Les Balkans par les rails
Rien ne me fait plus rêver qu’un long trajet sur rails. Ainsi, prendre le train qui relie Bar, au Monténégro, à Belgrade, en Serbie, m’apparaissait comme la meilleure manière de découvrir ces deux contrées de la péninsule des Balkans. En choisissant la voie ferrée, j’aurais le temps de savourer pleinement le paysage. Sauf qu’entre le rêve et la réalité, il y a parfois un sacré décalage…
J’arrive à Podgorica, capitale du Monténégro, en autobus depuis l’Albanie, avec ma fille. Nous attrapons de justesse le train qui file vers Bar, où nous passerons la nuit avant de débuter notre aventure sur rails. En cet après-midi de juillet, le mercure frôle les 30 degrés. Les wagons sont bondés. Et il n’y a pas de clim.
Nous nous retrouvons coincées dans le dernier wagon, près des toilettes. Il suffit de pousser la porte qui nous sépare de la cuvette pour nous convaincre de ne pas y poser nos fesses. Tout ce qui y tombe se retrouve illico sur les rails. Et je ne vous parle même pas de l’odeur... Odeur qui nous accompagnera jusqu’à notre arrivée, une cinquantaine de minutes plus tard, puisqu’il est impossible de se frayer un chemin vers un autre wagon.
«Est-ce le pire train que vous avez pris?» me demande un passager, amusé par nos réactions. Étudiant en tourisme, ledit passager – première personne maîtrisant l’anglais rencontrée depuis des jours – éclate de rire quand je lui apprends que le trajet de train reliant Bar à Belgrade est considéré comme l’un des plus beaux au monde par certains voyageurs. «Vraiment?» Je suis encore moins rassurée quand il affirme que c’est ce même train qui nous emmènera vers la Serbie en une douzaine d’heures le lendemain…
La bonne nouvelle: il avait tort. Ou alors, nous avons eu de la chance. Comment en être sûr, alors qu’aucun des préposés des gares ne parlait anglais et que les informations en ligne se sont avérées erronées à plus d’une reprise depuis le début de notre voyage dans les Balkans?
Entre émerveillement et désenchantement
Le train dans lequel nous prenons place, le lendemain, est climatisé et les toilettes nous apparaissent presque luxueuses en comparaison avec celles de la veille. Pas le grand confort, mais tout à fait supportable pour une journée.
Nous partageons notre compartiment avec une dame serbe dont le mari travaille à Bar et une jeune Allemande en vacances. Les deux premières heures, je reste debout, près de la fenêtre, les yeux grands ouverts, poussant des «wow!» toutes les deux minutes. Le turquoise de la mer contraste avec le vert vif des arbres et les toits orangés des maisons de la côte. Complètement hypnotisée par le paysage qui défile, je reste captive devant les montagnes, les rivières, les gorges, les canyons et les ponts. Chaque fois que nous pénétrons dans un tunnel – il y en a 254 entre Bar et Belgrade –, j’ai l’impression de déballer un cadeau de Noël, ne sachant pas ce qui se trouve de l’autre côté.
Soudain, le train s’arrête. Après plus d’une heure d’attente, nous finissons par comprendre qu’une nouvelle locomotive est en route, la nôtre ne pouvant plus avancer. Je profite de cette escale forcée pour discuter avec d’autres passagers. Trois Américaines me racontent avoir pris ce même train, à l’aller, et avoir tellement aimé le voyage qu’elles ont choisi de le refaire à l’inverse. «Par contre, l’autre train n’avait pas la clim. Nous avons préféré faire le voyage avec les fenêtres ouvertes, c’est plus pratique pour prendre des photos.»
Les heures s’égrènent. Les étrangers se relaient pour aller chercher des bribes d’information auprès des employés, qui boivent de la bière dans un petit local, de l’autre côté des rails. Nous repartons plus de trois heures et demie après avoir été immobilisés.
Une vingtaine de minutes après s’être remis en marche, le train s’arrête à la frontière. Les douaniers montent à bord pour vérifier nos passeports et cartes d’identité. Ils filent avec la pile de documents, sous nos regards inquiets. Ils reviennent heureusement peu de temps après. Le train redémarre. Nous ne sommes toutefois pas encore au bout de nos peines…
Le paysage se transforme, mais une thématique demeure: les montagnes. Des falaises vertigineuses du Monténégro, nous traversons maintenant des collines verdoyantes. Nous longeons une rivière pendant un bon moment. À Priboj, je remarque de nombreux bâtiments en décrépitude.
Je n’ai pas très bien compris si la locomotive a été changée trois ou quatre fois, mais les arrêts ont, par la suite, été tellement longs et fréquents qu’à un certain moment, une passagère est descendue du train en furie, faisant rouler sa valise sur les rails. Résultat des multiples pépins, la nuit est tombée alors qu’il restait encore cinq heures de trajet. «C’est la plus belle partie!» s’est désolé notre voisine serbe.
Dans les environs de Zlatibor, elle évoque le cinéaste Émir Kustorica. Je crois comprendre qu’il en est originaire, mais en vérifiant, plus tard, je constate qu’il est plutôt né à Sarajevo. Par contre, il est effectivement lié au secteur, ayant fait construire un village nommé Küstendorf pour son film La vie est un miracle (2001), à environ 200 km au sud-ouest de Belgrade. Aujourd’hui habité, l’endroit est décrit comme un charmant «ethno-écovillage». On y trouve notamment une école de cinéma.
Je ne verrai pas non plus les villages aux noms imprononçables que ma voisine note sur mon téléphone afin que je puisse au moins aller les voir sur Internet plus tard.
Bonjour, Belgrade!
La gare de Belgrade étant en construction, le train s’arrête quelques kilomètres avant d’entrer dans la ville, au milieu de nulle part. Il est 2h du matin. Le voyage aura duré plus de 17 heures. L’endroit est désert et la porte de la petite gare, verrouillée. Aucun taxi à l’horizon. Les passagers repartent avec leurs proches, venus les attendre. Devant notre désarroi, une jeune femme appelle des taxis pour la quinzaine de passagers étrangers. Nous partagerons le nôtre avec l’Allemande.
Chemin faisant, nous parvenons à échanger quelques mots avec notre chauffeur, qui a vécu toute sa vie en Serbie. Il ne comprend pas ce que nous sommes venues faire chez lui, qualifiant sa ville d’ennuyeuse.
— Où aimeriez-vous vivre? lui demandai-je.
— À Toronto. Ce sont les champions de la NBA!
Quelques heures plus tard, après une bonne douche, nous assistons au lever du soleil sur Belgrade du haut de l’hôtel Mama Shelter. Alors que je scrute l’horizon, je me demande si notre chauffeur de taxi serait aussi émerveillé que nous en ce moment en voyant Toronto s’éveiller…
Pratico-pratique:
- Coût du billet de train entre Bar et Belgrade: 21 euros (31$) + 3 euros pour réserver une place.
- Durée prévue du trajet: 12 heures. Les retards sont fréquents.
- Mieux vaut emporter des provisions, le wagon-restaurant ayant un menu très limité.
- Il est possible d’effectuer ce trajet de train avec la nouvelle Balkan Flexipass ou l’Eurail Global Pass. Info: www.raileurope.ca.
- L’ancienne gare de Belgrade accueillait jadis l’Orient-Express.
Merci à Rail Europe.