Vivre au Mexique en temps de pandémie
Le 19 mars dernier, comme bien d’autres voyageurs, Jean-François Guay, 52 ans, s’est rué à l’aéroport. Ce n’était toutefois pas pour rentrer au pays… mais pour le quitter. Propriétaire d’une luxueuse villa à Tulum depuis 2018, il s’est ainsi retrouvé avec quatre autres passagers dans un avion en direction de Cancún destiné à rapatrier des Canadiens.
«Je suis graphiste, raconte-t-il depuis sa piscine, un mois plus tard. J’ai fait construire cette villa après avoir eu un coup de foudre pour Tulum parce que je voulais réorienter ma carrière et travailler d’ici. Mon but était d’organiser des retraites de croissance personnelle, de la louer et de voyager. C’est un projet de couple qui est devenu un projet personnel. Mon plan était de venir m’installer ici d’ici la fin de l’année. J’ai dû venir plus rapidement que prévu.»
En l’espace de dix jours, toutes les réservations ont été annulées sur Airbnb. «J’ai besoin de louer 150 nuitées dans l’année pour que mon projet soit rentable. J’avais un mois de mars très garni. J’allais faire assez d’argent pour pallier les mois plus tranquilles qui allaient suivre.»
La compagnie s’occupant de gérer la location sur place ayant cessé ses activités, il s’est retrouvé avec une villa vide… et personne pour la surveiller. «Les gens m’ont beaucoup critiqué quand je suis parti, mais devais-je laisser mon investissement sans entretien ni surveillance? Devais-je laisser mon fonds de pension à la merci d’on ne sait quoi?»
En un mois, il a vu l’évolution de la pandémie de l’intérieur. Il lui est maintenant interdit d’aller à la plage, littéralement déserte lors de sa dernière visite à la fin mars. Se rendre au centre-ville lui prend environ cinq minutes en voiture. Les rues sont désertes!
«On sent vraiment le stress ambiant, raconte-t-il. À l’épicerie, il y a l’armée et la police. On fait notre épicerie comme si c’était une question de survie! Quand j’entre ou sors de la ville, on prend ma température et on vérifie que j’habite bien sur place. J’ai toujours une copie de mon compte d’électricité avec moi, en PDF, dans mon téléphone. Je porte un masque. Dans l’État du Quintana Roo, il y a aussi un couvre-feu à 22h.»
À quoi occupe-t-il ses journées? «Il y a beaucoup de feuilles à ramasser à cette période de l’année. Je fais une sieste l’après-midi parce qu’il fait très chaud. Je fais aussi un peu de soutien technique et des promos à distance pour des amis, mais plus pour m’occuper que pour faire de l’argent.»
Père de deux jeunes hommes dans la vingtaine et d’une ado de 16 ans dont la santé requiert un confinement total, il s’est assuré que tous ses proches étaient en sécurité avant de quitter le pays.
Au-delà des clapotis de la piscine, des 35 degrés et des images de rêve qui surgissent quand il décrit son environnement – soleil, palmiers et bananes à volonté –, son inquiétude est palpable. «À Montréal, j’ai fait faire pour 600 000$ de rénovations dans mes condos du Plateau Mont-Royal, que je m’apprêtais à mettre en vente en prévision de mon installation au Mexique au moment où la crise a débuté. En ce moment, j’ai pour plus de 3 millions de dollars de maisons, mais 400$ dans mon compte bancaire. Je caricature, mais c’est presque ça. J’ai des réserves pour environ deux mois. Je ne sais pas quand je reviendrai au Canada.»
Sa villa se trouve dans un nouveau quartier de Tulum. Les facteurs n’y livrent même pas le courrier! «Ma maison est isolée. Je n’ai pas de voisin immédiat. Ma propriété est clôturée à trois mètres de haut, j’ai des fils électriques, des caméras et il y a deux barrières avant d’entrer chez moi, mais je dors quand même avec une machette… Une amie m’a dit que des gens avaient tenté de s’introduire dans son appartement à deux reprises. On m’a suggéré de me louer un chien.»
Il avoue ressentir un certain vertige devant l’incertitude actuelle. «Mon plan est tombé à l’eau. D’un point de vue émotionnel, je fais beaucoup de deuils en ce moment. Je suis dans une villa extraordinaire, mais je suis seul dedans.»
Le bon côté: son projet était sur une belle lancée avant la pandémie. «J’avais augmenté mon chiffre d’affaires de 38%.»
En attendant le retour des touristes, il prend soin de ce projet qu’il a tant chéri. «J’ai 500 mètres carrés de terrain, avec palapas, piscine et palmiers. Ce n’est pas un environnement propice pour être déprimé. Et puis, je suis autosuffisant en bananes!», lance-t-il en riant.
En attendant bébé
Au moment où Marie-Ève Méthot a dit au revoir au beau Mexicain qu’elle avait fréquenté pendant quelques semaines avant qu’il ne rentre dans son pays natal, elle ne savait pas si elle donnerait suite un jour à son invitation d’aller lui rendre visite. Elle vivait alors à Tokyo et se passionnait pour le Japon. Dix ans plus tard, après des années de correspondance sur Facebook, elle s’est envolée pour le pays de Frida Kahlo. Elle vivait alors à Montréal, où elle s’était bâti une carrière dans le monde de la publicité.
Trois ans après ce voyage au Mexique, suivi de plusieurs autres, elle se prépare pour l’accouchement de leur enfant dans une maison des naissances de Guadalajara, deuxième plus grande ville au pays.
Enceinte de 35 semaines, la jeune quarantenaire se trouvait au Québec au moment où la crise s’est intensifiée. Elle a devancé son départ pour l’État du Jalisco quand les frontières ont commencé à se refermer. «Depuis un an, j’ai surtout des contrats en télétravail, raconte-t-elle. Alors c’est plus facile pour moi de travailler d’ici. Je devais revenir au Mexique le 19 mars, mais j’ai devancé mon départ au 16 en soirée.» Quelques jours plus tard, l’État du Jalisco fermait à son tour ses frontières.
«Quand je suis arrivée, le 17 mars, il n’y avait aucune consigne particulière à l’aéroport. Je me suis mise en quarantaine volontaire. Depuis, les règles se sont resserrées. Les femmes enceintes, les gens malades et les personnes de plus de 60 ans n’ont plus le droit de sortir. On veut nous protéger.»
Guadalajara se trouve 1566 mètres au-dessus du niveau de la mer. L’appartement qu’elle occupe avec son amoureux et un autre couple de colocataires se trouve dans un quartier huppé de la ville. Bien qu’elle reste à la maison, elle a droit à de superbes points de vue sur les environs.
Son occupation principale en ce moment? Dormir! «Je fais de l’insomnie, mais je dors beaucoup. Je suis aussi des cours d’espagnol avec une prof de l’Institut de la culture trois fois par semaine par l’entremise de Skype. Ma prof est devenue une amie au fil du temps.» Elle cuisine aussi beaucoup, s’inspirant du Québec, du Japon et du Mexique pour mitonner ses plats.
Son amoureux travaille surtout de la maison, mais doit parfois sortir. «Il a une compagnie qui fabrique des meubles recyclés faits sur mesure, explique-t-elle. Je suis entourée d’entrepreneurs. Le nouveau gouvernement protège les gens très pauvres, mais les PME doivent continuer de payer leurs employés. On ne peut pas les envoyer au chômage ou les mettre à pied. Mon conjoint a conclu des ententes avec ses employés. Mes beaux-parents avaient une papeterie, qu’ils ont fermée. Mon coloc, lui, développe actuellement une boutique en ligne.»
Bien qu’elle sorte peu, elle a l’impression que les Mexicains vivent toujours dans une certaine insouciance. «Tant qu’ils ne sont pas touchés directement, ils sont plutôt détachés. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus d’angoisse et d’anxiété au Québec. Les gens ne comprenaient pas pourquoi je voulais me mettre en quarantaine en arrivant. Ah! Et nous avons aussi notre Dr Horacio! Il s’appelle López Gatell. C’est notre héros du domaine de la santé!»
L’accouchement de leur fils, qui se prénommera Lilio, est prévu fin mai. «Nous cherchions un nom qui peut se dire facilement dans différentes langues. J’aurais aimé un nom japonais, mais tous ceux que j’aimais s’apparentaient à des insultes en mexicain!»
Joli clin d’œil du destin, des jacarandas, arbres à fleurs mauves qui rappellent les sakuras japonais, sont visibles de la chambre de Lillio. «J’ai appris qu’ils avaient été offerts au Mexique par un Japonais…»
La vie à Guanajuato
Ville universitaire, Guanajuato, dans l’État du même nom, devait être une simple escale dans la vie de Gabrielle Faucher, 28 ans. Venue travailler comme assistante de langue dans le cadre d’un programme piloté par le gouvernement du Québec à la fin de ses études à l’Université Bishop, elle est tombée sous le charme de la ville de près de 185 000 habitants. Patrimoine mondial de l’humanité depuis 1998, Guanajuato est entourée de montagnes. «J’ai voulu rester parce que la ville est magnifique et que j’aimais beaucoup l’ambiance, raconte la Québécoise originaire de Sherbrooke. Quand on m’a dit qu’un poste s’est libéré à l’université où j’avais été assistante de langue, j’ai postulé et j’ai été embauchée.»
Après deux ans à enseigner, elle a eu envie d’entreprendre une maîtrise. Au moment de notre conversation, elle attendait impatiemment des nouvelles de sa bourse d’études. «Il y a des retards de papiers», dit-elle.
Quelques minutes avant de me raconter son quotidien, elle donnait un cours à un étudiant… au Japon. «Je donne des cours de français à distance à des étudiants qui se trouvent un peu partout, explique-t-elle. Comme l’entreprise qui m’emploie se trouve au Japon, j’ai surtout des étudiants dans ce pays.»
En couple depuis deux ans avec un Mexicain qui effectue des contrats d’entretien pour le ministère de la Santé, elle reste à la maison pendant que ce dernier cumule un maximum d’heures de travail pendant que c’est encore possible. Leur appartement est spacieux, mais les fenêtres sont toutes petites. «Beaucoup de gens sortent encore, observe-t-elle. On recommande de ne pas le faire, mais il n’y a pas d’amendes. De toute façon, presque tous les universitaires ont quitté la ville quand les cours ont été annulés.»
L’appartement qu’elle occupe avec son amoureux ne se trouve pas dans la ville coloniale, où les gens se déplacent surtout à pied. Il leur est nécessaire d’avoir un véhicule pour faire les courses. «C’est maintenant interdit d’entrer à deux dans les épiceries, alors c’est mon chum qui s’en occupe. Tout le monde doit rester à deux mètres de distance. La dernière fois que je suis sortie, c’était il y a une semaine et demie.»
Petites exceptions: le couple a effectué quelques balades à moto dans les environs, sans toutefois s’arrêter. «On ne prend pas de risque. Mon chum freake pas mal. Chaque fois qu’on sort, on emporte 3000 lingettes désinfectantes!»
Au moment de notre discussion, les vacances de Pâques tiraient à leur fin. La pandémie a changé assez peu de choses pour elle au quotidien, si ce n’est le retard administratif. «Je faisais déjà environ 95% de ma maîtrise à la maison.»
À part les cours qu’elle donne par Internet et sa maîtrise, comment occupe-t-elle son temps? «Je dors beaucoup trop, je cuisine et je regarde Netflix. Je continue aussi de voir ma psy à distance.»
Le 29 mars dernier, sa famille devait lui rendre visite pour son anniversaire. «Je devais aussi aller au Québec cet été. Mon chum voulait partir à moto, traverser les États-Unis, et venir me rejoindre. Nous devions aussi aller au mariage d’un couple d’amis en Ukraine en août…»
Oui, partout sur la planète, le temps est suspendu.