Voilà quelques semaines, ma rédactrice en chef m’a demandé si j’accepterais d’écrire un papier pour sa série Le fil du temps, qui nous a déjà valu de très beaux textes de Michel Duchesne, Louise Portal et Geneviève St-Germain. Avant de dire oui, je me suis demandé si j’avais quelque chose à dire sur le fait de vieillir. Réflexion faite, j’ai conclu que oui. Après tout, j’allais avoir 61 ans début août.
J’ai beau, dans ma tête, ne pas avoir cet âge, je suis quand même né en 1958, et cela teinte ma façon de voir la vie. Je suis d’un autre millénaire, pas un millénarial. Comprendre: j’ai des principes acquis au fil des ans qui ont beau être moins à la mode, mais j’y tiens.
L’angle que j’avais trouvé pour cet article a cependant pris une autre tournure à cause d’une expérience vécue ces derniers jours et dont je n’avais pas soupçonné la pleine mesure. Après 30 ans au même endroit, soit la moitié de ma vie, je suis déménagé.
On dit qu’après le deuil et le licenciement, le déménagement serait l’une des situations les plus stressantes de l’existence. Comme j’ai la chance de vivre avec une femme qui n’a peur d’aucun détail, tout s’est déroulé comme du papier à musique. On a même eu des félicitations de nos déménageurs pour l’organisation!
Mais il reste que casser maison, une étape qui arrive forcément quand on n’est plus jeune, demeure une épreuve. L’effort physique de faire des boîtes et de laisser la maison impeccable aux nouveaux propriétaires m’a personnellement mis à terre. Pendant des jours, je me suis senti tout courbaturé, et une grippe d’été s’est abattue sur moi le jour de ma fête. Rien pour accueillir l’année de plus à ma vie avec sérénité.
Je vous dis tout ça parce qu’il ne faut pas sous-estimer la charge que le déménagement représente. Physique et émotive. C’est fou tout ce qu’on accumule au fil des ans. Il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard pour faire le ménage de sa vie. Le fait de dilapider son trousseau brasse beaucoup de sentiments. Ça demande du jus emballer une verrerie montée sur quatre décennies, les très nombreux plats de service, dont ceux de maman avec une bordure en or, la batterie de cuisine qui pèse trop lourd pour une seule boîte, les vêtements d’été, d’automne, d’hiver, les articles de sport, la collection de disques, les livres, les archives personnelles (photos de fiston de 1 jour à 18 ans, dossiers de presse de Céline et du Cirque du Soleil, travaux d’université; j’avais même – encore! – mes bulletins du primaire).
Je ne suis pas du genre à lire Marie Kondo, la papesse japonaise du rangement et du développement personnel, mais je suis d’accord avec son principe qu’il ne faut garder que ce qui nous apporte du bonheur. Élaguer permet en effet de voir plus clair et donne de la place pour se réinventer.
À 60 ans, on a beau voir apparaître avec effroi des taches brunes sur sa peau, des poils blancs sur ses avant-bras, constater que nos mains plissent, que nos cheveux sont de plus en plus fins, que nos yeux pleurent au moindre vent et que notre nez coule comme une champlure quand il fait sous zéro, il faut se convaincre qu’il reste encore beaucoup de choses à faire, et à découvrir. On ne va pas s’arrêter pour une apparence moins lisse. Pour peu qu’on ait la santé, tout est possible.
Pour la santé, il faut mettre les chances de son côté. Prendre soin de soi en mangeant bien – des plats, idéalement, qu’on se prépare soi-même –, et en bougeant. Marcher, courir, nager, faire du vélo, du ski, du patin, du golf, il suffit de trouver l’activité qui nous convient.
Chaque année, je suis ébahi de voir l’énergie des gens avec qui je patine au Vieux-Port de Montréal. Ils sont tous plus vieux que moi et aucun ne rechigne devant le froid qu’il fait ou le temps qu’il faut marcher quotidiennement pour accéder au bassin Bonsecours. Maurice, Pauline, Jocelyne, Jacques, Lucie, Michel, Janine, Pierre sont des modèles. Ils font du patin l’hiver, du vélo l’été, ils voyagent, profitent des spectacles gratuits dans le réseau des maisons de la culture, ils ont toujours quelque chose à raconter. En vieillissant, il faut se coller et s’intéresser aux gens qui ont du ressort, ça aide à se pousser soi-même à aller plus loin.
À cet effet, être en couple est un grand privilège quand on vieillit. À deux, c’est mieux, comme on dit. J’ai tellement aimé la réponse de Pierre Curzi lorsque Patrick Lagacé lui a demandé, pour une chronique sur le vieillissement dans la Presse+:
«Quelle fut la meilleure décision de ta vie, pour le bonheur?
Ma rencontre avec Marie (Tifo). Choisir d’être avec elle. Notre amour. C’a été une des grosses conditions de mon bonheur.»
Et Lagacé d’ajouter:
«J’ai regardé Pierre et j’ai pensé aux trois ingrédients de la recette du bonheur jadis décrétés dans ce journal par (Pierre) Foglia: le travail, la curiosité, la fiancée…»
Je confirme pour la fiancée, mais aussi pour le travail et la curiosité. Être actif et curieux de tout amène le bonheur et repousse le vieillissement. J’ai eu le même dentiste pendant 30 ans. Je savais que docteur Hubert Labelle était pas mal plus vieux que moi, mais qu’elle ne fut pas ma surprise d’apprendre son décès dans le journal dernièrement à l’âge vénérable de 87 ans. Il aura pratiqué son art jusqu’à la toute fin de sa vie avec un professionnalisme exemplaire.
Faire ce qu’on aime, s’entourer de gens agréables, voir le positif, le cultiver même; vieillir, ce n’est pas une tare, c’est une mission… à réussir.
À propos de Claude Deschênes
Claude Deschênes a travaillé à la radio et à la télévision de Radio-Canada pendant 33 ans, principalement à couvrir la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). On le retrouve maintenant à France 2 comme collaborateur de l’émission Télématin. Il continue aussi de partager son intérêt pour la culture et les arts sur différentes plateformes, dont ici, sur Avenues.ca, où vous pouvez lire ses chroniques toutes les semaines. Claude Deschênes agit aussi comme animateur et porte-parole d’événements ainsi que conférencier, notamment dans le réseau des universités du troisième âge.