La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Accepteriez-vous de voler à bord d’un Boeing 737 MAX 8?

«Personnellement, je ne serai pas passager d’un 737 MAX, à moins qu’on réponde à mes questions.»



Depuis la diffusion du reportage de Découverte et la publication de cet article sur le site de Radio-Canada le 10 novembre dernier, cette phrase de l’ingénieur Gilles Primeau, un spécialiste dans l’interaction entre les systèmes aéronautiques, me hante. Je n’ai généralement pas peur de prendre l’avion, à moins que les conditions météo soient mauvaises. Suivre de près l’actualité entourant un éventuel retour du Boeing 737 MAX 8 a cependant ébranlé ma foi. Et si, contrairement à ce que j’ai toujours cru, je n’étais pas en sécurité dans certains engins volants?

Intitulée «Boeing 737 MAX 8 : des révélations troublantes», l’enquête de la journaliste Binh An Vu Van a révélé que les problèmes du MAX 8 vont bien au-delà des défaillances du MCAS, ce logiciel qui permet d’activer un système de stabilisation de vol montré du doigt par les experts. Rien pour rassurer les gens qui, comme moi, vérifiaient déjà systématiquement les types d’appareils en planifiant leurs voyages depuis l’écrasement d’un deuxième Boeing 737 MAX 8 en cinq mois, redoutant de se trouver à bord de l’un d’eux si l’annonce d’une (énième) date potentielle de remise en vol se confirmait.

Les problèmes du MAX 8 vont bien au-delà des défaillances du MCAS, ce logiciel qui permet d’activer un système de stabilisation de vol montré du doigt par les experts.Photo: ace.yyc, Flickr

Le hic, c’est qu’il arrive que l’avion soit changé à la dernière minute pour toutes sortes de raisons. Comment, dans ces conditions, être sûr à 100% de ne pas voler à bord d’un 737 MAX 8 quand on annoncera sa remise en fonction? En optant pour une compagnie aérienne qui n’en compte pas dans sa flotte...?

C’est ce qu’a fait l’auteure Corinne de Vailly alors qu’elle préparait un séjour en Écosse et qu’on annonçait une reprise éventuelle des vols à l’automne 2019. Au moment où elle préparait ses vacances, elle m’a carrément écrit: «Je préfère annuler mon voyage plutôt que d'embarquer là-dedans!»

Quelques mois plus tard, elle me raconte comment elle a tranché: «J'avais tellement peur que Air Canada les remette en circulation en septembre qu'on a choisi de prendre Air Transat, même si ça impliquait de faire Glasgow-Édimbourg en taxi (donc environ 160$ pour la course).»

Des voyageurs inquiets?

Sommes-nous les seules à nous en faire autant? Alors qu’on annonce l’arrivée du MAX 10, dont l’entrée en service est conditionnelle à la recertification des appareils existants B737 MAX 8 et 9 de Boeing, j’ai posé la question à des globe-trotters et à des conseillers en voyages. Bien que mon étude n’ait rien de scientifique, j’ai vite réalisé que la plupart de ceux qui suivent l’actualité de près sont dans le même état que nous.

«Moi, ça m’inquiète, avoue Jessie Gagnon, une voyageuse montréalaise de 34 ans. Je trouve ça encore dangereux et je ne voudrais absolument pas embarquer dans cet appareil. La première fois, il avait supposément passé les tests et il y a eu des accidents, donc même s’ils vont sûrement être très sévères cette fois-ci, rien ne nous dit que c’est sécuritaire…»

D’autres ressentent un sentiment d’impuissance. «Oui, je suis très préoccupée mais qu’est-ce qu’on peut faire? me dit Nathalie, une voyageuse de 58 ans de Sainte-Thérèse. On booke un vol et par la suite ils changent d’appareil, on n'a pas beaucoup de contrôle sur la situation.»

Présidente et fondatrice d’Espace Voyages, sur la Rive-Sud de Montréal, Isabelle Saint-Amand s’étonne pour sa part que peu de clients s’enquièrent de la situation. «Pratiquement plus de clients en parlent, et encore moins demandent à être assurés de ne pas voler sur un de ces appareils. Mais personnellement, ça m’inquiète en tant que voyageuse et en tant que propriétaire d’agence.» Accepterait-elle de monter à bord d’un 737 MAX 8 s’ils étaient remis en service? «Oh non! Pour le moment, du moins.»

Martine Potvin, de l’agence Club Voyage Sol Playa, à Laval, reçoit elle aussi peu de questions à ce sujet en ce moment, mais se souvient avoir été inondée d’appels après les écrasements de Lion Air et d'Ethiopian Airlines. «Je peux dire que 80% des clients nous contactaient afin de se faire rassurer.»

De nombreuses questions

Geneviève Paradis, conseillère à l'agence Club Voyages Solerama de Saint-Eustache admet quant à elle être plus sensible aux enjeux des appareils 737 MAX 8 depuis la diffusion du reportage de Découverte. «À la suite des informations divulguées, je ne suis pas rassurée du tout, confie-t-elle. Je ne suis pas experte dans ce domaine, mais mon impression est qu’une remise en vol après si peu de temps est trop rapide pour avoir tout analysé et tout corrigé sur tous les avions. En tant que conseillère en voyages, il m’arrive maintenant de chercher des alternatives pour tenter d’éviter à mes clients de voler avec les compagnies détenant plusieurs de ces appareils; je n’aurais pas la tête tranquille sinon. Pour ce qui est du MAX 10, s’il est bâti sur le même principe, en utilisant la même "coquille" de 737 que le MAX 8, pour moi, ce serait du pareil au même et je continuerais à chercher des alternatives de vols.»

À la suite de notre échange, elle a toutefois réalisé que l’itinéraire du voyage qu’elle effectuera au Mexique avec sa famille en juillet 2020 comporte un segment à bord d’un Boeing 737. «Avec le retour des 737 MAX, s’il advenait que la compagnie aérienne change notre 737 pour un 737 MAX, je serais coincée, je n’aurais pas d’autre choix que de voler sur un MAX. Choisir un itinéraire qui ne vole pas sur un de ces appareils est une chose, mais lorsque les compagnies les remettront en vol, les gens qui ont déjà acheté leurs billets auront quoi comme recours? L’OPC (Office de la protection du consommateur) acceptera-t-il de rembourser des vols en raison de la peur de voler sur ces appareils?...»

Le temps passe et les nombreux articles publiés n’ont rien de rassurant. Le 25 novembre, La Presse rapportait qu’un responsable de Transports Canada «exhorte les autorités de réglementation de l’aviation mondiale à ne pas laisser voler les avions 737 MAX 8 de Boeing jusqu’à ce que la société supprime le logiciel antidécrochage associé à deux écrasements qui ont coûté la vie à 346 personnes».

L’appareil traversera-t-il de nouveau les nuages en janvier 2020? Rien n’est moins sûr… Dans Le Devoir le 1er novembre dernier, Michel Virard, un ingénieur retraité, écrivait ceci: «Vous pensiez que la saga du Boeing 737 MAX tirait à sa fin? Détrompez-vous, elle ne fait que commencer. Si j’avais un conseil à donner à Air Canada, ce serait: "Débarrassez-vous des 737 MAX alors qu’ils ont encore une certaine valeur, au moins une fois équipés d’un nouveau logiciel. Annulez toutes vos commandes non livrées, même si cela vous coûte des pénalités."»

À une époque où un nombre grandissant de voyageurs remettent en question leur manière d’explorer le monde pour des raisons écologiques, disons que cette saga ne donne pas spécialement envie de s’envoler plus souvent…