Une maison de la culture construite avec la communauté

L’architecture peut-elle être un moteur social, culturel et de transformation urbaine? C’est en tout cas le pari ambitieux que s’est donné COBE à Copenhague, avec la nouvelle maison de la culture et bibliothèque de Tingbjerg.

Un peu à l’image du Tardis de Doctor Who, le nouveau venu du quartier Tingbjerg semble plus petit de l’extérieur qu’il ne l’est réellement à l’intérieur. Construit en forme de coin, son côté le plus étroit mesure seulement 1,5 mètre. L’édifice comprend néanmoins quatre étages et permet aux visiteurs d’assister à des cours, à des ateliers, à des conférences et à des spectacles.

Photo: COAST Studio, Facebook COBE
L'édifice de quatre étages semble plus petit de l'extérieur. Photo: COAST Studio, Facebook COBE

Inspirés par le modernisme danois qu’avait insufflé Steen Eiler Rasmussen au secteur dans les années 1950, les architectes ont utilisé les mêmes matériaux que ceux de l’école voisine, mais leur ont donné une nouvelle interprétation. La brique jaune et le toit en pente de l’institution culturelle se fondent bien dans le paysage, alors que sa forme particulière lui permet de se démarquer.

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Les architectes ont utilisé les mêmes matériaux que ceux de l'école voisine. Photo: COAST Studio, Facebook COBE

Pour s’assurer de créer un lieu de rassemblement, COBE a travaillé de concert avec la Ville de Copenhague, les sociétés de logement social et les résidents. Ces derniers souhaitaient surtout que le bâtiment réponde simultanément à plusieurs besoins. Et leur souhait a été exaucé.

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Activités sociales, lecture, observation... le bâtiment répond à plusieurs besoins. Photo: COAST Studio, Facebook COBE

On est à même de le constater en regardant la façade transparente qui fait face à la rue. «L’architecture a été pensée comme une invitation ouverte à entrer, tout en promouvant la sécurité dans la région et en développant le caractère unique de Tingbjerg», a expliqué Dan Stubbergaard, l’architecte fondateur de COBE. Les utilisateurs peuvent participer à des activités sociales, s’installer à l’une des terrasses pour observer ce qui se passe ou trouver un endroit tranquille pour lire.

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Ouverture sur la rue. Photo: COAST Studio, Facebook COBE

Inaugurée au début du mois, la maison de la culture devrait devenir rapidement, pour petits et grands, un incontournable du quartier.

Un poignard dans un mouchoir de soie de Robert Lalonde

Un poignard dans un mouchoir de soie; le titre colle parfaitement au dernier roman de Robert Lalonde. Une histoire où la jeunesse côtoie la vieillesse, où la bonté se frotte à l’horreur, où les apparences peuvent être trompeuses et où la poésie se juxtapose aux jurons. Une histoire touchante, celle de trois personnages, car il s’agit bien de personnages, aussi campés que ceux de contes, un peu hors du temps, et dont la rencontre improbable mènera au pire et au meilleur. Une histoire que j’ai avalée d’une seule traite, superbement écrite.

L’écriture de Robert Lalonde vaut d’ailleurs, à elle seule, le détour. Les tirades poétiques inspirées des plus grands poètes, les références à Dostoïevski, les dialogues hachurés ponctués de silences criants de sens créent une ambiance forte et campent solidement personnages et décors. Du désamour de Jérémie, de l’amour de Romain et d’Irène, de leur désir et de leur tendresse pour cet adolescent figé dans le temps et dans la drogue naîtra la violence ultime, mais aussi la beauté pure, celle de l’art, d’une œuvre, lumineuse et forte, créée dans la noirceur et révélée dans la mort.

Deuxième Campari pour lui, second mimosa pour elle. Il se sont révélé leurs noms, âges et lieux de naissance, ont évoqué pudiquement les affres de leur solitude, leur inquiétude face à l’avenir rétréci, se sont exclamés de concert sur l’abominable état du monde. Il a voulu parler de la pièce, de l’émotion qu’elle a fait naître en lui, elle fait non de la tête et alors il a parlé des lilas en fleurs dans son petit jardin, elle a enchaîné sur les cactus précocement en fleurs aussi. Ce faisant, ils se décochaient des oeillades à la dérobée, souriant exagérément. Bref, ils ont tourné une bonne heure autour du pot, s’efforçant de retarder du mieux qu’ils pouvaient le vif du sujet: Jérémie. Quand ils sont enfin été au bout du rouleau, ils se sont tus. À présent, ils se dévisagent comme deux imposteurs attendant de voir qui le premier se trahira

L’histoire est simple, mais le scénario bien ficelé. Jérémie, un jeune échoué dans la ville et dans la drogue, se place tour à tour sur le chemin de Romain, prof de philo à la retraite, et d’Irène, comédienne vieillissante, dont la mémoire fuit parfois. Jérémie n’est pourtant pas qu’une épave. Alors qu’ils veillent sur lui, c’est lui qui prend soin d’eux, en leur tendant un tendre piège, en les faisant à nouveau vibrer, trembler et aimer. Entre leurs rides et leurs regards tendres, Jérémie reprend vie sous les rires de Asha et Migush, deux jeunes enfants protégés de Romain qui, à leur tour, aiment Jérémie, leur «prince». Un prince qui, comme celui de L’idiot de Dostoïevski, incarne la bonté et l’amour. Un prince qui sacre et parle mal parfois, invoquant un hypothétique syndrome de la Tourette, et qui peut citer les grands auteurs dans le texte et qui fraye avec la poésie.

Il sort claquant la porte de son antre de démanché. Si mon don de barbouilleur ne m’avait pas fui, comme tout le reste, le frisson du beau, l’orgueil de vaincre, la fierté de tromper, ce qu’ils appellent le talent, ces tas de marde, je partirais par les soirs bleus d’été dans les sentiers, picoté par les blés, fouler l’herbe menue, comme l’écrit le poète. Ou encore, le chevalet sur l’épaule, les poches pleines de couleurs, comme un Van Gogh désuicidé, ignorant que ses astres tournoyants finiraient un jour sur des tasses à café, des taies d’oreillers, des boîtes à lunch... Non, ne va pas par là, erreur fondamentale! C’est comme ça et pas autrement...

À la manière des poupées russes qui s’imbriquent l’une dans l’autre, l’histoire et les personnages se dévoilent un tableau après l’autre, jusqu’à la fin. Depuis ma lecture, il m’arrive de voir Irène, dont j’imagine les toilettes et le port de tête, ou encore Romain avec sa cravate un peu surannée ou la cagoule de Jérémie et son regard… C’est une scène qui joue dans ma tête, parce que de ce roman on pourrait vraiment tirer un très bon film ou une pièce de théâtre… «C’est comme ça, pas autrement...».

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Un poignard dans un mouchoir de soie, Robert Lalonde, Éditions du Boréal, Octobre 2018, 208 pages, 20.95$

Écrivain et acteur, Robert Lalonde est l’auteur de plusieurs romansC’est le cœur qui meurt en dernier (2013), À l’état sauvage (2015) –, de nouvelles – Un cœur rouge dans la glace (2009) –, de carnets – La liberté des savanes (2017). Son œuvre lui a valu un vaste lectorat et de nombreux prix.

Robert Lalonde viendra nous parler de ce livre au Rendez-vous Avenues, Le Salon avant le Salon Avenues.ca 2018 où il sera en compagnie de cinq autres auteurs de la rentrée. Une soirée animée par Claudia Larochelle à la Librairie Monet le 23 octobre prochain. L’événement affiche toutefois complet!

Hôpitaux: place au local et au bio à la carte

En matière de gastronomie, les institutions publiques québécoises, particulièrement les hôpitaux, ont souvent eu mauvaise presse. Mais les choses pourraient changer…

Premier établissement de santé à faire le saut, le CHU Sainte-Justine sert depuis cet été des légumes biologiques venant de trois fermes du Québec et entend élargir son offre. Et ce n’est rien comparé à son offre d’aliments locaux, qui comptent pour 52% de sa dépense alimentaire en excluant les fruits et légumes.

Au Québec, de telles initiatives dans les hôpitaux sont encore rares et, pour le moment, Sainte-Justine fait figure d’exception. C’est sans compter qu’en 2016, l’hôpital est devenu le premier du Québec à servir aux chambres des repas concoctés sur place, que les patients peuvent commander à la carte quand ils le veulent.

Notre service alimentaire Délipapilles continue d’innover, et cette fois en offrant des aliments bios et locaux dans son menu! Développé en collaboration avec Équiterre, le partenariat entre les producteurs et le CHU permettra aux patients, visiteurs et membres du personnel de déguster des légumes frais en provenance de trois fermes biologiques québécoises, soit la Ferme de la berceuse, la Ferme la Bourrasque, la Coop de Solidarité des Jardins du Pied de Céleri. Photo: Facebook CHU Sainte-Justine
Le service alimentaire Délipapilles du CHU Sainte-Justine offre des aliments bios et locaux dans son menu. Photo: Facebook CHU Sainte-Justine

Système D

Les initiatives de Sainte-Justine restent marginales parce qu’opérer de tels changements à si grande échelle demande une volonté de fer et une organisation sans faille. C’est que, pour mieux faire, les hôpitaux disposent des mêmes budgets, qui vont de 8$ à 15$ quotidien par patient, dans lesquels il faut compter 70% pour les coûts liés à la main d’œuvre.

Il reste donc peu pour réinventer les menus. Mais c’est le pari qu’a pris Josée Lavoie, chef des services d’alimentation du CHU Sainte-Justine, qui remarque qu’en réorganisant son service alimentaire pour éviter le gaspillage, passé de 25% à moins de 5%, l’hôpital a économisé pour dépenser davantage dans des produits de meilleure qualité.

n réorganisant son service alimentaire pour éviter le gaspillage, passé de 25% à moins de 5%, l’hôpital a économisé pour dépenser davantage dans des produits de meilleure qualité.Photo: Markus Spiske, Unsplash
En réorganisant son service alimentaire pour éviter le gaspillage, le CHU Sainte-Justine a économisé pour dépenser davantage dans des produits de meilleure qualité. Photo: Markus Spiske, Unsplash

La nourriture pour prendre soin

Les études le prouvent: une bonne alimentation peut avoir des conséquences sur la santé et le moral des patients. La preuve: à Sainte-Justine, la distribution de suppléments alimentaires a diminué de moitié en un an.

Ce n’est pas pour rien que l’Institut de cardiologie de Montréal songe aussi à faire le grand saut.

Quand on sait qu’un patient mal nourri nécessiterait 2 à 3 jours de plus de soins, et serait plus à risque de devoir revenir s’aliter dans les 30 jours suivants, on se dit que le jeu en vaut certainement la chandelle.

The Greenary: une maison construite autour d’un arbre

De nombreux architectes tentent de se fondre avec la nature lorsque vient le temps de dessiner une maison. La firme italienne Carlo Ratti Associati brouille encore plus les frontières entre l’architecture et son environnement en proposant une résidence conçue autour d’un arbre.

Dans la campagne près de Parme, au nord de l’Italie, un ficus de 50 ans ne sait pas ce qui l’attend. D’ici 2019, une maison de ferme prendra forme autour de lui.

Photo: Carlo Ratti Associati
Une maison de ferme prendra forme autour de ce ficus de 50 ans. Photo: Carlo Ratti Associati

La plante tropicale de 10 mètres de haut sera au cœur de l’habitation, entourée de zones en escalier qui montent jusqu’à sa cime et créent six espaces reliés. Chaque pièce sera consacrée à une activité spécifique: écouter de la musique, lire, pratiquer le yoga, manger ensemble, boire un verre, ou encore conserver une cave à vin et entreposer du jambon cru pour le vieillissement. Tous les lieux sont positionnés à un niveau différent de l’arbre. Trois se retrouvent au-dessus de l’entrée, et trois en dessous.

Photo: Carlo Ratti Associati
La plante tropicale sera au cœur de l'habitation. Photo: Carlo Ratti Associati

«Nous voulions que le design reflète notre biophilie, l’impulsion naturelle de se connecter à d’autres formes de vie, comme l’a suggéré le grand biologiste de Harvard, Edward O. Wilson», explique l’associé fondateur Carlo Ratti dans un communiqué. «Nous tentons d’imaginer un nouveau paysage construit au rythme de la nature.» De la salle à manger, les occupants pourront par exemple admirer le verger où se trouvent les animaux. Le mur de verre faisant face au sud maximise de son côté la lumière naturelle.

Photo: Carlo Ratti Associati
Tous les lieux seront positionnés à un niveau différent de l'arbre. Photo: Carlo Ratti Associati

En plus de son symbolisme spirituel, le ficus, qui est vénéré dans plusieurs régions du monde (rien de moins!), est plutôt facile d’entretien. C’est une bonne nouvelle pour l’arbre et un poids de moins sur les épaules des futurs propriétaires.

Cadillac de Biz

Avec un sous-texte subtil et son regard scanographique, Biz nous raconte, dans son dernier roman, Cadillac, une quête, celle d’un jeune Québécois dont le rêve s’est effondré et qui trouvera un autre sens à sa vie en retournant vers ses racines, dont certaines, insoupçonnées.

L’histoire est assez simple: alors qu’il vient d’enterrer son grand-père et d’apprendre qu’il sera père à son tour, Derek Lamothe découvre que son ancêtre, Antoine Laumet, devenu Antoine Lamothe, autoproclamé baron de Cadillac, a fondé la ville de Détroit après avoir remonté tous les cours d’eau du Québec, jusqu’au Pays d’en haut. Détroit… la découverte n’est pas banale, car c’est dans cette ville que Derek aurait dû connaître la gloire, puisqu’il avait signé avec les Red Wings. Mais le jeune hockeyeur a vu sa carrière naissante et ses rêves ruinés en raison d’un stupide accident qui lui a bousillé le genou. Il fait désormais carrière dans la vente d’automobiles, des Cadillac, la marque qui a fait le renom et l’orgueil de… Détroit, la ville de la voiture.

Bouleversé par les récents événements et toujours déchiré par le deuil de sa carrière, Derek, en quête de liens et de sens, décide de prendre la route pour Détroit. Comme son rêve de hockeyeur, la ville est en ruine et en faillite. Durant son court séjour, il trouvera pourtant des repères, des réponses, un filon qui le ramènera à ses racines, à ses rêves et à d’autres possibles.

(…) On dirait des touristes devant les ruines d’un temple romain. Malgré sa déchéance, Détroit conserve la superbe des cités antiques à la gloire perdue. Ce sont les décombres annonciateurs de l’effondrement de l’Occident. L’incarnation architecturale du déclin de l’empire américain prophétisé par Denys Arcand en 1986.

               Sonné comme si une voyante lui avait annoncé sa propre mort, Derek ressort sur l’avenue Bagley et marche vers l’est.

Voilà pour l’histoire… Mais le reste est plus complexe qu’il n’y paraît. Ce roman-récit est une longue métaphore et l’auteur s’amuse à fermer des boucles. Celle des origines de Daisy, la femme de Derek, autochtone de naissance, et celle de son peuple. Celle de la famille Lamothe, celle de la carrière de Derek et du lien qui l’unit à son père et à une autre échelle, celle des francophones d’Amérique, des Français et des Québécois, dont l’histoire est celle des défricheurs de l’Amérique qui, à coups de pagaies, de pipes qu’ils fumaient dans leurs canots, ont planté leurs espoirs et leur marque dans ce vaste territoire.

À l’époque des coureurs des bois, la combustion d’une pipe était une unité de distance. Les canoteurs calculaient les étapes en nombre de pipes qu’ils pouvaient fumer avant d’arriver à bon port. (…) Pour les canoteurs nocturnes, la pipe était un feu de position clignotant à chaque bouffée. Une lueur d’humanité dans la nuit. Dans la furie des poudreries hivernales, la pipe allumée était un signe de vie indiquant que son propriétaire respirait encore. Au cœur d’un environnement sauvage et démesuré, la pipe permettait au nomade de tenir feu et lieu.

Malgré un début un peu lent, le livre, plutôt court (j’en aurais pris davantage parce que j’aime le style de Biz), se lit d’un seul trait. L’écriture de Biz est efficace, incisive, «right to the point». Entre la danse avec ceinture fléchée, l’adoration des Québécois pour le hockey et les traces fugaces, mais tenaces, du français en Amérique, l’auteur pose un regard acéré sur la perte d’identité et les quelques bribes qu’il faut ramasser pour ne pas complètement l’oublier ou la perdre, mais Derek s’en servira pour se bâtir de l’espoir.

Biz est membre du groupe Loco Locas. Son travail d’auteur a été récompensé par le Prix du livre jeunesse des bibliothèques de Montréal et le Prix jeunesse des libraires du Québec en 2012 (La chute de Sparte) ainsi que par le prix France-Québec en 2015 (Mort-terrain). Cadillac est son sixième livre publié chez Leméac.

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Cadillac, Biz, Éditions Leméac, octobre 2018, 96 pages, 15,95$

 

Biz viendra nous parler de ce livre au Rendez-vous Avenues, Le Salon avant le Salon Avenues.ca 2018 où elle sera en compagnie de cinq autres auteurs de la rentrée. Une soirée animée par Claudia Larochelle à la Librairie Monet le 23 octobre prochain.
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