Le temps est venu de décoloniser

La découverte des ossements de 215 enfants autochtones dans une fosse commune à l’ancien pensionnat de Kamloops, et d’une centaine d’autres au Manitoba, a profondément choqué les Québécois indignés qui ont pris la mesure de l’ampleur de la tragédie autochtone au pays. En ce Mois national de l’histoire autochtone, le temps est venu de reconnaître que les Autochtones sont victimes depuis des siècles d’une politique officielle d’assimilation, d’acculturation et d’ostracisation qui tient du génocide et dont les manifestations courantes et qui perdurent s’appellent «Joyce», «réserves» ou «femmes tuées ou disparues».



Pour se sortir de cette spirale infernale de mauvais traitements et de ségrégation, il faut repenser les structures, formuler de nouveaux droits, mais aussi adopter un nouveau vocabulaire et de nouveaux comportements.

Le premier ministre François Legault, comme bien des Québécois, répugne à parler de racisme systémique, et il a sans doute ses raisons… Pourtant, M. Legault, dans le cas des Autochtones, ce racisme a été érigé en système avec le consentement de tous les paliers d’autorité provinciaux, fédéraux, avec la participation du religieux et de la police, avec le consentement tacite de la très grande majorité de la population. Pourquoi refuser de l’admettre?

Et si le terme chatouille trop, dans le cas des Autochtones, il faut au moins reconnaître qu’il s’agit de «colonialisme» et «d’un génocide». Et non, les termes ne sont pas trop forts.

Bien des Québécois jugent que l’on galvaude le terme «génocide». Mais le génocide, ce n’est pas nécessairement l’hécatombe – tels l’holocauste des juifs par les nazis, la marche forcée des Arméniens à travers le désert de Turquie, le carnage des Tutsis au Rwanda, etc.

Le Canada, lui, a plutôt maîtrisé l’art du génocide «doux». Comment? D’abord en privant les Autochtones de droits. Puis en les dépossédant. Puis en les privant d’accès à des services aussi essentiels que l’eau potable. Puis en séparant les familles afin d’acculturer leurs enfants. Puis en n’honorant aucune des garanties consenties par traité, car il y avait un traité. Justin Trudeau a su verser de médiatiques larmes sur le dossier autochtone, mais il semble incapable de remplir sa promesse d’alimenter toutes les réserves en eau potable. Environ 38 communautés n’ont toujours pas cet accès au pays au 21e siècle!

Le résultat de toutes ces politiques officielles et officieuses a produit une éradication culturelle de masse d’une ampleur qui n’a rien à envier aux autres génocides.

La vérité, que les Autochtones nomment, mais qu’on refuse d’entendre, c’est que leur vie est régie par une politique coloniale qui refuse de dire son nom. La décence réclame donc que l’on appelle un chat, un chat, et le colonialisme, le colonialisme. En Afrique du Sud, on a appelé ce système apartheid et pour l’ériger on s’est inspiré de la Loi sur les Indiens du Canada! Rien de moins.

Dans ce dossier, Justin Trudeau ne fait pas mieux que les autres. Devant l’horreur de Kamloops, la seule chose qu’il a trouvé à faire a été de blâmer l’Église catholique. C’était la police fédérale qui retirait les enfants des réserves, suivant une politique fédérale. L’Église était, elle aussi coupable dans son zèle «missionnaire» et pour avoir fermé les yeux sur les abus, mais pas plus que les autres instances. La réalité brutale des pensionnats où on a littéralement enfermé des enfants autochtones est la suivante: même si on savait depuis le début du 20e siècle que les taux de mortalité y étaient exorbitants, on les a maintenus jusqu’en 1991. Et s’il est facile de jeter la pierre aux gouvernements, ayons aussi l’honnêteté de reconnaître que nous, citoyens, n’avons rien vu, ou rien voulu voir, et ceux qui voyaient n’ont rien dit.

En ce Mois national de l’histoire autochtone, le temps est venu de reconnaître que les Autochtones sont victimes depuis des siècles d’une politique officielle d’assimilation, d’acculturation et d’ostracisation qui tient du génocide.

Non, ils ne sont pas «de même»

La pierre d’assise du colonialisme canadien s’appelle la Loi sur les Indiens, formulée en 1876 pour «émanciper le sauvage», c’est-à-dire pour le libérer de son état – comme si le fait d’être Autochtone était une maladie.

Le régime d’apartheid, qui s’en est inspiré, n’existe plus en Afrique du Sud, mais la Loi sur les Indiens, elle, est toujours en vigueur. Cette loi a certes évolué, mais le principe demeure le même. Et le résultat de toutes ces politiques est que les autochtones ont été quasiment éradiqués culturellement et traités en citoyens de seconde zone. Résultat: statistiquement, ils sont plus pauvres, plus malades, plus chômeurs que la population – leurs enfants sont surreprésentés à la DPJ, mais pas parce qu’ils «sont comme ça» et que c’est leur «culture», mais bien parce que le système les a broyés ou à tout le moins niés.

La situation est tellement honteuse que nous avons tendance à nous réfugier dans un négationnisme de bon aloi:  «Ça n’est pas possible», «on est du bon monde», «c’est la faute des autres», «ils sont comme ça.»

Car ce qui est frappant dans le dossier autochtone, c’est bien le manque d’empathie d’une bonne partie de la population pour le sort qu’on a réservé aux premiers habitants du pays. Les Canadiens de tous âges, y compris les Québécois, ont tous été programmés à penser que les Autochtones sont plus pauvres, plus malades, plus chômeurs parce qu’ils sont «de même».

Cette programmation systématique prend plusieurs formes, comme l’apathie, l’impatience devant les revendications, la hargne des infirmières de Joyce Echaquan et autres stéréotypes sur ces «quémandeurs», «scalpeurs», «irresponsables», que l’on maltraite dans leur propre pays. «Et que de toute façon, ils ne paient pas d’impôts, donc…»

Quoi qu’il en soit, pour l’ensemble des Canadiens, il devient indécent de prétendre qu’on ne savait pas. Ce qui est arrivé à Kamloops, à l’hôpital de Joliette, dans les réserves, dans les postes de police est su et documenté dans un bon nombre de grandes études et de commissions d’enquête québécoises et fédérales, presque toujours mal suivies et mal rapportées par les médias et mal comprises par la population.

Si on est le moindrement curieux, les Premières Nations ont toutes leur page Facebook, leur site web, et la littérature autochtone est de plus en plus abondante. Et si vous cherchez où commencer, le chef d’antenne de TVA, Michel Jean, en livre un témoignage émouvant dans Kukum (Prix France-Québec), qui raconte l’histoire de sa grand-mère innue au Lac-Saint-Jean. Ou Je suis une maudite sauvagesse, le classique signé An Antane Kapesh.

Le sort des autochtones, un cas particulier

Le piège à éviter est de noyer le poisson. Car la tentation est grande de confondre la situation des Autochtones avec celles des immigrants et du racisme qui peut les viser.

Oui, il faut combattre toutes les formes de racisme. Mais ce que les premiers habitants du pays ont subi est très différent et va bien au-delà du racisme ordinaire.

Le racisme ou la discrimination qu’ont subi et subissent encore les Autochtones ont ceci de très particulier qu’ils sont officialisés et, encadrés par les lois, à la fois systémique et systématique. Le racisme dont ils ont été victimes a été d’une autre essence parce qu’il était officiel et l’est encore. Parce que c’est du colonialisme et il faut en sortir. 

Sortons du colonialisme

Il faut donc décoloniser le Canada. Comment? En décolonisant les politiques et les esprits et en créant des formes originales de droits et de gouvernance assurant une autodétermination et un redéploiement dans ce qui est le Canada.

Encore là, il n’y a absolument rien de nouveau sous le soleil. On pourrait commencer par mettre en œuvre les 94 appels à l’action du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada promulguées en 2015. Et favoriser les initiatives diverses. L’expérience a démontré que c’est possible. Ainsi, le gouvernement du Québec a réglé une large part de son contentieux avec les Cris en inventant une forme originale de traité, mais aussi en mettant beaucoup de bonne volonté à traiter de bonne foi avec le Grand Conseil des Cris.

Les solutions ont toutes été proposées et formulées au cours des vingt dernières années, il n’appartient qu’à nous d’emprunter le bon chemin et de vouloir mettre fin à ce colonialisme qui nous fait honte.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.