle a faites avec des centaines de clous achetés chez Rona, ou dans ses dizaines de têtes en argile rassemblées dans une «grotte» éclairée aux lampions, Diane Dufresne a eu «ben du fun» à faire tout ça, à narguer la mort à la manière des Mexicains.
Dans le parcours qu’on nous propose, la grande sortie finale n’a rien de dramatique non plus.
L’exposition se termine avec la Bentley qu’Yvon Deschamps a offerte à Diane Dufresne après son show Halloween au Forum en 1982.
À l’Arsenal, la luxueuse voiture semble prête à partir. La Panthère rose attend sur le siège avant, et une roulotte Airstream, remplie de souvenirs, est attachée au véhicule. Reste juste à ouvrir la porte du garage… et à entonner avec Diane Dufresne: «laissez passer les clowns»!
Cette femme a marqué le Québec, aujourd’hui, hier et pour toujours. «Faut qu’y en ait une qui l’fasse», disait une autre chanson. En sortant de l’Arsenal, il n’y a aucun doute, Diane Dufresne est bien celle-là!