Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Racisme systémique: arrêtez de jouer sur les mots

La famille de Joyce Echaquan a eu parfaitement raison de refuser au premier ministre François Legault l’accès aux funérailles de la mère de sept enfants morte sous les insultes racistes à l’hôpital de Joliette. Si cette mort de trop a choqué le Québec au complet, il y a quelque chose de réellement troublant, pour ne pas dire pathétique, à voir le premier ministre Legault essayer de couper les cheveux en quatre dans ce dossier.



D’une part, il admet l’existence du racisme. Il admet que ce racisme cible tout un groupe. Il admet qu’il y a un système. Il admet que ce racisme est implanté au sein même des institutions. Et il admet que tous les Québécois en sont plus ou moins responsables.

Mais voilà, on est devant un comptable qui n’est pas capable de dire 4 quand il voit 2 + 2 et il n’admet pas que tout cela équivaut à du racisme systémique. La nomination attendue de Ian Lafrenière, comme ministre responsable des Affaires autochtones pour remplacer Sylvie D’Amours, est certainement un pas dans la bonne direction, mais il faudra plus, beaucoup plus.

Les enquêtes ont été faites mille fois, les conclusions du rapport Viens sont limpides. Tout ce qui manque, c’est en fait un chef résolu capable de regarder la réalité en face comme il l’a fait pour la COVID.

Il est urgent que le premier ministre s’élève au-dessus de ses atermoiements et de ceux de son parti, parce qu’il est urgent qu’il mobilise l’appareil de l’État pour régler la discrimination dont sont victimes les Autochtones – et toutes les personnes victimes de racisme, par ailleurs.

La vérité, comme nous l’avons écrit dans plusieurs éditoriaux, c’est que le Canada dans son ensemble n’est toujours pas sorti de son péché colonial originel. Et le premier ministre Justin Trudeau, malgré toutes ses belles promesses, n’a pas encore trouvé la résolution et la fortitude morale pour en finir avec notre vieille loi raciste, la Loi sur les Indiens, qui a, rappelons-le, inspiré les rédacteurs sud-africains de la Loi d’apartheid. Faute d’action de ce côté, il revient donc aux premiers ministres provinciaux d’agir selon leurs prérogatives.

Photo: Facebook

Le refus de François Legault revient à une espèce d’abdication. À l’échelle continentale, le Québec détient une responsabilité particulière, essentielle, en matière de lutte au racisme: celle d’être un exemple. Parce qu’il est lui-même le seul État gouverné par une minorité continentale qui a longtemps été marginalisée et qui le demeure largement un peu partout, sauf au Québec. Les Québécois francophones, s’ils sont fortement majoritaires chez eux, sont très conscients de leur statut fragile et se gouvernent en conséquence. Les Québécois ont eux-mêmes subi le joug colonial et ils ont de nombreuses cousines et cousins francophones qui sont encore victimes de marginalisation systémique au Canada ou aux États-Unis.

Un premier ministre québécois devrait comprendre – doit comprendre – que le combat des Autochtones du Québec pour le respect et des conditions meilleures est exactement le même que celui des francophones à l’échelle du Canada et du continent. Que les Autochtones archi-minoritaires comptent pour 1% de la population québécoise n’y change rien. Il faut absolument que le premier ministre Legault comprenne que la lutte au racisme et à la discrimination systémique est constitutive de l’identité québécoise et que cette lutte doit commencer chez soi.

C’est donc de hauteur morale dont il est question avant tout et c’est ce qui rend la frilosité de François Legault si pénible à voir. La famille Echaquan accordera son pardon à François Legault quand il aura fait cesser l’offense, et son refus de reconnaître le racisme systémique ne fait qu’ajouter l’insulte à l’injure. Le nier ne fait que prolonger un crime qui perdure.

Le premier ministre Legault prétend qu’il ne peut reconnaître le racisme systémique parce qu’il s’agit d’une insulte envers les Québécois. Que les Québécois aient eu la couenne sensible ou non, il ne fait aucun doute qu’il se méprend sur ce qui se passe actuellement dans l’opinion. La vidéo scandaleuse diffusée par Joyce Echaquan sur son lit de mort arrive précisément au moment de la résurgence de deux mouvements, Black Lives Matter et #MeToo, qui ont exacerbé le désir de justice de la population en général. Même s’il y aura toujours des réactionnaires et des dinosaures qui nient le problème, la population n’a jamais été si sensible à la question, si éveillée – si «woke», pour reprendre un terme à la mode. Le moment est là, maintenant.

Ce n’est pas pour rien que le rapport Viens fait état de 142 recommandations. Les problèmes à régler sont très nombreux et il faudra y mettre les moyens. Un an après le dépôt du rapport, ses signataires dénoncent vertement l’inaction du gouvernement, une inaction qui se ramène au fait que le «grand chef» des Québécois peine à signaler le chemin à prendre pour tous les Québécois, à commencer par ceux qui travaillent pour lui.

L’État québécois – et par là, tous les Québécois – doit mieux soigner les Autochtones, à commencer par leur assurer un accueil digne de ce nom dans les établissements de santé. Il doit réduire leur surreprésentation dans le système de protection de la jeunesse et parmi les itinérants et la population carcérale. Il doit s’attaquer à leur sous-diplomation scolaire. Chacun de ces problèmes est énorme et persiste depuis trop longtemps. Mais comme l’a démontré le rapport Viens, ils sont tous reliés et ils ont tous pour point commun l’État québécois – c’est-à-dire le système.

Alors combien de jours, de semaines, de mois, d’années faudra-t-il attendre avant que le premier ministre Legault dise «2 + 2 = 4»?

L’écart entre la sensibilité dont est capable de faire preuve François Legault dans sa gestion de la COVID et la résistance qu’il éprouve manifestement sur les questions de racisme est frappant. Il faudra bien se demander quel rôle jouent ceux qui l’entourent et son parti dans ce blocage. Un intéressant papier publié en manchette du Devoir le 8 octobre indiquait que les atermoiements de François Legault sont le miroir des atermoiements des membres de son parti, qui ne sont clairement pas en phase avec le reste du Québec sur cette question.

François Legault s’est défilé maintes fois sur cette question en disant – en prétendant, devrait-on dire – que la reconnaissance du racisme systémique envers les Autochtones est une attaque envers le peuple québécois.

Au contraire, le problème du racisme systémique, qui le ronge au cœur, est comme une sorte de cancer moral, que le premier ministre refuse de diagnostiquer – et même de soigner.

Il est plus que temps que l’État québécois s’y attaque de manière exemplaire. Encore faudra-t-il que son chef puisse s’élever au-dessus de ses atermoiements et qu’il adopte la stature morale que l’on attend d’un vrai chef. 2 + 2, M. Legault.

2 + 2. C’est une question de devoir moral envers les Autochtones, mais aussi envers notre propre Histoire.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.