La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Their Mortal Remains: la face cachée de Pink Floyd

Plus de 50 ans après sa première visite à Montréal, Pink Floyd nous fait l’honneur d’une nouvelle visite mémorable. La grande exposition Pink Floyd-Their Mortal Remains, qui raconte l’histoire de ce légendaire groupe britannique, débarque en primeur nord-américaine à la galerie d’art contemporain Arsenal, dans le quartier de la Petite-Bourgogne. Ne perdez pas de temps pour aller la voir, elle quitte l’affiche le 31 décembre.



Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, le groupe Pink Floyd a fait son entrée dans ma vie en 1970 avec le disque Atom Heart Mother que mon frère Pierre avait acheté. Sur la pochette: une vache qui nous regarde. C’était déjà très inusité. Sur le vinyle, la première pièce durait 23 minutes 41 secondes, et ne ressemblait à rien de ce que j’avais entendu jusque-là dans ma vie. Des cuivres, des bruits de canons, des chevaux qui hennissent, des chœurs qui font des cris primaux, des synthétiseurs, des bruits industriels, c’était désarçonnant, complètement trippant. Je réécoute cette pièce en écrivant ce texte et, 50 ans plus tard, tout me revient!

La grande exposition «Pink Floyd-Their Mortal Remains» raconte l’histoire de ce légendaire groupe britannique. Photo: Claude Deschênes

Donc, pour moi, à 12 ans, c’était la découverte d’un nouveau groupe. Mais Pink Floyd avait déjà fait des enregistrements très remarqués auparavant dans les milieux avant-gardistes. C’est ainsi que commence le parcours chronologique de l’exposition. Le Pink Floyd des origines, avec Syd Barret comme parolier et guitariste, le départ de ce fameux membre fondateur en raison de problèmes de santé mentale, l’arrivée de David Gilmour, l’intérêt que les réalisateurs de cinéma, l’Italien Michelangelo Antonioni et le Suisse Barbet Schroeder pour n’en nommer que deux, ont pour leur musique.

L'exposition démontre l’intérêt que les réalisateurs de cinéma, l’Italien Michelangelo Antonioni et le Suisse Barbet Schroeder pour n’en nommer que deux, ont pour la musique de Pink Floyd. Photo: Claude Deschênes

Avec quantité de photos, d’affiches, de pochettes, de manuscrits de chansons, d’instruments de l’époque, d’équipements d’enregistrement (au total plus de 350 artéfacts), la table est mise pour nous mener à ce moment où Pink Floyd est passé de groupe culte à l’un des groupes les plus populaires et les plus prospères du monde avec la mise en marché du disque The Dark Side of The Moon en 1973.

Parmi les nombreuses pochettes, celle de Ummagumma. Photo: Claude Deschênes

Cet enregistrement marquant, sur lequel on retrouve des titres comme Breathe, Money, The Great Gig In the Sky, a été vendu à plus de 46 millions d’exemplaires. Il est apparu pendant plus de 18 ans au classement Billboard 200. Toute l’iconographie qui accompagnait ce projet crée une révolution graphique à l’époque. Ces images sont devenues aujourd’hui iconiques.

Photo: Claude Deschênes

À ce stade-ci, il est important de mentionner que l’idéateur et directeur artistique de l’exposition n’est nul autre que Aubrey «Po» Powell, l’auteur de la mythique pochette de The Dark Side Of The Moon. Inutile de vous dire que la qualité de la présentation est au rendez-vous. La quantité et la pertinence des objets exposés assurent aux visiteurs, férus du groupe ou pas, de faire une expédition sur la face cachée de la planète Floyd, un univers d’une grande richesse visuelle, sonore, et conceptuelle.

Photo: Claude Deschênes

En conférence de presse, «Po» expliquait qu’il avait eu l’appui de tous les membres vivants de Pink Floyd pour monter ce projet. Le batteur Nick Mason est celui qui s’est le plus impliqué, alors que Roger Waters et David Gilmour, très occupés à leurs projets personnels, ont donné carte blanche. Mettre d’accord tout ce beau monde, réputé pour chiquer beaucoup la guenille entre eux, n’est pas un mince exploit. Sans l’accord de tous, cette exposition n’aurait pas existé. En prêtant leurs archives personnelles, la plupart du temps inédites, ils ont ajouté une dimension moins macabre au titre de l’événement, qui fait référence à leur dépouille mortelle. Voilà des restes... très humains.

Les membres du groupe ont prêté leurs archives personnelles, la plupart du temps inédites. Photo: Claude Deschênes

Continuons la visite avec un autre des albums majeurs de Pink Floyd, The Wall, dont on dit qu’il a pris sa source à Montréal lors d’un concert au Stade olympique. Après s’être produit entre autres au CEPSUM et à l’Autostade, c’est au Stade que le groupe donne rendez-vous à ses fans en 1977. Ils seront plus de 70 000. Exaspéré par la difficulté de communiquer avec le public ce soir-là, Roger Waters crachera sur l’un d’eux. Ce geste l’amènera ensuite à imaginer ce fameux mur. Au bénéfice des visiteurs, on a reconstitué une partie du décor de ce mythique spectacle.

Au bénéfice des visiteurs, on a reconstitué une partie du décor du mythique spectacle de Pink Floyd au Stade olympique. Photo: Claude Deschênes

On retrouve d’ailleurs plusieurs éléments scénographiques géants imaginés au fil des ans pour les tournées du groupe.

L’exposition explique bien le rapport que les membres de Pink Floyd, dont plusieurs ont étudié en architecture, entretiennent avec la scénographie. Pour ces maniaques du son, c’était une manière d’en donner aussi pour la vue aux spectateurs.

L’exposition explique bien le rapport que les membres de Pink Floyd entretiennent avec la scénographie. Photo: Claude Deschênes

Le prolifique architecte Mark Fisher, décédé il y a neuf ans, a été le créateur de plusieurs de ces décors de tournées (structures gonflables, écran circulaire) qui nécessitaient jusqu’à 45 camions-remorques pour le transport d’une ville à l’autre. Ce concepteur, qu’on a vu au Cirque du Soleil (, Viva Elvis, Immortal Tour), a littéralement inventé la manière de faire du spectacle dans les stades.

Delicate Sound of Thunder. Photo: Claude Deschênes

J’ai d’ailleurs eu droit à une réponse d’architecte lorsque j’ai demandé, en conférence de presse, pourquoi ils avaient choisi la galerie Arsenal art contemporain comme lieu de présentation à Montréal. Messieurs Mason et Powell ont aimé le caractère industriel de ce lieu immense qui donne beaucoup de liberté dans l’accrochage, tout en rappelant l’esprit du Victoria and Albert Museum de Londres, où l’exposition a vu le jour en 2017.

Division Bell. Photo: Claude Deschênes

En effet, l’Arsenal se prête parfaitement à cette proposition. On a de la place pour circuler d’une section à l’autre. D’ailleurs, ça se termine dans un grand espace, plongé dans le noir, dans lequel on projette un moment musical marquant de l’histoire des Floyd datant de 2005. Avec les écouteurs fournis en début de parcours pour apprécier les contenus vidéo et musicaux de l’exposition, on peut entendre David Gilmour, Richard Wright, Nick Mason et Roger Waters jouer ensemble Comfortably Numb. C’était la première fois qu’ils se retrouvaient sur scène en 24 ans. Cette prestation à Hyde Park à Londres pour le Live 8 sera aussi leur dernière.

Oui, il y a beaucoup à voir sur la face cachée de l’astre Pink Floyd.

Projection d'un moment musical marquant de l’histoire des Floyd datant de 2005. Photo: Claude Deschênes

Richard Séguin en tournée: un must

Début novembre, Richard Séguin a repris la tournée avec un tout nouveau spectacle. Je l’ai vu la semaine dernière au Théâtre Outremont dans le cadre de Coup de cœur francophone.

Quel show!

À 70 ans, Séguin est dans une forme resplendissante. Vocalement, il peut se permettre n’importe quelle chanson de ses 50 ans de carrière. Il pige d’ailleurs allègrement dans toutes les époques. Il entonne autant Sous les cheminées, Pleure à ma place, Rester debout, Qu’est-ce qu’on leur laisse?, Double vie, que L’ange vagabond. Cette dernière, inspirée de la vie de Jack Kérouac, est un moment d’anthologie dans ce spectacle autant par les nouveaux arrangements que par l’interprétation vibrante.

Ils sont quatre gars sur scène, avec beaucoup de guitares. Simon Godin et Raphaël D’amours y vont à fond la corde, et Alexis Martin rythme tout ça à la batterie avec une énergie contagieuse. Chacun y va aussi de sa contribution aux voix, ce qui donne beaucoup de textures aux chansons.

Je vous ai dit récemment tout le bien que je pense du dernier disque de Richard Séguin. J’aime tellement ses nouvelles chansons que j’aurais voulu les entendre toutes. Il en a laissé quelques-unes au vestiaire, malheureusement, notamment ma préférée, Le garage. Il reste que j’ai rarement vu du nouveau matériel être aussi fort que les classiques. Tout près des trembles, Un peu de poésie, Être ici, Petit hymne aux Grands Rangs sont déjà des joyaux sur scène, et parfaitement dans la continuité de ce chanteur, poète de la vie, du territoire, de la justice sociale.

Toute la soirée, je me suis dit que notre Richard Séguin était l’équivalent québécois de Francis Cabrel pour la France. Un troubadour.

D’ici au printemps, il sillonnera le Québec, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Allez à sa rencontre, c’est certainement une des valeurs les plus sûres à aller voir en spectacle présentement. Richard Séguin, c’est du vrai, du métier, doublé d’une conscience toujours bien aiguisée qui remet les idées à la bonne place sur des airs inoubliables.