Archives du mot-clé Bella Desgagnés

Tête-à-la-Baleine: dessine-moi un jardin

Les escales sont courtes pendant la semaine de croisière à bord du Bella Desgagnés, ce cargo qui ravitaille les villages de la Basse-Côte-Nord. Mais dès notre débarquement au village de Tête-à-la-Baleine, Madeleine Le Breton nous embarque dans son pick-up et nous mène au cœur de sa communauté, qui apprivoise tranquillement le jardinage malgré les obstacles du climat.

Nous avons 90 minutes devant nous. Mais qu’à cela ne tienne: l’énergique Madeleine entend bien nous montrer tout ce que sa communauté de 115 personnes arrive à faire pousser.

Nous nous arrêtons d’abord au jardin personnel de Micheline Lapointe, qui vient prouver que malgré une saison courte et un sol capricieux, tout est possible, même sur la Basse-Côte-Nord. Après des années de tests, d’erreurs et, certainement, une immense patience, son potager luxuriant regorge de courgettes, oignons, herbes, fraises, patates, fèves et betteraves qu’elle met en conserves et partage avec les voisins.

Le jardin luxuriant de Micheline Lapointe. Photo: Véronique Leduc

C’est aussi elle qui a eu l’idée d’aménager un jardin communautaire où tout le monde peut se faire la main. À côté de l’église, et tout près de l’école, des bacs de bois sont alignés. Là, les sept élèves peuvent s’occuper des jardins et récolter les quelques fraises, laitues et radis, la rhubarbe et les épinards. «Ça fait un moment que nous arrivons à faire pousser des patates, des choux et des navets, mais maintenant, on cherche à varier», dit Madeleine en nous offrant les quelques fraises cachées sous les feuilles du jardin. Elles semblent savoureuses, mais nous tenons à les laisser aux habitants qui, parce que leur village n’est pas accessible par la route, ont bien peu accès à des fruits et légumes frais.

Dans la région, il y a la cueillette de petits fruits, comme la chicoutai, les bleuets, les framboises et les airelles, bien sûr, mais des potagers en santé pourraient fournir une plus grande variété.

Madeleine Le Breton présente les jardins communautaires. Photo: Véronique Leduc

Les défis du Nord

Ce qui peut paraître simple pour plusieurs ne l’est pas à Tête-à-la-Baleine. Les récoltes qu’offrent ces quelques bacs de jardinage représentent à elles seules une grande réussite. Au nord du 49e parallèle, la température n’est pas toujours clémente, la neige recouvre tout pendant de longs mois, la main d’œuvre manque, ainsi que les savoirs liés au jardinage, une activité récente pour les habitants, qui s’y intéressent depuis trois ans seulement. «Il y a des gens expérimentés de chez Grenier boréal, par exemple, à Longue-Pointe-de-Mingan, qui sont là quand nous avons des questions», raconte l’ancienne professeure d’éducation physique maintenant retraitée.

Pour contrer les défis du climat, des toiles géotextiles sont utilisées. Et éventuellement, on espère des serres, qui pourraient venir si des subventions sont reçues.

Et c’est sans parler du transport du matériel nécessaire, qui doit être acheminé par bateau ou par avion. «La terre, par exemple, il faut la faire venir !» C’est d’ailleurs pour être plus indépendantes de ce côté que plusieurs personnes de la communauté ont commencé à faire du compost.

À travers tout ça, Madeleine, une femme très impliquée dans son village – elle donne de son temps à l’école, aide une femme âgée à domicile et veille, avec Micheline, aux jardins –, est en plein apprentissage. Quand on lui demande si elle se découvre le pouce vert, elle réfléchit et dit en riant: «Disons que j’ai le pouce vert pâle !».

Des jardins à la maison

Pourtant, devant sa maison, son propre jardin, où on trouve des tomates, des herbes, des carottes et des radis, prouve qu’elle ne se débrouille pas mal.

Madeleine n’est pas la seule à faire des tests sur son terrain. Grâce à Nutrition Nord, un organisme impliqué dans les villages de la côte non reliés par la route, les gens de 50 ans et plus peuvent recevoir gratuitement une boite de bois qu’on peut recouvrir d’une serre. «Les gens partent leurs semences dans la boite en mai et passent au jardin ensuite, quand la température le permet.»

Dans le petit village, une trentaine de boites sont fièrement installées devant les maisons. Quand on sait qu’elles n’étaient que sept ou huit il y a deux ans, on peut parler, pour les habitants de Tête-à-la-Baleine, d’un réel engouement!

Plusieurs maisons du village ont leur boite de jardinage. Photo: Véronique Leduc

Retrouver une alimentation locale

«Avant, il y avait beaucoup de pêche qui se faisait ici, mais ça a grandement diminué et maintenant, les emplois manquent», explique Madeleine en nous reconduisant vers le quai. Si le village comptait, il y a une quarantaine d’années, environ 700 habitants, ils ne sont plus aujourd’hui que 115. Et si l’école accueillait en 1977 125 élèves, ils ne sont plus que 7 désormais. «Les gens sont inquiets. Le village voisin a fermé il y a 15 ans…», dit Madeleine. Des potagers et des serres pourraient, qui sait, attirer des jeunes et redynamiser le village, dont 85% de la population est âgée de 50 ans et plus. Ou du moins, apporter une plus grande autonomie alimentaire.

D’ailleurs, pour mieux apprivoiser ces nouveaux aliments frais qui sont désormais disponibles à Tête-à-la-Baleine, une demande a été faite à une nutritionniste de Blanc-Sablon afin qu’elle vienne enseigner certaines notions aux élèves.

De plus, deux fois par mois, un atelier de cuisine collective est organisé afin de mettre en plat les aliments locaux. Dernièrement, les participants ont pu repartir avec des provisions de morue fraiche accompagnée d’un pesto d’épinards et un shortcake aux fraises du jardin.

Les beautés de Tête-à-la-Baleine

Près du quai, Madeleine tient à faire un dernier arrêt afin de nous montrer «le plus bel endroit du village pour une photo». En effet, les petits bateaux amarrés, l’eau claire qui laisse voir les étoiles de mer et les rochers qui protègent le lieu sont dignes d’une carte postale.

Ce paysage de Tête-à-la-Baleine, avec  les petits bateaux amarrés, l’eau claire qui laisse voir les étoiles de mer et les rochers, sont dignes d’une carte postale. Photo: Véronique Leduc

«J’aime beaucoup ça, ici. J’aime la nature, la tranquillité et le fait que les gens ne sont pas stressés», souffle Madeleine avant que nous reprenions le Bella Desgagnés vers le village de la Tabatière. Le jardinage est certainement pour elle une façon de redonner à cette communauté qui lui apporte tant.

Bella Desgagnés: approvisionner les villages de la Basse-Côte-Nord

Sur la Basse-Côte-Nord, après Kegaska, la route 138 s’arrête net là où il y a la mer. Après ce village de pêcheurs, il n’y a plus moyen de voyager par voiture. C’est pourquoi le cargo Bella Desgagnés fait le trajet par l’eau jusqu’à Blanc-Sablon une fois par semaine: pour transporter les habitants d’un village à l’autre, mais aussi pour ravitailler les villages, autrement coupés du monde, en vêtements, matériel de construction, voitures, nourriture... Il y a de ces expériences qui marquent à jamais. Un voyage sur le Bella Desgagnés fait partie de celles-là.

Un cargo mixte

Le Bella Desgagnés est un cargo mixte, c’est-à-dire qu’il peut transporter autant des marchandises que des passagers locaux ou des voyageurs qui profitent de la croisière. Opéré par la compagnie Relais Nordik, il n’y en a que trois ou quatre comme lui au pays.

Photo: Véronique Leduc

Mission approvisionnement

La mission première du Bella Desgagnés: approvisionner en biens de toutes sortes les villages de la Basse-Côte-Nord qui ne sont pas reliés par la route au reste du Québec. Ainsi, à chacun des arrêts du cargo, c’est un ballet impressionnant de déchargement et de chargement qui commence, peu importe l’heure du jour ou de la nuit à laquelle a lieu l’escale.

Déchargement sur l'île d'Anticosti. Photo: Véronique Leduc

Croisiéristes à bord

Cela fait quelques années que les voyageurs peuvent embarquer à bord du cargo qui ravitaille les villages de la Basse-Côte-Nord. Mais c’est depuis 2013 qu’ils peuvent profiter du Bella Desgagnés, un bateau plus luxueux, construit en Italie et créé pour faire ce voyage dans les conditions et le climat de la Côte-Nord.

C'est dans le confort du Bella Desgagnés que les voyageurs peuvent découvrir la Basse-Côte-Nord. Ici, Harrington Harbour. Photo: Véronique Leduc

De nombreux arrêts

Chaque semaine, le Bella Desgagnés part de Rimouski, dans le Bas-Saint-Laurent, pour s’arrêter à 11 ports, jusqu’à Blanc-Sablon, à la frontière du Labrador. À partir de Kegaska, les villages ne sont pas reliés par la route. En hiver, ils peuvent toutefois compter sur la route blanche, à parcourir en motoneige.

Les arrêts hebdomadaires du Bella Desgagnés (crédit- Voyages AML)

Pause hivernale

C’est d’ailleurs en raison de la route blanche que le Bella Desgagnés, en fonction 24 heures sur 24 pendant 44 semaines par année, a choisi de prendre une pause de ses activités pour effectuer l’entretien du navire en février et en mars. Les habitants de la région, grâce à leur motoneige, sont alors plus autonomes. Les livraisons peuvent alors aussi être faites par avion même si les coûts sont bien plus élevés que pour celles faites par bateau.

En été, les villages comptent sur le Bella Desgagnés pour s'approvisionner. Photo: Véronique Leduc

Un service essentiel pour les locaux

Chaque année, c’est entre 13 000 et 15 000 passagers locaux qui voyagent par bateau pour aller visiter leur famille dans un village voisin ou pour faire des achats. C’est pour eux que le Bella Desgagnés, qui fait en quelque sorte office d’autobus pour cette clientèle, a été créé. Par ailleurs, environ 1600 forfaitistes, dont 80% de Québécois, font chaque année la croisière qui leur permet de voir des paysages majestueux.

Les paysages de la Basse-Côte-Nord sont magnifiques. Le village de pêcheurs de Harrington Harbour en est un bon exemple. Photo: Véronique Leduc

Nourriture et autres denrées

Parce qu’ils sont coupés du réseau routier, les villages de la Basse-Côte-Nord dépendent des livraisons du Bella Desgagnés pour la réception de tous leurs biens, dont les denrées alimentaires. Selon Marine Jasmin-Morin, responsable de l’administration chez Relais Nordik, environ 40% de ce qui est transporté sur le Bella Desgagnés est lié à l’alimentation. Lors de la dernière livraison avant la pause hivernale du cargo, les quantités de nourriture commandées sont d’ailleurs astronomiques, assure-t-elle. Pains, fruits, viandes et autres denrées seront alors congelées pour passer l’hiver.

À chaque port, des denrées sont déchargés pour approvisionner les épiceries des villages. Photo: Véronique Leduc

Produits locaux en vedette

À bord, entre les escales, la centaine de croisiéristes lisent, font des siestes, regardent les paysages, jouent à des jeux de société, surveillent les baleines, fraternisent et goûtent les saveurs du coin au restaurant du Bella Desgagnés.

En effet, depuis quelques années, l’entreprise s’est donné comme mandat de favoriser l’alimentation locale afin d’encourager l’économie de la région et de faire découvrir le terroir. «Pour les petits fruits, nous faisons affaires avec des cueilleurs privés et pour les poissons et fruits de mer, nous nous approvisionnons aux ports des villages», explique Marine Jasmin-Morin.

Au menu du Bella Desgagnés donc, qui sert 66 000 plats principaux par année: chicoutai, crabe, flétan, homard... Et l’an prochain, on compte intégrer les algues à certains plats.

Les produits de la région sont en vedette sur le menu du Bella Desgagnés. Photo: Véronique Leduc

Adapter la cuisine

Lynda et Erwann, les deux chefs à bord, doivent cuisiner autant pour les passagers que pour la quarantaine de membres d’équipage, et ce, peu importe les conditions de navigation. Pour ce faire, on adapte la cuisine en attachant solidement les chaudrons ou en éliminant certains aliments du menu lorsque les passagers ont le cœur sensible, par exemple.

À bord, c’est l’eau du Saint-Laurent qu’on boit, traitée par osmose inversée afin de la dessaler et de la reminéraliser. La technique permet d’éviter de transporter une très grande quantité d’eau à partir du port de Rimouski.

Les chefs à bord, Lynda et Erwann. Photo: Véronique Leduc

Apprendre à se réinventer

Plusieurs des communautés de la Basse-Côte-Nord sont historiquement des villages de pêcheurs. Mais parce que la pêche est moins abondante depuis quelques années, les villages, s’ils veulent survivre, n’ont pas le choix de se réinventer. Cueillette, transformation et agriculture sont donc nouvellement dans la mire des communautés qui désirent augmenter leur autonomie alimentaire.

Plusieurs communautés ont mis en branle des projets d'agriculture, comme ici à La Tabatière. Photo: Véronique Leduc

À lire dans les prochaines semaines sur Avenues.ca: des rencontres liées à l’alimentation lors des escales du Bella Desgagnés.

Ce voyage a été rendu possible grâce à l’appui de Tourisme Côte-Nord.