La biographie de Clémence DesRochers et des films à voir au FIFA
Au menu cette semaine : la biographie de Clémence DesRochers par le journaliste Mario Girard et des suggestions de films à voir au Festival international du film sur l’art.
Clémence, encore une fois: une biographie comme un jardin
Clémence! Il suffit de mentionner son seul prénom pour qu’un bouquet de souvenirs jaillisse. Que ce soient ses mémorables monologues, ses inoubliables chansons, ses doux dessins, ses personnages mythiques, ses innombrables revues, on a tous un peu de Clémence DesRochers dans la peau. En cette année de son 90e anniversaire, le journaliste Mario Girard ravive notre mémoire avec une biographie intitulée Clémence, encore une fois. Bienvenue dans le beau jardin de cette artiste unique qu’on aime tant.
C’est la troisième fois qu’on raconte la vie de Clémence DesRochers dans un livre. En 1989, Hélène Pedneault s’est intéressée au personnage. En 2013, le livre Notre Clémence a été réédité. Danièle Bombardier y a ajouté tout ce que cette infatigable créatrice avait fait depuis la première publication. Et voilà que Mario Girard s’y met à son tour pour nous rappeler à quel point la contribution de cette femme à la culture québécoise a été majeure.
En refaisant le parcours de Clémence DesRochers, on réalise qu’elle a innové, fait sauter des plafonds de verre, ouvert des esprits, tout ça en déridant les masses.
Elle était là lorsque les boîtes à chansons ont commencé à voir le jour dans les années 1950. Déjà, elle suscitait l’hilarité. Mais parmi les Raymond Lévesque, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland, ses chers Bozos, elle méritait aussi sa place comme auteure. Ce qui était une exception, les femmes de l’époque étant généralement confinées au rôle d’interprète.
Lorsqu’elle migre vers la revue musicale, elle crée un style nouveau autant dans les sujets abordés que dans la langue parlée. Il est intéressant de se faire rappeler tout le crédit que Michel Tremblay et André Brassard accordent à Clémence dans le défrichage qui a mené à l’avènement des Belles-sœurs.
Sa décision de se produire en solo, au début des années 1970, aura une portée tout aussi grande. Le stand-up comic avec des sujets épineux ou tabous, elle a été une des premières à faire ça. C’est sans parler de son art à faire cohabiter le rire avec la chanson et la poésie dans le même spectacle. On lui a beaucoup reproché ce mélange des genres qu’on percevait comme un entêtement, mais elle a persévéré.
Dernièrement, je n’ai pu m’empêcher de penser à Clémence en voyant Fred Pellerin en spectacle. Ce dernier est comme une sorte de dauphin. Comme elle, il fait rire à gorge déployée avec ses monologues, et nous émeut avec ses chansons. On ne pourrait imaginer un show de Fred Pellerin sans le rire et la poésie des chansons, comme le faisait si bien Clémence. Et en plus, ces deux-là se ressemblent. Ils ont le même gabarit. Je me souviens à l’inauguration de la statue de Fred Pellerin au musée Grévin, tout le monde voyait Clémence dans le personnage de cire.
Le bel ouvrage cartonné de 300 pages, abondamment illustré, passe en revue la multitude d’engagements, de projets, de concepts auxquels Clémence a contribué. C’est hallucinant de constater combien elle a travaillé dans sa vie. C’est ce qui arrive quand on adore son métier et qu’on a besoin de l’amour du public. Mais notre Clémence n’a pas fait de concessions pour obtenir la faveur populaire. Elle a toujours su imposer son style singulier, teinté de sa personnalité indépendante, à l’abri des étiquettes. Cette femme a pas mal toujours fait ce qu’elle a voulu, du jour où, enfant, elle s’imagine jouer aux côtés de Juliette Béliveau, jusqu’à tout récemment, où elle a assouvi son besoin irrépressible de refaire de la scène en la partageant avec Marie Michèle Desrosiers.
Le nombre de personnes qui ont croisé sa vie à un titre ou un autre est fulgurant. Paul Buissonneau a été marquant pour l’avoir embauchée pour les spectacles de La Roulotte. Jacques Normand lui a permis d’émerger comme artiste de cabaret, au Saint-Germain-des-Prés. Roger Lemelin lui donne un rôle dans son téléroman La famille Plouffe, et Marcel Dubé, dans Côte de sable. Avec Benoît Girard, Lise Lasalle, Gisèle Mauricet, ses amis de Grujot et Délicat, elle cultive son éternel cœur d’enfant pendant plusieurs saisons à la Boîte à surprises. Vous rappelez-vous, Clémence a aussi été de la distribution de Quelle famille! de Janette Bertrand et Jean Lajeunesse. Elle y était l’amante d’Ovila Légaré! Louise Latraverse, Diane Dufresne, René Angélil, Pierre Labelle, Yvon Deschamps ont émaillé sa vie de créatrice de revues. Denis et Marc Larochelle ont mis en musique sa poésie. Il y a ses amies de fille, Édith Butler, Louise Beaudoin, Liza Frulla. Ses amis de gars, Luc Plamondon, Georges-Hébert Germain. Les enfants de Michel Berger et France Gall et de Miou-Miou et Julien Clerc en visite dans son fief, le lac Memphrémagog, pendant les vacances d’été. Elle les a amusés en planche à voile, en canot, à faire des dessins, autour de feux de camp.
Mais le livre ne manque pas de bien nous le faire réaliser, le trio qui a le plus compté pour Clémence est certainement son cher père, le poète Alfred DesRochers, qui lui a transmis le goût des mots et de la nature, sa mère, Rose, qui lui a offert la liberté d’être elle-même, et la femme de sa vie, Louise Collette, qui lui a servi d’ancrage grâce à un sens de l’organisation hors pair et un côté très terre à terre nécessaire à l’équilibre du clown triste que peut être Clémence dans la vie.
Grâce à ce trio, grâce beaucoup à elle aussi, Clémence est devenue notre trésor national. Il y a un tel lien entre elle et le peuple québécois! Entre son premier engagement à La Roulotte en 1954 et aujourd’hui, c’est une histoire d’amour de 70 ans. Comme des noces de platine! Ça valait bien, encore une fois, un livre sur Clémence!
Des suggestions de films à voir au Festival international du film sur l’art
Il est de retour. Le Festival international du film sur l’art (FIFA) s’ébranle cette semaine dans plusieurs salles de cinéma de Montréal et de Québec, et maintiendra la cadence de plusieurs films par jour jusqu’au 2 avril.
À partir du 24 mars, la version en ligne s’ajoutera pour répandre le plaisir dans nos foyers.
Il y a plus de 200 films au programme. À chacun de faire sa sélection en fonction de ses préférences, car le FIFA ratisse large, avec des documents sur la musique, le cinéma, les arts visuels, la danse, l’architecture, l’opéra, etc.
Voici quelques suggestions de films que j’ai déjà eu la chance de voir. Étonnamment, les quatre films que j’ai visionnés racontent des destins semblables à celui de Clémence, des personnages devenus des figures marquantes dans leur domaine malgré leurs mauvaises expériences à l’école.
Belmondo l’incorrigible
Je commence avec Belmondo parce qu’il est né la même année que Clémence DesRochers, en 1933. Il aurait eu 90 ans le 9 avril prochain. Comme notre Clémence, le Bébel des Français a toujours su qu’il serait artiste, et comme elle aussi, il lui a fallu inventer son propre personnage parce que sa fougue et sa gueule ne correspondaient pas au milieu du théâtre qu’il convoitait. C’est le cinéma qui l’a révélé, le cinéma de Jean-Luc Godard, qui a fait mentir ceux qui lui disaient qu’avec son nez de boxeur il ne serait jamais un tombeur à l’écran.
Le documentaire Belmondo l’incorrigible de François Lévy-Kuentz nous emmène dans un véritable tourbillon. Les extraits de films et d’entrevues se suivent à une cadence effrénée. Cet acteur-cascadeur n’a jamais cessé d’enchaîner des projets de films qui mettaient la plupart du temps en valeur son côté athlétique et son sourire ravageur. Ce documentaire fait du bien à regarder, Jean-Paul Belmondo ne cesse de sourire et d’avoir un propos de battant, un trait hérité de sa mère, dira-t-il.
Avec Louis de Funès et Alain Delon, Belmondo a été un champion du box-office français, pour le meilleur, et souvent le moins bon.
Voilà un film qui nous permet de passer par-dessus les années où l’acteur a privilégié les grosses productions ronflantes qui lui permettaient de cabotiner et d’impressionner la galerie avec des cascades toutes plus risquées les unes que les autres (Hold-up, Le marginal, Le solitaire). Ce résumé de carrière rend attachant cet homme capable de jouer autant Pierrot le fou que L’Homme de Rio au cinéma, capable aussi de surprendre le public dans les habits d’un Cyrano de Bergerac de Rostand ou d’un Kean de Sartre au théâtre. On y découvre aussi l’homme de famille, plus fidèle en amitié qu’en amour (il a notamment été en couple avec Ursula Andress et Laura Antonelli). Tout cela est très people, et très divertissant.
À l’Outremont, le 18 mars. En ligne, le 24 mars.
Romy, femme libre
La Romy du titre, c’est Romy Schneider, la magnifique actrice d’origine autrichienne qui a connu une fabuleuse carrière au cinéma avant de mourir trop jeune à l’âge de 43 ans. J’avais 23 ans lorsqu’elle est décédée. Je l’avais déjà vue, vous aussi, j’imagine, dans Le vieux fusil, Une histoire simple, La mort en direct, La banquière, Fantôme d’amour, La passante du Sans-Souci, succombant chaque fois à son charme. À part ses débuts fracassants dans Sissi dont on a toujours beaucoup parlé, j’étais un peu trop jeune pour avoir un souvenir précis de l’incroyable parcours qui avait mené à cette stature de star du grand écran. C’est pourquoi le documentaire de Lucie Cariès a été pour moi une telle surprise. Il y a tant de révélations dans ce documentaire. Avec des archives fabuleuses, on part de l’enfance de cette enfant de la balle née à Vienne, un an avant la Seconde Guerre mondiale, et on nous mène jusqu’à la dernière entrevue avant son décès surprise.
Je ne savais pas que ses parents ont été de grandes vedettes du cinéma allemand, proches du régime nazi. Après la guerre, c’est en jouant avec sa fille, notamment dans Sissi en 1955, que sa mère a pu se réhabiliter complètement aux yeux du peuple allemand. Je ne savais pas non plus que la bonne fille à sa maman avait décidé, dans un coup de théâtre dramatique en 1958, de tourner le dos à sa famille et à son peuple pour jeter son dévolu sur un jeune premier français encore inconnu, Alain Delon.
Le titre du film de Lucie Cariès, Romy, femme libre, ne met pas de temps à confirmer sa pertinence. Pendant une heure et demie, les exemples qu’on nous donne d’une femme affranchie ne cessent de s’accumuler. Elle achète ses divorces, choisit l’homme qui lui donnera ses enfants, s’arrange pour jouer avec des partenaires qu’elle aime, renonce d’elle-même au mirage de la carrière américaine, s’attire des projets qui correspondent à ses convictions. À cet effet, elle accumulera à la fin de sa vie les rôles de juives martyrisées par les SS, comme pour expier sa faute d’avoir été la fille chérie de parents proches de la Gestapo. Romy Schneider est une femme qui vit par elle-même, refusant les étiquettes. Une solitude quand même lourde à porter d’autant qu’elle subit plusieurs coups du destin, notamment le suicide du père de son fils adolescent David, et la mort de ce dernier par accident peu de temps après. Ça, c’est sans compter le vieillissement, cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des actrices, encore plus menaçante quand on a toujours été la plus belle. En tout cas, ce film fascinant démontre qu’on a beau naître princesse dans l’œil du public, la vie d’actrice, de femme libre n’est pas un conte de fées pour autant.
Au Musée national des beaux-arts du Québec, le 24 mars.
Au Cinéma du Musée, le 25 mars.
En ligne, le 24 mars.
Lettre d’amour à Léopold Foulem
Le 18 février dernier mourait Léopold Foulem, grand céramiste originaire de Caraquet, au Nouveau-Brunswick, malheureusement méconnu du grand public. Il avait 77 ans. Quand on voit le documentaire Lettre d’amour à Léopold Foulem de sa compatriote acadienne Renée Blanchar, on réalise qu’on a manqué quelque chose. C’est comme si Antonine Maillet, Viola Léger ou Édith Butler étaient demeurées confidentielles.
Avec ses lunettes à la Elton John et des djellabas comme en portait jadis Michel Tremblay, Léopold Foulem, c’est la rock star de la céramique conceptuelle au Canada. Il a plus de 40 expositions solos à son actif, près de 300 expositions de groupe. On retrouve ses œuvres dans les collections de nos grands musées, mais aussi au Victoria & Albert Museum de Londres et au Los Angeles County Museum. Il a obtenu les prix Chalmers, Saidye-Bronfman, Éloizes. On dit qu’il est le plus grand spécialiste de Picasso, le céramiste.
Ça fait sept ans que René Blanchar veut porter à l’écran ce personnage qui, tout jeune, l’a influencée à faire carrière dans les arts. Elle a eu grand mal à financer son projet, mais le film s’est finalement fait. Le tournage a eu lieu l’été dernier à la maison d’été de Léopold Foulem à Caraquet, une vieille demeure ancestrale, sans eau courante. Chaque année, depuis des décennies, l’artiste profite de ses vacances de prof au Cégep du Vieux Montréal pour aller exercer son art dans sa région natale.
En route vers l’Acadie, on s’arrête dans les ventes de garage que Léopold Foulem trouve sur son chemin. On le voit faire une razzia sur les porcelaines les plus originales et les plus colorées. Salières, poivrières, beurriers, tasses, soucoupes, pots de crème, théières, notre homme est un collectionneur compulsif qui, une fois arrivé à la maison, admire ses acquisitions et s’en inspire pour son propre travail.
Et là, c’est la surprise. Le céramiste détourne les usages, le sens, ou encore il additionne des fonctions pour créer, chaque fois, des objets d’art surprenants, sculpturaux, magnifiques, souvent humoristiques.
La réalisatrice filme son sujet à toutes heures du jour, mais jamais au travail, car l’été dernier, Léopold Foulem était malade. D’ailleurs, la mort est souvent évoquée dans le film. Il confiera avoir le sentiment de vivre sur du temps emprunté, la plupart des membres de sa famille étant morts avant 70 ans.
Heureusement, à son chevet, il reste son mari, et sa sœur qui font tout pour lui. L’artiste les appelle ses fées. Marie-Paule Foulem fait son lavage, sa vaisselle, emballe ses œuvres pour l’expédition à travers le monde. Richard Milette joue au chauffeur, cuisine, et se réserve les tâches les plus exigeantes du métier de céramiste.
Ce document est vraiment d’une humanité touchante. J’ai été particulièrement sensible à la beauté de la langue française parlée par ce Léopold qui n’a pas fini ses études secondaires parce qu’il s’ennuyait trop à l’école, par sa sœur, d’une magnifique éloquence, et les quelques amis acadiens qui viennent le visiter.
Ce film est vraiment à voir. Espérons qu’il incitera nos musées à consacrer à cet immense artiste une belle grande exposition.
Au Centre canadien d’architecture, le 16 mars.
Au Musée national des beaux-arts de Québec, le 22 mars.
En ligne, le 24 mars.
Annie Lennox: de Eurythmics à l’engagement, itinéraire d’une icône pop
Sweet Dreams (Are made of this), Here Comes the Rain Again, Why, voilà trois titres marquants de la pop britannique qui m’ont précipité sur le documentaire que le FIFA propose sur Annie Lennox, cette chanteuse qu’on a découverte dans les années 1980 avec coupe courte, cheveux orange, yeux clairs, et un alter ego, David Stewart, magicien des guitares et des synthétiseurs. La réalisatrice Lucie Cariès (encore elle) retrace le parcours de cette Écossaise de naissance au registre étonnant qui a élevé le look androgyne à des sommets.
Le film raconte la formidable chimie qui existait entre elle et son complice. L’usure que ce couple a vécue à force de créer et performer ensemble. L’une dans la lumière, l’autre dans l’ombre, alors que c’est elle, la dark, et lui, l’être solaire du duo. On revient sur les frasques du groupe, la nécessité d’Annie Lennox de composer avec sa bipolarité, la rupture du duo, la réinvention de la chanteuse en artiste solo. Le film nous explique d’où vient la source de l’engagement social d’Annie Lennox, qui a épousé tant de causes durant sa carrière. La fille unique d’un travailleur des chantiers navals écossais et d’une mère à la maison n’a jamais pu renier ses origines modestes malgré toute la gloire qu’elle a connue, les millions qu’elle a gagnés à être au sommet des palmarès. Vraiment intéressant de voir la vraie nature de cette artiste aujourd’hui âgée de 68 ans.
Au Cinéma du Musée, à Montréal, le 25 mars.
En ligne dès le 24 mars.