La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Quand le voyage trace la voie

Je ne me lasse pas des histoires de routes et de hasards. J’ai parfois l’impression que c’est le voyage qui pointe la direction à prendre et non l’inverse. C’est ce qui est arrivé à Marjolaine Poulin alias Mao, Québécoise installée au El Salvador depuis maintenant dix ans.

Son histoire, je l’ai relatée dans un magazine il y a sept ans. Alors âgée de 28 ans, Mao m’avait raconté avoir occupé mille et un boulots avant d’être initiée à l’art de la menuiserie en bambou par un maître taïwanais rencontré au Guatemala. «Femme de chambre à Tofino, préposée au remonte-pente à Sunshine Village, service à la clientèle chez Première Moisson, télémarketing pour une compagnie de gazon, monitrice dans un camp de vacances pour familles défavorisées à Sainte-Véronique, caissière dans un magasin a 1$ à San Diego, barmaid et aubergiste à Monterrico au Guatemala, ainsi qu’occasionnellement cracheuse de feu et jongleuse pour des soirées endiablées un peu partout.»

Au fil des détours, sa route a croisé celle d’Olivier Dubois, propriétaire de l’Eldorado Surf Resort, au El Salvador. Lors de mes premiers échanges avec elle, elle venait de s’installer là-bas et se passionnait pour la création de meubles et de luminaires en bambou. Que devient-elle? me suis-je demandé au moment où je préparais mon texte sur les voyages qui changent la vie. Alors je lui ai écrit.

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La vie au El Salvador

Petit retour en arrière. En 2008, Mao semble comblée par l’ébénisterie. Elle constate toutefois que son intérêt pour le bambou n’est pas partagé par tous. «J’ai commencé à comprendre que cette fibre naturelle renouvelable si prisée en Amérique du Nord et en Europe est pourtant mal aimée dans plusieurs pays d'Amérique centrale. Le bambou a la fâcheuse réputation d'être un matériau souvent associé à la pauvreté. Il est difficile de changer les mentalités dans une culture où le design écologique et le retour aux matériaux bruts sont loin d'être en vogue.»

Quand un poste de chef cuisinier est à combler à l’hôtel, elle saute sur l’occasion pour entreprendre une nouvelle carrière.

Revenir au Québec... mais pas complètement

Que se passe-t-il quand on glisse doucement vers une vie quotidienne plus stable, même dans un décor paradisiaque? La routine finit-elle par nous rattraper? Et les projets laissés en plan?

«En 2010, je brûlais d'envie de faire un projet d'ébénisterie avec les matériaux disponibles au Québec, poursuit Marjolaine. Je suis revenue à Montréal quelques mois pour entreprendre le projet SCRAP.» En gros, il s’agissait de récupérer des meubles abandonnés lors des déménagements du 1er juillet et de leur donner une seconde vie.

Elle revient passer l’hiver en Amérique centrale et réintègre l’équipe de l’Eldorado. «Au cours des années suivantes, j’allais et venais entre mon emploi de chef cuisinière au bord de la mer et les meubles à retaper dans le garage de ma mère l’été, au Québec.» Elle trouve un certain équilibre entre son désir de voyager et celui de retrouver ses racines.

«Je me réintégrais tranquillement dans la vie québécoise, confie-t-elle, mais jamais assez longtemps pour trouver ça ennuyant. Un peu comme quand on se sauce dans un lac trop froid: à petits coups.»

Ces «petits coups» font surgir un sentiment d’appartenance et un besoin de stabilité qui la prennent «par surprise», selon ses dires. «En 2013, Olivier et moi craquons pour un terrain boisé avec un étang dans la région des Laurentides. C'est là qu’un projet d'autoconstruction prend forme.» Le couple défriche le terrain et imagine la maison qu’ils y bâtiront dans ses moindres détails. «L'été, on travaille sur la maison, et l'automne arrivé, on repart pour le Sud pour gérer notre petit hôtel d'une dizaine de chambres. Il y a quelque chose dans le contraste des deux pays et le changement perpétuel qui me garde alerte et vivante.»

Et maintenant? «Plein de projets d'ébénisterie, de couture, de soudure… Oui, je viens d'apprendre à souder! Avec un bel atelier lumineux rempli d'outils pour jouer. Ce n'est qu'une question de temps avant que je réactive le projet SCRAP ou que je me lance dans sur une autre série d'idées farfelues…»

Oui, de quoi garder alerte et bien en vie!