La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Vivre aux États-Unis en temps de pandémie

Nombreux sont les médias internationaux à avoir souligné l’insouciance qui a longtemps régné au pays de l’oncle Sam en cette période de pandémie. Alors que le coronavirus se propage à une vitesse folle, la prise de conscience est de plus en plus grande partout à travers le pays. Donald Trump a dû se résoudre à prolonger les recommandations de confinement jusqu’à la fin avril. Certaines règles diffèrent cependant d’un comté à l’autre. Des Québécois expatriés à New York, en Californie et en Floride m’ont raconté à quoi ressemble leur quotidien depuis le début de la crise.



Annie Michaud, 40 ans, a transporté ses pénates dans la Grosse Pomme il y a neuf ans. Elle vit dans le quartier Astoria, dans le Queens, avec son amoureux et leur fille de deux ans et demi. Nous discutons au téléphone pendant qu’elle se balade dans le voisinage, histoire de s’aérer un peu les esprits. La conciliation travail-famille présente de nombreux défis! Elle admet avoir hésité avant de me parler, se disant qu’on vit tous la même chose, au fond. C’est justement la raison pour laquelle j’ai tant envie d’en savoir plus…

«J’habite à côté de l’hôpital qui est le plus affecté», glisse-t-elle. La rue où il se trouve est maintenant barrée. Des tentes de triage ont été ajoutées. Les sirènes d’ambulance font partie de son quotidien. «Ça ne me stressait pas au début, mais après avoir vu le nombre de décès, quand on sort marcher, on prend la direction opposée.»

«C’est une rue très achalandée normalement à cause des écoles et le métro qui est au coin de la rue.» Photo: Annie Michaud

Autour d’elle, le printemps semble bien installé. Les New-Yorkais ont envie de profiter du beau temps. «Il fait 20-25 degrés. Les gens vont généralement dans les parcs parce qu’on n’a ni cour, ni balcon. En ce moment, il n’y a presque personne dans les parcs et tout ferme tôt. Évidemment, il y a toujours des gens qui n’écoutent pas et qui continuent d’aller jouer au basket, mais on en voit de moins en moins.»

Des tentes de triage ont été ajoutées à l'hôpital. Photo: Annie

Au moment de rédiger ces lignes, il est toujours possible d’aller jogger ou de faire du vélo dans les parcs, mais les aires de jeux et de sports sont fermées. Sur le site des parcs de l’État de New York, une mention souligne l’importance de pratiquer la distanciation sociale. Un hôpital composé de tentes a par ailleurs été érigé dans le mythique Central Park. Les rassemblements et les sports de groupes y sont interdits jusqu’au 12 avril, mais s’y balader ou y promener son chien est permis.

De leur appartement, la fille d’Annie peut apercevoir le parc pour enfants où elle aime tant aller jouer. «C’est difficile de lui expliquer pourquoi il est impossible de l’y emmener», dit-elle.

Photo: Annie Michaud

Les épiceries ne suivent pas toutes les mêmes règles. «Il faut par exemple faire la file à celle qui est la plus proche de chez moi, alors que dans une autre, un peu plus loin, c’est business as usual

Télétravail et vie de famille

Gestionnaire des opérations du département de création d’une agence de publicité, la Québécoise travaille de la maison depuis près de trois semaines pour ses deux clients, Jaguar et Land Rover. Les derniers jours où elle s’est rendue au bureau, elle a été frappée par le peu de gens croisés dans le métro. Le calme qui règne près de la station de métro de son quartier l’étonne encore.

Son copain, superviseur au service à la clientèle au One World Trade Center, a été mis à pied temporairement. C’est lui qui prend soin de leur fille pendant qu’Annie travaille dans leur chambre, seule pièce où elle peut trouver la tranquillité nécessaire pour préparer l’après-COVID et répondre aux questions des clients.

Au moment de notre discussion, l’arrivée du navire-hôpital à Manhattan faisait la manchette de tous les bulletins de nouvelles. Bien qu’elle se dise satisfaite de la manière dont le maire de New York et le gouverneur de l’État prennent la situation en main, elle s’informe beaucoup par l’entremise des médias québécois pour avoir un autre son de cloche.

Les pertes d’emploi sont légion autour d’elle. «À New York, une forte majorité de gens occupent des emplois de service. Tous les acteurs de Broadway sont en arrêt, tous les guides touristiques… Toutes les familles que je connais ont au moins une personne sans emploi.»

Craint-elle de perdre le sien à son tour? «Je me dis que les gens qui ont les moyens de se procurer une voiture de luxe les auront toujours une fois la crise passée.» Elle a cependant dû effectuer une mise à pied à l’agence où elle travaille, une décision particulièrement crève-cœur. «C’est toujours stressant de mettre quelqu’un à pied, mais aux États-Unis, cela signifie aussi de ne plus avoir d’assurance maladie. Dans le contexte actuel, c’est une grosse décision.»

Enceinte d’un deuxième enfant dont la naissance est prévue pour novembre, elle a bon espoir que la situation reviendra à la normale d’ici là. «On nous dit que certains lieux pourraient rouvrir dans deux semaines…»

En attendant, les arcs-en-ciel décorent les fenêtres et les gens applaudissent les services sanitaires tous les soirs depuis quelques jours, comme c’est le cas dans plusieurs autres grandes villes du monde.

Quand les étoiles de Hollywood cessent de briller

À 48 ans, le photographe Éric Charbonneau s’est construit une carrière enviable à Los Angeles. Sur son compte Instagram défilent les plus grandes stars du cinéma et de la télévision. Vin Diesel, Sam Heughan, Samuel Jackson, Jennifer Aniston, Reese Witherspoon… Habitué aux tapis rouges et à la couverture des plus grands événements, il a vu tous ses contrats annulés en quelques jours.

«J’étais en processus d’acheter une nouvelle maison et de vendre la mienne, raconte-t-il. Je devais me rendre ensuite au Texas pour South by Southwest, à Las Vegas pour couvrir des événements et peut-être à Cannes. Quand mon client a décidé de ne plus aller au festival de Houston, j’ai compris que ce n’était pas le moment d’acheter la maison. J’ai tout annulé.»

Il habite actuellement seul à Santa Clarita, en banlieue de Los Angeles, mais continue de rendre visite à sa fiancée à Hollywood. «Un déplacement qui prend 45 minutes normalement en prend deux en ce moment, s’étonne-t-il. Il n’y a pas de trafic, c’est fabuleux! Les salles à manger des restaurants sont fermées, mais il est toujours possible de prendre des commandes à emporter ou de faire livrer. Tous les magasins sont fermés, sauf les services essentiels comme les banques, les stations-service, les marchés, les mécaniciens…»

Il dit n’avoir jamais autant vu ses voisins. «Les gens font attention. Ils se tiennent loin les uns des autres. Ils ne vont pas jouer au football ou au baseball. Je promène mes chiens deux fois par jour et je rencontre du monde dans la rue. Ils semblent inquiets autant pour le virus que pour l’argent, mais ce n’est pas la panique. Au supermarché, par contre, c’est différent. Le trois quarts des gens portent des masques et des gants. On a par moment l’impression que c’est la fin du monde tant les gens achètent du papier de toilette et des boîtes de conserve! Les lignes sont interminables. Il y a maintenant des restrictions sur certains produits.»

Bien qu’il soit asthmatique, le photographe ne s’en fait pas outre mesure. «J’en profite pour me reposer. Pour faire un reset. J’ai déjà préparé des plans d’action au cas où ça durerait plus longtemps.»

Selon lui, l’industrie dans laquelle il évolue ne pourra pas rester en pause plus de quelques semaines. «Il y a trop d’argent et de projets», estime-t-il.

En attendant de pouvoir dégainer à nouveau son appareil photo, il a fait l’acquisition d’une console PlayStation pour pouvoir jouer avec son fils, qui vit à Montréal avec sa mère, et son père, installé à San Diego. «On va pouvoir jouer tous ensemble à distance!»

Sous le soleil de la Floride

Depuis juin dernier, Samantha Boivin, 46 ans, coule des jours paisibles avec son mari et leurs trois ados à Orlando. Après avoir vécu 15 ans à Paris, où sont nés les enfants du couple, puis cinq ans au Québec et trois en Caroline du Nord, la famille apprécie le climat de la Floride et ses multiples avantages.

Le quartier de Samantha, en Floride.Photo: Samantha Boivin

Organisatrice d’événements pour WomenHack, un organisme s’adressant aux femmes œuvrant dans le domaine des technologies, en plus d’être coach et conférencière dans ce domaine, Samantha a eu l’occasion de s’arrêter dans une trentaine de villes des États-Unis au cours des dernières années. Elle affirme que sa perception a beaucoup changé depuis le début de sa vie américaine, en 2016. «J’imaginais que les Américains avaient tous des fusils et conduisaient des pick-ups, mais il n’y a pas que ça!»

Le quartier de Samantha, en Floride. Photo: Samantha Boivin

Bien qu’elle pose un regard critique sur son pays d’adoption, elle l’est également de sa province natale. Le décalage entre la couverture médiatique du Québec et des États-Unis lui saute particulièrement aux yeux en ce moment. Autant elle considère que les États-Unis ont mis du temps à réagir, autant elle trouve le ton des journalistes québécois alarmiste.

Si, de notre côté de la frontière, nous avons eu l’impression qu’un mois entier s’était écoulé entre le 12 et le 13 mars, quand tout a basculé, sous le soleil de la Floride, l’esprit était toujours à la fête. «Le 14 mars, la piscine municipale était pleine, raconte Samantha. Nous étions en plein spring break. Je m’attendais à voir un événement auquel je devais participer le 15 reporté, mais quand j’ai demandé s’il aurait toujours lieu, tout le monde s’en est étonné. Personne ne comprenait pourquoi il aurait pu être annulé.»

Elle a vu les comportements changer, depuis. «Les gens prennent les choses plus au sérieux depuis que les chiffres montent. Au supermarché, je trouve par contre les gens un peu collés les uns aux autres. Les Américains sont très attachés à leur liberté.»

Un couvre-feu est imposé entre 23h et 5h depuis la semaine dernière dans Orange County. «Les gens ont peur qu’il y ait plus de crime», dit-elle. Les règles varient toutefois d’un comté à l’autre. «Un county peut imposer le confinement, mais pas le voisin. C’est comme si Québec décidait qu’il fallait rester confiné, mais pas Trois-Rivières. C’est très étrange! Il ne faut pas se demander pourquoi il y a autant de cas…»*

Elle déplore toutefois les railleries de ses compatriotes envers les Américains, qui fusent de partout. «C’est facile d’avoir des idées préconçues, dit-elle. On a des consignes ici aussi, même si plusieurs pensent que c’est le Far West. Les gens les écoutent – dans mon quartier, du moins.»

Retour en classe… virtuel

Comme son mari travaillait déjà de la maison, Samantha admet ne pas percevoir de grands changements dans son mode de vie jusqu’à présent, même si son travail est actuellement en pause. Ses enfants de 12, 15 et 19 ans s’accommodent eux aussi plutôt bien de la situation. «On a établi des règles: personne ne reste en pyjama jusqu’à midi. On essaie de se faire une vie même si on ne va pas loin. Mon fils de 15 ans, qui a perdu tous ses copains au fil des déménagements, dit n’avoir jamais été aussi heureux parce que tous ses amis sont en ligne. Ma fille de 12 ans s’est quant à elle découvert une passion pour les biscuits. Notre aînée passe beaucoup de temps dans sa chambre, de toute façon.»

Le véritable défi était le retour à l’école en mode virtuel, cette semaine. Le premier matin, le réseau a cependant connu des ratés. «Tout le monde doit s’adapter.»

Jusqu'à la semaine dernière, Samantha prenait plaisir à se rendre à la plage. Photo: Samantha Boivin

Jusqu’à la semaine dernière, Samantha prenait plaisir à se rendre à la plage. L’étendue de sable d’où elle contemplait la mer n’avait toutefois rien à voir avec les secteurs bondés dont les images ont fait le tour du monde. Malgré tout, elle a décidé de ne plus s’y rendre. «Les chiffres me préoccupent de plus en plus…»

Maintenant que les piscines sont fermées, le clan s’affaire à en installer une dans la cour. «C’est un projet commun. Ça nous unit. On bat des records de chaleur en ce moment. Il fait 35!»

«On dirait même que je vais mieux depuis que le coronavirus nous a forcés à ralentir.» Photo: Samantha Boivin

Elle hésite, puis enchaîne: «Je n’ai jamais autant fait de sport. J’ai recommencé à courir. On fait du vélo. Je prends des apéros avec mon chum… Je pense que c’est plus facile de vivre ça ici. On dirait même que je vais mieux depuis que le coronavirus nous a forcés à ralentir. Ai-je le droit de dire ça? Ça ne veut pas dire que je ne m’inquiète pas, par contre.»

* Le 1er avril, le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, a ordonné le confinement aux 21 millions d’habitants de l’État.