La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Un été local

Aller ou ne pas aller dans une autre région pendant les vacances d’été? Comme plusieurs d’entre vous, je me questionne.



Alors que le gouvernement canadien recommande depuis mars d’éviter tout voyage non essentiel à l’extérieur du pays jusqu’à nouvel ordre, je suis déchirée entre l’envie de m’offrir des moments d’évasion en famille dans la Belle Province et la crainte d’être reçue avec une brique, un fanal… et la peur. Cette foutue peur qui, même justifiée par des chiffres qui donnent froid dans le dos, transforme parfois les gens les plus accueillants en blocs de glace.

Comme vous, j’ai vu les résultats d’un sondage réalisé en avril par la firme Léger, qui dévoilait qu’environ huit personnes sur dix vivant à l’extérieur de la métropole souhaitaient qu’on isole Montréal du reste du Québec. J’ai pris connaissance des commentaires radicaux sur différentes tribunes, mais aussi de certains avis d’experts qui s’inquiètent pour les régions, principalement parce que les infrastructures sanitaires et hospitalières pourraient ne pas suffire si le nombre de cas explose.

J’ai aussi assisté, déroutée, à des dérapages de citadins outrés de ne pas se sentir désirés. Combien de commentaires remplis de condescendance ai-je vus passer alors que, piqués au vif par le déferlement de «restez chez vous!», ces derniers ne trouvaient rien de mieux que de réagir comme des ados frondeurs et un brin insolents? Doit-on vraiment toujours en venir au rat de ville et au rat des champs?

Entre les deux se trouvent des voyageurs comme moi, coincés entre l’arbre et l’écorce. Je suis née au Lac-Saint-Jean et je vis dans la région montréalaise depuis le début de ma vie adulte. J’ai une envie folle de m’offrir un grand bol d’air pur et, par ricochet, de dépenser dans les entreprises touristiques locales, mais la peur d’une partie des Québécois… me fait peur.

Je comprends cette peur, remarquez. Toute situation observée à travers la lorgnette des médias est amplifiée par la distance. Lors de mes discussions avec des Québécois confinés aux quatre coins de la planète, j’ai maintes fois senti ce décalage entre ma perception, depuis mon bout du monde, et la leur. Sans nier la réalité, tout semble pire quand on est loin. Mais ai-je pour autant envie d’aller quelque part où je risque de me faire regarder comme une espèce de paria? Marcher sur des œufs ne correspond pas spécialement à ma vision idéale des vacances.

Photo: Marie-Claude Viens, Facebook Tourisme Saguenay-Lac-Saint-Jean

Pourrons-nous rendre visite à nos familles?

Comme ma famille est dispersée au Saguenay et au Lac-Saint-Jean, j’en suis venue à élaborer des scénarios potentiels au cours des dernières semaines avec mes sœurs et mon père (ma mère n’est pas sur les réseaux sociaux), qui nous permettraient de respecter la distanciation physique.

— Et si on plantait notre tente dans votre cour et qu’on désinfectait votre toilette chaque fois que nous l’utiliserons? ai-je proposé à l’une de mes sœurs.

— Venez chez nous, plutôt, la cour est assez grande pour une tente, une roulotte et un campeur, a renchéri mon père, qui habite dans un rang, avec la forêt à l’arrière et la rivière devant.

— Oh! Et c’est encore plus simple: nous pourrons aller faire pipi dans le bois! ai-je lancé, soudainement nostalgique des rares moments de mon enfance où j’acceptais d’aller dans la forêt, moi, l’enfant mordue de lecture, de cinéma et de télé.

Ce plan qui m’aurait sans doute fait grimacer il y a à peine quelques mois (je DÉTESTE le camping, à moins qu’il implique un lit confortable et une salle de bain comme dans les Villages Huttopia et autres lieux de glamping) m’apparaissait comme une fabuleuse aventure qui me permettrait enfin de voir ma famille. Le hic, c’est qu’en suivant ce scénario, notre présence n’aurait aucun impact sur l’économie, puisqu’on resterait entre nous.

Le Dôme est un hébergement insolite proposé au Parc Aventures Cap Jaseux. Photo: Facebook Parc Aventures Cap Jaseux

Lueur d’espoir

Chaque entreprise touristique évalue en ce moment les options qui s’offrent à elle en tenant compte du Plan de sécurité sanitaire COVID-19 de l’industrie touristique de la Santé publique. Certaines, comme le Train de Charlevoix, une de mes expériences coups de cœur des dernières années, ont déjà annulé leur saison estivale 2020, le jeu n’en valant pas la chandelle.

Depuis le 20 mai, certains sentiers de randonnée pédestre et de vélo, ainsi que des lacs pour la pêche à la journée de la SÉPAQ, sont accessibles en autonomie (les toilettes, qui se trouvent souvent dans les bâtiments d’accueil, ne sont pas accessibles en ce moment). Dès le 29 mai, les institutions muséales seront aussi autorisées à recevoir les visiteurs sur l’ensemble du territoire. Eux aussi devront se conformer aux règles sanitaires édictées par les autorités de santé publique et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Dans une lettre à propos des défis de la reprise touristique publiée le 9 mai dernier, le président-directeur général de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec (AITQ), Martin Soucy, a entre autres rappelé que «les régions les plus populeuses, notamment la grande région de Montréal, procurent dans les faits entre 50% et 60% du volume touristique domestique de plusieurs régions» et que «les bassins de population locale, voire régionale, peuvent difficilement soutenir, par leurs seules dépenses, les tissus économiques de notre secteur».

«Notre industrie a été la première affectée et sera la dernière à pouvoir revenir à plein potentiel», observe Anne Hélène Couturier, conseillère en communication corporative à l’AITQ. Les Québécois ayant déjà l’habitude de réserver leurs escapades au Québec à la dernière minute depuis une dizaine d’années, elle a bon espoir que nous pourrons faire du tourisme près de chez nous… et un peu plus loin. «On fait appel aux partenaires de notre industrie et aux voyageurs. On comprend que nous avons évidemment tous hâte de sortir et planifier les vacances, mais nous devons être patients.»

Tous les intervenants du milieu touristique avec lesquels j’ai eu l’occasion de discuter au cours des dernières semaines m’ont parlé de l’importance de rassurer autant les vacanciers que les habitants de leur région respective.

Maintenant que le nombre de cas est en décroissance, les craintes s’atténueront sans doute progressivement elles aussi. Du moins, je l’espère de tout cœur. Parce qu’ultimement, nous souhaitons tous la même chose: cohabiter dans l’harmonie, le respect… et la sécurité.