Bienvenue à Santa Cruz del Islote
Pourquoi diantre aller passer trois jours sur l’île la plus densément peuplée au monde? Parce que.
À deux heures de bateau de Carthagène, l’archipel San Bernardo, dans le golfe de Morrosquillo, est réputé pour ses plages. On trouve de nombreuses auberges à Mucura et Tintipan. À Santa Cruz del Islote? Une seule. C’était une raison suffisante pour attiser ma curiosité.
Je peux lézarder sur des plages partout sur la planète. Mais me retrouver au cœur d’une communauté tissée serrée où peu de touristes s’arrêtent plus d’une heure ou deux? C’est plus rare. Et puis, la photo de la chambre repérée par une copine – merci, Marisol! – a suffi à actionner la machine à rêve. À 140$ pour deux nuits avec le petit déjeuner inclus, j’ai jugé le rêve accessible. J’ai réservé en direct sur le site Web de l’hostel, après avoir échangé quelques messages sur WhatsApp.
Entre-temps, j’ai lu une foule de commentaires sur Google, TripAdvisor et autres Booking. Les critiques assassines étaient aussi nombreuses que les avis positifs. De quoi m’intriguer encore plus.
Cap sur l’archipel!
Déjà, les deux heures de trajet depuis Carthagène m’avaient accroché un sourire au visage. Très confortable, le bateau permet de voir l’eau se teinter de reflets turquoise au fil de la balade, jusqu’à entrevoir les fonds marins à l’approche des îles. Le premier arrêt, à Tintipan, m’a fait jurer de revenir. J’ai bien dû prendre 100 photos de l’Hotel Puntanorte tant le site me semblait idyllique. Difficile de résister à l’appel d’une balançoire au-dessus de l’eau cristalline!
À l’approche de ma petite île où s’entassent 816* personnes dans 200 maisons sur un seul hectare, mon excitation est à son comble. J’y suis! Bon, d’accord, mais je fais comment pour trouver l’auberge dans ce dédale de maisons?
Il a suffi de demander mon chemin. Affables, une ado et une dame se sont relayées pour me servir de guide sans rien demander en retour. Je n’ai pas été déçue en poussant la porte de ma chambre.
J’avais opté pour la plus chère, celle du coin, avec deux grandes portes-patio. De chaque côté, des balcons me permettent de contempler l’horizon. Ajoutez à cela un lit étonnamment confortable et la possibilité de me baigner avec ou sans masque de plongée à proximité et vous avez là ma vision du paradis.
Bon, d’accord, il y a le menu limité aux prix plutôt élevés, les coqs qui se délient les cordes vocales beaucoup trop tôt – 1 h du mat’, les gars, vraiment ? – et l’odeur de plastique brûlé en fin de soirée. La chaleur écrasante en journée m’a aussi empêchée de faire quoi que ce soit exigeant un minimum de matière grise. Mais rien pour altérer mon bonheur de voir les bateaux de pêcheurs et de transport entrer le soir et repartir tôt le matin, le vent dans les rideaux et l’eau turquoise à perte de vue. En soirée, alors que l’air circulait mieux dans la chambre, la température était parfaite. J’ai dormi les portes ouvertes, avec le clapotis de l’eau.
Je n’allais bien sûr pas rester là à contempler l’horizon pendant des heures. J’ai embauché l’une des 31 guides de l’île, Kerelis Maria Berrio, qui accompagne des touristes depuis sept ans autour de son intrigant village. «J’ai appris l’anglais par moi-même grâce à Internet», me raconte cette mère de deux enfants de 32 ans.
«L’île est artificielle et existe depuis 223 ans, m’explique-t-elle. Elle a été construite par des pêcheurs qui sont venus de Baru. Elle est faite de coquillages, de pierres et de béton.»
Alors que nous nous engouffrons dans l’allée principale, elle me lance: «Il n’y a pas de police ici. Nous vivons comme une famille. Tout le monde se connaît. Il y a parfois des bagarres dans les fêtes, par contre!»
Pas de cimetière ni d’endroit où entreposer les déchets non plus. Les corps sont enterrés sur une autre île et un bateau de Carthagène collecte les ordures trois fois par semaine. Entreposées sur l’île de Tintipan, elles sont acheminées en ville deux fois par mois.
Alors, qu’auparavant, les ados devaient quitter Islote pour poursuivre leurs études secondaires à Carthagène, aujourd’hui, ce sont les profs qui viennent séjourner sur l’île – 11, au total – pour enseigner aux 190 enfants, incluant ceux de Mucura, qui prennent le bateau comme les jeunes Québécois l’autobus scolaire.
Deux cents panneaux solaires et une génératrice permettent d’alimenter l’île en électricité. Des plages horaires ont été déterminées pour pouvoir utiliser l’un ou l’autre.
Les deux pieds dans l’eau
Contrairement aux reportages alarmistes qui parlent de la disparition éventuelle de l’île, Kerelis ne s’en fait pas trop. «En novembre et décembre, il arrive que les rues et parfois les maisons se retrouvent inondées. Les enfants jouent dans l’eau et nous marchons dedans. Nous avons l’habitude. Ce n’est pas étonnant pour nous.»
Quand je lui raconte que les coqs m’ont réveillée en pleine nuit, elle peste contre les combats dont ils sont la vedette. «Je n’aime pas ça, dit-elle. Il y a trop de coqs sur cette île, je dirais une cinquantaine. Les gens parient lors des combats.» Elle préfère nettement danser la champeta lors des fêtes organisées au cœur du village.
Alors que la visite tire à sa fin, elle me pointe une rue, à deux pas de la piste de danse. «Ici, c’est le quartier Billapepe.» Un homme – Pepe – a eu 18 enfants avec 4 femmes différentes. Il avait quatre maisons. Aujourd’hui, il a 118 petits-enfants.
— Et toi, le père de tes enfants a-t-il plus d’une femme?
— Non, seulement moi, répond-elle avec des fusils dans les yeux. Avant, les femmes ne se battaient pas pour un homme, aujourd’hui, oui.
Elle me parle de ces trois femmes qui s’aiment et vivent elles aussi dans des maisons séparées «parce qu’elles se battent, sinon». «Maintenant, c’est normal de voir ce genre de ménage.»
En me raccompagnant à l’auberge, elle me parle de sa mère, qui vit à Medellín, de sa sœur, à Bogota, et de l’avenir qu’elle souhaite pour ses enfants.
— Et toi, Kerelis, tu vas où en vacances?
— À Carthagène. Je vis ici depuis 32 ans. Pour moi, c’est ennuyeux.
* Chiffre donné par ma guide, Kerelis Maria Berrio.
P.S. Moi aussi, j’ai une balançoire. Je pense que presque tous les hébergements en ont aujourd’hui tant elles sont populaires!
Pratico-pratique:
- L’archipel de San Bernardo est situé sur la côte caraïbe de la Colombie, dans le département de Sucre.
- Prix de l’aller-retour en bateau entre Carthagène et Santa Cruz del Islote avec Tranq It Easy: environ 100$ aller-retour + une vingtaine de dollars pour l’accès au parc naturel national des îles coralliennes du Rosaire et San Bernardo, où se trouve Santa Cruz del Islote. Généralement, les propriétaires d’auberge de la zone font parvenir le lien de l’entreprise qui fait la navette. Il est possible de payer par Internet.
- Mieux vaut toujours réserver directement auprès des hôteliers que par l’entremise de sites comme Booking qui touchent d’importantes commissions. Et puis, les prix sont généralement meilleurs en direct!
- Presque tout se règle par WhatsApp en Colombie. C’est la façon la plus courante de contacter les hôteliers et les compagnies de transport.
- L’auberge de Santa Cruz del Islote n’a pas le WiFi, mais le réseau cellulaire fonctionne très bien.
- Il n’y a pas de moustiques!
- Il est possible de prendre part à des excursions dans les parages, notamment vers les îles voisines ou pour observer les planctons luminescents en soirée, selon la période de l’année.
- Air Transat est la seule compagnie aérienne qui propose des vols directs entre Montréal et Carthagène pendant l’hiver (trois vols par semaine de décembre à avril).
- Pour les infos de base à propos de la Colombie, visitez le site voyage.gc.ca.
Merci à Air Transat pour le lift vers Carthagène!