Menace terroriste: voyager ou ne pas voyager?
Nous sommes inquiets. Vous. Moi. Tous ceux qui prévoient voyager au cours des prochaines semaines. Devrions-nous changer nos plans à cause de la menace terroriste? Devrions-nous suivre, nous aussi, le conseil du département d’État américain, qui a recommandé à ses ressortissants d’éviter tout voyage non nécessaire dans un communiqué émis le 23 novembre dernier?
Je suis comme vous: confuse. Une part de moi a envie de rester bien au chaud, à la maison, près des miens. L’autre – celle qui finit toujours par prendre le dessus – a envie de tout faire pour ne pas donner raison à ces assassins et continuer à bourlinguer comme avant.
Comme plusieurs d’entre vous, je suis compulsivement l’actualité internationale. Je me questionne. Je comprends ces voyageurs qui révisent leurs plans, mais je refuse de me laisser intimider. Les laisser gagner? Pas question! Et puis, qu’est-ce qui nous dit que les prochains attentats n’auront pas lieu à deux pas de chez nous? Non, on ne base pas sa vie sur des «si» et des «peut-être».
Invitée à m’exprimer sur le sujet à l’émission d’Isabelle Maréchal au 98,5 FM, j’ai été tantôt perplexe, tantôt requinquée par les témoignages des auditeurs. L’un d’eux a décidé de ne pas passer ses vacances dans le Sud comme prévu. Un autre étudie la possibilité d’aller explorer des coins de pays qui l’attirent moins, a priori, mais qui ne risquent pas de devenir la cible des terroristes, comme les Territoire du Nord-Ouest. Une autre s’insurge qu’on se mette à soupçonner tous nos voisins dans les transports en commun.
Personnellement, j’ai toujours été consciente du danger, que je me trouve à Montréal, à Dakar ou à New Delhi. Autant je suis «dans ma tête» quand je voyage, me baladant dans une espèce de bulle rose, autant j’ai des yeux tout le tour de la tête. Mon radar n’est jamais éteint. Au moindre doute, je m’éloigne. Rien de rationnel dans ce comportement, mais j’ai compris il y a longtemps que ma petite voix intérieure est ma meilleure alliée.
Bien sûr, on ne peut pas prévoir un attentat terroriste. Je l’ai déjà écrit: comme plusieurs, j’aurais très bien pu me trouver sur l’une des terrasses attaquées ce vendredi 13 noir. Comme tous ceux qui profitaient de cette belle soirée d’automne, jamais je n’aurais pu soupçonner ce qui se tramait. Vais-je pour autant me terrer dans ma banlieue montréalaise, «au cas où»? Non, bien sûr! Comme plusieurs l’ont dit, la meilleure «vengeance» reste de continuer à vivre.
Ce que je redoute le plus en ce moment, ce n’est pas tant le terrorisme que la paranoïa ambiante. De passage à Paris, le fondateur de Syrian Eyes of the world, le Canadien d’origine syrienne Youssef Shoufan, a raconté dans un billet le malaise d’un client d’un café où il s’était arrêté avec ses bagages en arrivant en France. «Moins de cinq minutes plus tard, à moins de cinq mètres de moi, j’aperçois mon serveur discrètement discuter avec un client, très clairement à propos de moi, relate-t-il. Pas besoin d’entendre leur conversation pour comprendre que le client n’est pas à l’aise par ma présence [sic]. Le serveur vient m’expliquer que le client n’est pas à l’aise avec les valises et me demande s’il peut les déposer ailleurs. Je réponds qu’il n’y a aucun souci et qu’il pouvait même les ouvrir pour se rassurer. Les valises déplacées, mon premier instinct est alors d’inviter l’homme qui a eu peur et de régler son addition pour le petit-déjeuner.»
L’histoire se termine bien, par des excuses et un échange cordial. Malgré tout, je ne peux m’empêcher de songer à tous ceux qui n’ont pas la diplomatie et l’entregent de cet artiste et communicateur très engagé socialement. La tension peut grimper rapidement quand tout le monde est sur les dents…
J’ai souvent clamé mon amour du monde. J’ai encore envie de croire en l’humain et en sa grandeur d’âme. D’explorer cette planète pour mieux la comprendre. D’aller vers l’autre et d’apprendre de lui, ici comme ailleurs.
Allons-nous devoir nous habituer à trimballer la peur comme un boulet? Me mettrai-je moi aussi à soupçonner tout le monde? J’espère sincèrement que non. La peur pour rester alerte, oui. Mais celle qui isole et entraîne la haine, jamais.