La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Le malaise américain

Je me questionne. Beaucoup. Tout le temps, à vrai dire. Voyager, pour moi, ce n’est pas vraiment des vacances.



Depuis quelques années, l’insouciance a rarement sa place dans mes bagages. Devrais-je continuer à visiter des coins du monde qui me confrontent à mes valeurs? Écrire sur des pays où les droits de la personne sont bafoués? Où l’environnement semble à des années-lumière des préoccupations? Devrais-je arrêter de voyager tout court, puisqu’en plus des enjeux liés à mon empreinte carbone, les questions éthiques sont sans fin? Oui, je me questionne

Un avertissement à ne pas prendre à la légère

Vous avez peut-être été étonné, vous aussi, de découvrir l’avertissement émis par le gouvernement canadien pour les personnes LGBTQ+ qui voyagent aux États-Unis, publié à la fin du mois d'août. Sur son site Internet destiné aux Canadiens qui voyagent aux États-Unis, Affaires mondiales Canada a indiqué dans son ajout: «Certains États ont adopté des lois et des politiques susceptibles d’affecter les personnes 2ELGBTQI+. Vérifiez les lois locales et celles de l’État concerné.»

Généralement, ce type d’avertissement se retrouve dans des pays qui nous semblent bien loin de nous. Dans ce cas-ci, il s’agit non seulement de notre voisin géographique, mais aussi de la destination fétiche de bien des Canadiens. Chrystia Freeland, ministre des Finances et vice-première ministre du Canada, a tenu à préciser que les avertissements du gouvernement pour les voyageurs canadiens «ne sont pas politiques». N’empêche, cet avis est la conséquence de la multiplication des politiques hostiles envers les personnes LGBTQ+ et des événements violents des derniers mois, dont la tuerie dans une discothèque de Colorado Springs en novembre dernier.

Photo: Gerson Repreza, Unsplash

Le choc américain

J’ai souvent ressenti des chocs culturels en visitant les États-Unis, mais je refuse de généraliser. Quand je choisis d’aller m’étourdir dans les attractions de Disney World, je ne m’attends pas à revenir frappée par de grandes révélations philosophiques. Mais pour trouver mon plaisir quelque part, le cœur doit y être.

En mai, alors qu’une énième manchette venait de secouer ma foi en l’humanité, j’ai annulé un voyage au Texas, incapable de trouver en moi l’enthousiasme nécessaire pour faire mon travail adéquatement. Comment vanter les charmes touristiques d’un État où les armes font partie du quotidien et où l’on s’en sert de façon éhontée? J’étais incapable de mettre de côté ces «faits» tout sauf «divers».

Non, les actes de quelques individus ne reflètent pas l’ensemble d’une population. Mais la tendance conservatrice me fait peur. Les esprits obtus me font peur. Constater les limites de ma propre ouverture me fait peur, aussi.

Je me dis que je devrais aller au-delà de mes a priori et chercher le positif là où j’ai du mal à l’entrevoir. Mais est-ce bien responsable de parler du beau alors que le laid prend tant de place?

Oui, je refuse de généraliser. J’ai visité des musées exceptionnels tant en Arizona qu’en Californie cette année. J’ai rencontré des gens merveilleux en Floride. J’ai plongé avec délice dans l’histoire de Miami comme dans celle de Los Angeles. Et adoré le train Brightline, qui me donne un peu d’espoir pour l’avenir des transports en commun même au pays de l’Oncle Sam.

J’ai toutefois encore du mal à oublier qu’un peuple ait pu élire quelqu’un comme Volde-Trump. Du mal à oublier que des droits qu’on croyait acquis puissent être retirés. Du mal à partager l’enthousiasme des touristes qui s’entassent dans les horribles tours qui longent les plages et achètent des caisses de bouteilles d’eau en plastique à usage unique comme s’il n’y avait pas de lendemains.

J’avais l’intention de faire le tour des États-Unis en train cette année, histoire d’explorer d’autres facettes du pays. J’irai sans doute au bout de ce projet, mais pas tout de suite. Pour le moment, mon malaise est trop grand.

Grand comme le troisième plus grand pays du monde.