Jean-Michel Dufaux: 50 ans, ma troisième période
C’est ma deuxième tentative d’écriture sur mes états d’âme liés à la cinquantaine. Dans la première mouture – avant la crise de la COVID-19 –, je ne savais pas trop comment attaquer le texte, et j’avoue qu’il sonnait plutôt comme un règlement de compte face au merveilleux monde du show-business.
Aujourd’hui, tout cela me semble bien frivole, un peu comme tout ce qui m’entoure dans mon quotidien. Le mot qui m’habite un peu ces temps-ci, c’est «peur». Peur de voir ma maman de 88 ans tomber malade (chaque fois que je l’entends tousser au téléphone, mon angoisse monte d’un cran), peur de voir les gens que j’aime être infectés ou de moi-même tomber au combat face à cet ennemi invisible. Après tout, j’ai vieilli moi aussi.
La maudite cinquantaine! Je ne trouvais déjà pas ça si évident de prendre de l’âge avant le confinement. Les autres étapes (vingtaine, trentaine et quarantaine) avaient été traversées sans trop de heurts, avec une insouciance que certains auraient qualifiée de typiquement «adulescente». Mais ces deux chiffres, 5-0, m’ont frappé de plein fouet. J’imagine que c’est le numéro qui confirme qu’il en reste moins qu’avant, comme dans la chanson de Don Henley, «You wake up one morning, and half your life is gone».
Bonjour, la déprime
Il faut dire que le fatidique anniversaire est arrivé à la suite d’un automne difficile où je n’avais plus de job. Je n’avais littéralement aucun contrat, outre mon partenariat apprécié avec Groupe Voyages Québec (GVQ) pour produire du contenu voyage. Le téléphone ne sonnait plus et je ressentais une grosse fatigue à proposer des concepts qui, au final, étaient toujours refusés. J’avais le sentiment de ne pas être utile. Que j’avais des ambitions, mais que je ne les avais pas réalisées. Je me sentais comme un choix de première ronde au hockey qui n’avait finalement pas été à la hauteur des attentes.
Voilà donc quel était mon état d’esprit juste avant d’atteindre le fameux jalon de la cinquantaine, pas complètement déprimé, mais avec des moments de blues solides. À tel point que pour mon 50e anniversaire, en janvier 2016, je suis parti en Asie en solo. Je ne voulais pas de party de fête. Je voulais être seul. Le soir de mon 50e, je suis allé dans un resto de Bangkok manger une soupe Tom Yam Goong et je suis rentré à l’hôtel. Un peu comme l’arbre qui tombe en forêt, si personne n’est là pour l’entendre – fait-il vraiment du bruit lorsqu’il s’écrase au sol?
Et à l’automne 2018, après avoir repoussé plusieurs fois l’idée d’une année à l’étranger (par peur de manquer de travail, par peur qu’on m’oublie, par peur de pertes financières, bref, toujours cette foutue peur), je suis parti. Une année complète. C’est drôle parce que je la voyais vraiment comme une pause nécessaire. Je sentais que dans mon match, j’avais déjà deux périodes de jouées, qu’il ne m’en restait qu’une, et que je devais me retirer au vestiaire avant de bien entamer la troisième.
La décennie 2020, de mon côté, a débuté du bon pied. J’avais beaucoup de plaisir avec les amis de TVA Sports, JiC, Éric, Hugo, Patrice, Biz, et je poursuivais mon association avec GVQ. Je venais tout juste de publier un livre sur Toronto et j’avais d’autres projets, notamment sur Avenues.ca. Puis, la COVID s’est pointée et tout s’est arrêté. Mes deux gagne-pain, qui dépendent du tourisme et du sport, sont donc sur pause.
Bien sûr, je suis rendu à un âge où j’ai appris que le supposé succès et les chimères de la gloire ne règlent pas tous les maux. J’ai d’ailleurs lu beaucoup de biographies ces dernières années: David Letterman, Phil Collins, Moby, Bruce Springsteen… tous des hommes semblant TOUT avoir et qui, malgré cela, ont vécu de sérieuses périodes de dépression. «Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite, et recevoir ces deux menteurs d’un même front […] tu seras un homme, mon fils», a écrit Rudyard Kipling. Ce texte me parle. Les illusions, douces comme amères, ne doivent pas définir notre bonheur. Ainsi que le fameux regard extérieur.
Si j’ai été chanceux dans ma vie, j’avoue cependant ne pas avoir été très doué pour le bonheur. Cette fois-ci, les paroles de la chanson Desperado des Eagles me viennent à l’esprit: «Now it seems to me some fine things have been laid upon your table, but you only want the ones that you can’t get.» Cet éternel besoin de voyager, de voir ailleurs si j’y suis… Finalement, c’est de moi dont Don McLean parle dans son très beau Crossroads: «You know I’ve heard about people like me, but I never made the connection.»
Je me disais, avec naïveté, que le confinement dû à la COVID était peut-être une bonne occasion pour une vie intérieure plus riche, dans tous les sens du terme. Pour un peu plus d’introspection, de silence, d’intériorité.
Notre génération, qui n’a pas connu les deux grandes guerres, utilise parfois l’expression «La fin de l’innocence». On n’a qu’à penser au 11 septembre. Même si l’image est parfois galvaudée, j’ai vraiment l’impression qu’il y aura un «avant» et un «après» à cette pandémie. Je ne suis pas certain qu’on retrouvera notre insouciance d’avant. La vie comme on l’a connue est déjà peut-être chose du passé. Et ça m’angoisse un peu. Pour ne pas dire beaucoup.
C’est un mélange de colère, de tristesse et de nostalgie qui m’habite ces temps-ci, probablement amplifié par cette longue quarantaine et par ma cinquantaine qui avance. Colère contre ces gens ne respectent pas les consignes. Colère contre les libertariens, contre tout ce néo-libéralisme qui ne fait que valoriser le concept du «moins de taxes possible, plus d’argent dans nos poches». Colère contre le «trickle-down-economy», ce grand mensonge. Colère contre le fait que dans le monde, 85 personnes possèdent autant de richesse que 3 milliards d’humains. Leonard Cohen le chantait si bien: «Everybody knows the fight was fixed, the poor stay poor, the rich get rich.» Colère contre tous ces «war profiteers» et tous ces gouvernements qui ont investi des trillions dans leurs arsenaux de guerre.
Un soupçon d’optimisme
Mon moral de cinquantenaire va plutôt moyen sur fond de COVID qui perdure. Ce que j’appelle le quotidien normal, celui qu’on tenait tant pour acquis, me semble un lointain souvenir. Étonnamment, cette crise qui nous éloigne encore physiquement nous rapproche en tant qu’êtres humains. On prend des nouvelles de notre famille, de nos amis. On s’assure qu’ils vont bien.
Je trouve cette nouvelle normalité difficile. Un soir, au chalet, seul, ça m’a frappé. Je me sens exactement comme lorsque j’étais dans mes premières années du primaire alors que je fréquentais une école dite «alternative», fondée sur le modèle Summerhill en Angleterre. De la 1re à la 3e année, cet environnement n’était clairement pas pour moi. Sans encadrement, je procrastine, je suis éparpillé, je ne suis pas efficace. À tel point que l’été de mes 9 ans, mes parents ont eu une discussion avec moi quant à la possibilité de m’envoyer dans une école dite «traditionnelle». Même si je quittais mes amis et que l’école était plus loin, j’acquiesçai. Et depuis, je me connais, si je n’ai pas de date butoir, une certaine routine, je suis zéro efficace. Et, dans cette pandémie, sans emploi régulier et laissé à moi-même, c’est exactement comme ça que je me sens.
J’espère sincèrement qu’on passera à travers sans trop de dégâts. À l’heure où j’écris ces lignes, la situation s’est améliorée, mais c’est un véritable carnage chez nos voisins du sud. Je ne sais trop ce qui adviendra de la fameuse deuxième vague et quand les choses vont redevenir comme avant.
J’espère surtout qu’il y aura un après meilleur. Qu’on financera adéquatement la recherche scientifique et les services de santé. Qu’on pensera à tous ces gens seuls dans nos CHSLD. Que les richesses seront plus justement distribuées. Qu’on comprendra que l’on gagne tous lorsque l’on prend soin de l’espace commun. Qu’on sera heureux de faire nos courses sans masque et sans stress. Qu’on respectera dorénavant tous les travailleurs manuels et aux services essentiels. Et qu’on laissera quelques commandes de F-35 sur le tapis au profit de simples masques N95.
Bref, malgré l’âge qui avance, malgré la tourmente actuelle, malgré le moral parfois dans les talons, il me reste encore un soupçon d’optimisme. C’est déjà ça.
Playlist:
Everything is Different Now, Don Henley
Everybody Knows, Leonard Cohen
Tu seras un homme, mon fils, Rudyard Kipling
À propos de Jean-Michel Dufaux
Jean-Michel Dufaux est auteur, animateur, chroniqueur, reporter et comédien. Il partage sa passion pour les voyages, le café et la photographie sur son site web, Siège Hublot. En janvier 2017, il animait son premier Rendez-vous Avenues.ca, «Des voyages et des cafés».