Plan d’action pour les CHSLD: des moyens… mais il faudra plus

Il faut saluer l’annonce cette semaine par les ministres Christian Dubé, Lionel Carmant et Marguerite Blais du «Plan d’action pour la deuxième vague», qui prévoit une série de mesures qui amélioreront la gestion des CHSLD.



À quelque chose malheur est bon: il aura fallu trois mois de mesures sanitaires inefficaces et plus de 5 000 morts dans les CHSLD et les résidences pour aînés (RPA) pour que le gouvernement se réveille, et entende enfin ce que le milieu réclamait depuis 20 ans à coup de rapports, d’études, de dénonciations et même de poursuites. Il a donc entendu… mais partiellement. D'abord parce qu'on ne sait pas si les mesures annoncées sont permanentes ou temporaires. Et ensuite parce que ce «plan d’action» ne règle en rien LE problème fondamental des CHSLD: le sous-financement chronique de l’ensemble des soins aux aînés. C’est là qu’il faudrait de l’action, et vite!

Avant le pot, les fleurs

Plusieurs mesures du plan d’action méritent tout de même des applaudissements. Quelques-unes concernent l’ensemble du réseau de la santé, comme l’approvisionnement en masques et le maintien des chirurgies. Mais plusieurs visent directement les CHSLD, les RPA et les soins à domicile.

Pendant la crise, le premier ministre Legault est tombé en bas de sa chaise en apprenant que la moitié des CHSLD n’ont pas de gestionnaire désigné. La moitié en fait partagent un «capitaine» à temps partiel, qui doit gérer deux, trois, quatre, cinq établissements. Le ministre s’est donc engagé à ce que chaque CHSLD ait son directeur à temps plein, qui répondra de tout.

Parmi les autres mesures, le gouvernement maintiendra l’accès des proches aidants. En mars, dans l’optique de protéger les aînés, on leur avait bêtement fermé la porte au nez, privant ce faisant de nombreux résidents de soins essentiels sans rien régler à celui de la contagion – on l’a vu. Le gouvernement interdira les mouvements de personnel entre établissements. Les préposés aux bénéficiaires seront obligatoirement affectés à un seul établissement. Malheureusement, cette mesure ne pourra pas être étendue au personnel infirmier, en grave pénurie, mais les ministres assurent qu’il sera soumis à des règles sanitaires sévères.

Ajoutons à cela deux mesures préalables qui auront de l’effet. D’abord, on ajoutera 10 000 préposés de plus, dont 8 000 dès septembre au terme de 3 mois de formation et encore 2 000 en décembre pour ceux qui débuteront la formation accélérée en septembre. Cette petite armée va permettre de pallier les pénuries de personnel les plus évidentes – et décriées depuis des lustres.

L’autre mesure concerne le vieux contentieux sur le calcul des loyers. Bien des Québécois l’ignorent, mais l’hébergement en CHSLD n’est pas gratuit, comme l’hôpital. Les résidents paient des loyers élevés – 1 946,70$ pour une chambre individuelle. Ces loyers sont indexés systématiquement année après année. (Même en période de pandémie et même dans les CHSLD les plus affreux, le gouvernement n’a pas eu la décence d’offrir ne serait-ce qu’une réduction de loyer.)

Toutefois, les résidents les plus démunis ont droit à une réduction, voire à une exonération de loyer. Depuis quelques années, des organismes, dont le Réseau FADOQ, dénonçaient les méthodes de calcul de ces réductions. Le seuil pour y avoir droit était établi selon des valeurs figées en 1983! Jusqu’en 2019, un résident avait droit à une réduction si la valeur de sa maison ne dépassait pas 40 000$ (et 4 000$ pour la voiture). Une maison de 40 000$, ça n’existe plus au Québec. La semaine dernière, le gouvernement a annoncé qu’il rehaussait les seuils à des niveaux plus réalistes – 10 000$ pour une voiture et 225 000$ pour une maison. (Sans toutefois appliquer la correction rétroactivement aux dizaines de milliers de résidents qui ont été lésés par cette négligence.)

Voilà pour les fleurs, mais elles se fanent un peu quand on réalise que rien ne dit nulle part si ces mesures sont permanentes ou temporaires… Le gros bon sens, serait-on tenté de dire. Sauf que, quand on considère à quelle extrémité le manque de bon sens a poussé les CHSLD, on est bien justifié d’attendre une réponse claire.

Photo: Ashkan Forouzani, Unsplash

Le pot, maintenant

Ce dernier exemple sur le calcul des loyers, s’il n’a pas d’incidence sur les mesures sanitaires, illustre parfaitement la pingrerie du gouvernement – des gouvernements des 20 dernières années, devrait-on dire – quand il est question du système de soins aux personnes âgées. À tel point que l’on peut dire que les mesures proposées par le trio Dubé-Carmant-Blais ne sont encore qu’un cataplasme sur une jambe de bois.

Par exemple, on a révisé les loyers, mais malgré ses demandes, le Réseau FADOQ est incapable de se faire confirmer par le ministère que les seuils de calcul des loyers et les seuils de réduction et d’exonération seront indexés. Cela paraît ridicule, mais c’est exactement ce qui est arrivé par le passé quand on a «oublié» d’indexer les paramètres pendant 37 ans!

À la base, le problème fondamental est le manque de moyens tant en immobilisation qu’en personnel. 10 000 employés de plus ne régleront rien au problème des résidents de CHSLD entassés à deux, trois, quatre par chambre. Trop de CHSLD sont des bâtiments vétustes, non climatisés et organisés selon des normes des années 1950.

Le sous-financement met en cause toute la classe politique, de tous les partis, et tous les paliers de gouvernement. Au fil des années, le gouvernement fédéral a réduit ses contributions en santé de 50 à 25% des budgets. Ce même gouvernement multiplie les plans d’urgence de toutes sortes sans un mot sur sa responsabilité quant au sous-financement de la santé et des soins: il faut être culotté. Pendant ce temps, le gouvernement québécois a beau investir près d’un milliard $ pour des Maisons des aînées, il manquera toujours 3 000 places au terme de l’opération.

Le ministre Dubé aura beau vouloir augmenter l’imputabilité des dirigeants, le système retombera dans les mêmes ornières si on ne donne pas aux dirigeants et au personnel les moyens de leurs actions. Même les plus compétents des gestionnaires doivent se battre avec des problèmes de structures profonds, que rien ne changera si on ne décide rien.

Le sous-financement concerne aussi le personnel. Certes, les deux budgets précédents de la CAQ ont annoncé des hausses au chapitre des soins à domicile, mais rien n’est fait pour améliorer la médecine à domicile – le maillon faible du système. Pour bien des aînés, la seule manière d’être vu par un médecin est de se présenter en ambulance à l’urgence.

On n’a encore rien fait non plus pour améliorer les ratios «personnel de soins/patients». Il y a trois ans, l’ancien ministre Gaétan Barrette avait lancé 20 projets pilotes, dont plusieurs en CHSLD, qui ont tous été concluants. Mais on attend toujours le plan qui établira des cibles et des échéances. Certes, les 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires viendront s’ajouter, mais il manque d’infirmières et de personnel soignant. «Pénurie de main-d’œuvre», explique-t-on au ministère. Sauf que, au contraire, des ratios plus réalistes contribueraient énormément à régler la pénurie de main-d’œuvre. Bien des gens prendraient le boulot si le ministère pouvait leur garantir une meilleure organisation du travail dans des conditions raisonnables.

Toujours du côté du personnel, le fameux plan d’action proposé ne dit rien sur les mesures de contrôle. Le ministre veut imposer toutes sortes de règles aux CHSLD et des contraintes aux CHSLD privés, mais qui contrôlera? Car il ne suffit pas d’avoir des interdits. Considérez seulement l’hécatombe du CHSLD privé Herron – 43 morts, jusqu’à présent, dont un certain nombre de déshydratation et de famine. Cette horreur s’est passée dans un contexte où il y avait un gestionnaire clairement identifié: le propriétaire. Et un plein cahier de règles. Mais le CIUSSS concerné a clairement manqué à son devoir de contrôle. Au point où il faut une enquête publique pour démêler l’imbroglio.

Donc bravo au gouvernement pour son plan d’action, mais encore faudra-t-il qu'il soit permanent et qu’on ne s’arrête pas non plus en si bon chemin. En espérant qu’il ne faudra pas encore 5 000 morts pour faire bouger les gouvernements.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.