14 mars 2019Auteur : Michel Duchesne

Michel Duchesne: Vieillir n’est pas un tunnel sombre

Je m’appelle Michel Duchesne, j’ai eu 50 ans il y a peu, je suis officiellement vieux. Et je suis membre de la FADOQ depuis hier, ceux qu’on appelait autrefois avec moquerie l’âge d’or… mais watch out!



On ne dort pas sur nos lauriers: vieillir n’est pas un tunnel sombre, mais une avenue lumineuse comme un yellow brick road pour qui veut s’assumer plutôt qu’angoisser.

On n’a qu’une vie à vivre et trop de causes à défendre.

Parce que notre époque est affolante.

Les inégalités sont grandissantes, l’hostilité montante créant des légions de gens amers.

Mais j’ai choisi de faire partie des vieux sucrés, des beaux indignés qui mordent dans cette chance d’avancer en âge.

C’est curieux, pourtant: les pommiers et les oliviers donnent leurs fruits à maturité, mais nous, concombres d’humains, préférons ignorer la récolte des années.

Allôô!!!

Comme si on en avait honte parce qu’ils n’ont plus de sixpack sur le ventre, des seins et du gras de bras qui pendent.

Regardez plutôt la fureur de vivre au fond des yeux.

Hé toi !, l’ami non genré, viens nous parler, prends un vieux au hasard, t’as le choix, y’en a beaucoup autour de toi.

Des enseignants, coiffeuses et ouvriers qui ont appris de leurs erreurs et qui ont «encore quelque chose à raconter».

Des grands-mères ravies de venir garder leurs petits-enfants, des mononcles cool plutôt tannants, des marraines qui fument leur joint en jouant au Scrabble avec ces petits culs qu’elles ont bercés il y a 50 ans.

Je suis de la génération X éliminée d’office, «attends ton tour, les baby-boomers sont là »… et ils y sont toujours! Mon adolescence dans la récession et la tristesse référendaire ne donnait pas envie d’aller rejoindre ces hommes et ces sages-femmes coupés en plein élan. Tant d’idéaux à demi-accomplis et tant de burnouts en série. Alors, à 40 ans, pour suivre ce bel exemple, j’ai sombré à mon tour dans un spleen. J’ai baissé les bras: 40 ans, c’était la fin du monde, à quoi bon se battre.

À quoi bon, je l’entends souvent de la bouche de mes neveux et nièces, notre monde est condamné, ça donne rien, on va couler.

Madonna ne le chantait-elle pas? «We only got 4 minutes to save the world»… mais je sais maintenant que j’ai encore 40 ans de vie active.

Car j’ai eu la chance de faire des «voyages extraordinaires» avec des groupes qui ne ressemblaient en rien à ceux qui allaient aux Tannants ou aux Démons du midi. Le gars qui se pensait fini à 40 ans rencontra des vieux allumés qui rallumèrent sa flamme; des gens lettrés, articulés, dont certains se couchaient tôt, mais d’autres veillaient tard en titi ! La Révolution a été tranquille, mais la retraite n’a pas à être muette. Faites du bruit!!!!

Ce sont ces 50 ans et plus qui m’ont rescapé du cynisme.

Ces Huguette, Francine, Renée, Pierrette qui ont survécu à des divorces, des maladies, au suicide de leur enfant ou de leur mari, et qui parcourent la ville et le monde en espadrilles avant que les murs d’intolérance remontent.

Ces Louisa, Maggie, Lynda qui vieillissent dans l’allégresse ne ressemblent en rien à ces matantes paparmannes dont on se moquait, car ce rire méprisant cache une peur terrible: le refus de grandir en âge.

Mais la peur de vieillir est l’une des causes principales de la mal-a-dit; qu’est-ce que le mal dit de votre mal être? Quels sont les mots enfouis qui vous rongent plutôt qu’être évacués par la parole?

Vieillir, ce n’est pas se retirer pour aller s’écraser sur une chaise berçante. Ce n’est pas radoter «Dans mon temps…»: notre temps, c’est ensemble. Et maintenant.

Parlons-nous. Moi, j’ai adoré faire une psychanalyse, mais peut-être avez-vous autour des Luc, André et des Hakim encore fringants, avec ou sans pilule bleue, qui ont survécu eux aussi à des faillites, des trahisons, à l’hécatombe du SIDA ou à ces pilules données à profusion pour engourdir nos populations.

Oui, parfois je désespère que nous arrivions à nous entendre, mais j’ai espoir que nous prendrons le parti de créer des ponts, toutes générations unies.

Changeons.

Moins de plastique, plus de compassion; moins d’écrans et plus de vieilles gens dans votre alimentation.

Assez de défaitisme, engagez-vous! Intégrez un organisme.

Moi, j’aide la Cuisine collective d’Hochelaga-Maisonneuve et la Fondation Émergence, «Pour que vieillir soit gai».

Finie la vieillesse tel un naufrage invisible, que la Croisière s’amuse!

Lâchons nos jolis nombrils et surfons sur nos peaux plissées!

Dansons le pied de poule et la patte d’oie!

Je m’appelle Michel Duchesne et j’ai entrepris le défi d’une vie: être vieux et heureux.

À propos de Michel Duchesne

Michel Duchesne est notamment l’auteur de L’écrivain public, roman inspiré de sa propre expérience, devenu série web cumulant les honneurs au Québec et à l’international.

Il a aussi été réalisateur d’émissions socio-culturelles à Radio-Canada, entraîneur intronisé à la LNI et auteur de plusieurs pièces de théâtre.

Depuis toujours impliqué dans le milieu communautaire et social (du GRIS à la Cuisine Collective d’Hochelaga-Maisonneuve), il est également chargé de cours à l’UQAM.

Extrait de son roman La Costa des seuls (Leméac, 2018)

(Les Cousineau de Chicoutimi, 70 ans, en visite à un musée de Ronda)

Quarante ans d’interventions syndicales plus tard, Lise profitait de sa retraite à plein, donnant encore quelques heures à une maison pour femmes battues à Chicoutimi. Jeune, elle avait pensé qu’une fois la religion chassée de nos vies, ce refuge ne serait plus nécessaire. Hélas! Lise se désolait de voir débarquer chaque semaine de jeunes filles de seize ans malmenées par leur chum «qui m’aime; c’est de ma faute, c’est moi qui l’ai poussé à bout».

Étudiant en littérature, Robert avait été séduit par la fougue politique de Lise, son appétit insatiable de justice et de sexe, dans l’ordre et le désordre de leurs draps froissés. Ils nourrissaient depuis mutuellement leur indignation, étaient de toutes les manifestations, ayant défendu tout autant la langue, le droit à l’avortement et notre fleuve Saint-Laurent menacé par des projets d’oléoducs. Meurtris par deux référendums perdus pour l’indépendance du Québec, ils avaient repris espoir et joué de la casserole lors du Printemps érable où les étudiants chantèrent le ras-le-bol des dépenses princières des recteurs et la corruption généralisée. Le printemps perdit ses feuilles trop vite, au Québec comme en Turquie, les régimes malsains restèrent bien en place. Depuis, sur Facebook, Lise inondait ses petits-enfants et ses proches d’articles politiques et de blogues enflammés où elle conspuait le 1 % qui détenait toutes les richesses. Dans ce musée relatant tout autant les périls de la garde royale que les méfaits des bandits, Lise avait choisi son camp: «Yo soy el 99%!» Robert trouva sa rebelle toujours aussi belle et l’embrassa au nez et à la barbe d’un capitaine d’armée en cire.