Anticosti, prochain site du patrimoine mondial de l’UNESCO?
Le 24 janvier dernier marquait le dépôt de la candidature de l’île d’Anticosti pour être inscrite sur la prestigieuse liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Une armée de passionnés travaille d’arrache-pied depuis plus de trois ans pour monter un dossier sérieux en vue de cette demande. Portée par les élus de la municipalité de l’île d’Anticosti, avec appuis citoyens, gouvernementaux, scientifiques et autochtones (chefs de la Nation innue), une telle reconnaissance internationale donnerait un nouveau souffle à la préservation de ce joyau naturel, tout en y facilitant un développement touristique contrôlé.
Objectif: été 2023
La proposition d’inscription transmise au Centre du patrimoine mondial à Paris sera examinée ce printemps par le comité du patrimoine. Les procédures prévoient ensuite une évaluation par l’Union internationale pour la conservation de la nature, mandatée par l’UNESCO pour les demandes portant sur des sites naturels. Cette phase cruciale inclut une visite des évaluateurs sur le terrain, laquelle se fera sans doute l’été prochain.
Il faut compter 18 mois après le dépôt de la demande pour qu’une décision finale du comité intergouvernemental du patrimoine mondial de l’UNESCO soit rendue, ce qui nous mènerait à l’été 2023 pour les célébrations.
Un travail initial de longue haleine avait posé les jalons d’une candidature «possible».
L’étape préalable à tout dossier porté devant l’organisation internationale passe en effet par les États, qui doivent mettre leur sceau sur des lieux patrimoniaux naturels et culturels particulièrement remarquables. C’est ce qu’a fait le gouvernement canadien en décembre 2017. À la suite d’un appel à projets, il a inscrit huit nouveaux sites dans sa mise à jour de la liste indicative des sites du patrimoine mondial au Canada, «gérés» par Parcs Canada, dont l’île d’Anticosti, seul projet retenu pour le Québec.
La liste actuelle du patrimoine mondial à l’UNESCO compte 1154 sites culturels, naturels ou en péril, couvrant 167 pays. Vingt se trouvent au Canada et seulement deux d’entre eux au Québec: l’arrondissement du Vieux-Québec et le parc national de Miguasha.
L’étape suivante pour Anticosti était une intervention du gouvernement du Québec qui, en décembre 2020, a créé la «réserve de biodiversité projetée d’Anticosti». L’existence d’une telle aire protégée était une autre condition préalable à une demande d’inscription au patrimoine mondial.
Restait à monter le gros du dossier, avec un contenu inattaquable. Le maire d’Anticosti, John Pineault, auquel a succédé Hélène Boulanger aux dernières élections, s’est entouré avec son équipe municipale de spécialistes et de partenaires comme Nature Québec, les Premières Nations de Ekuanitshit et de Nutashkuan, des citoyens, des politiciens locaux et régionaux, des organismes tels la SEPAQ, sans oublier plusieurs représentants de ministères québécois. Objectif: s’assurer de préparer un «projet mobilisateur et rassembleur».
Deux experts clés
Un comité de pilotage de la candidature a été créé par la municipalité avec, pour directeur scientifique, un «habitué» d’Anticosti: André Desrochers. Géologue et paléontologue, ce professeur à l’Université d’Ottawa est une sommité dans le monde des fossiles, et ceux de l’île sont au cœur de la candidature.
Autre personne clé embauchée en 2019: Katie Gagnon, qui a pris en charge la coordination – développement et concertation – du projet de candidature, un autre aspect majeur pour la candidature.
Katie Gagnon a un curieux parcours qui l’a menée à Anticosti. Cette Québécoise est politologue, mais aussi russologue, formatrice et cinéaste. Auparavant, elle travaillait comme coordonnatrice au bureau régional de l’UNESCO à Moscou. C’est dire combien elle connait la grosse machine de cette organisation internationale et les ressorts de sa liste du patrimoine mondial. Son expertise était plus que précieuse pour bien mener la barque des étapes à franchir, notamment sur le plan de la concertation avec la population locale d’Anticosti.
La «valeur universelle exceptionnelle» d’Anticosti
«Notre dossier est solide comme du roc», m’assurait André Desrochers en juin dernier, lors d’une visite à Anticosti.
La reine du golfe du Saint-Laurent est en effet chargée d’une histoire naturelle qui en fait une candidature à toute épreuve, selon plusieurs. Formée de roches calcaires en strates, l’île est un immense cimetière de fossiles (au moins 1 400 espèces répertoriées). Reconnue mondialement comme l’un des sites fossilifères de la période de l’Ordovicien au Silurien (437 à 447 millions d’années) les plus complets sur la planète, Anticosti met d’exceptionnels attributs stratigraphiques et paléontologiques au cœur de sa candidature à l’UNESCO.
Le principal critère de sélection de sites naturels pour figurer au patrimoine mondial impose à cet égard d’«être des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l’histoire de la Terre, y compris le témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans le développement des formes terrestres ou d’éléments géomorphiques ou physiographiques ayant une grande signification» (critère 8).
Les promoteurs de l’inscription d’Anticosti se sont donc attelés à la tâche de démontrer la «valeur universelle exceptionnelle» de l’île d’Anticosti en mettant de l’avant le fait que l’île n’a pas d’équivalent au monde sur cette période géologique. Elle coïncide, disent-ils, avec un jalon important et même «un point critique de l’histoire de la Terre, à savoir le premier évènement d’extinction massive du vivant» à l’échelle mondiale.
L’atteste encore plus le fait qu’Anticosti est devenue au fil des ans «le meilleur laboratoire naturel du monde pour l’étude des fossiles et des couches sédimentaires de la période allant de l’Ordovicien au Silurien», précise Parcs Canada.
En ce moment même, une douzaine de programmes de recherche de calibre international, impliquant d’éminents chercheurs, portent justement sur cette valeur universelle exceptionnelle de la paléontologie d’Anticosti.
De la science au tourisme, en passant par l’histoire
De façon plus mineure, d’autres éléments liés à l’histoire et à la valeur touristique d’Anticosti entrent en ligne de compte pour appuyer la demande à l’UNESCO.
Son histoire «humaine» a au moins 3500 ans, du temps où des Autochtones venaient y chasser l’ours. Découverte par Jacques Cartier, achetée en 1895 par le Français Henri Menier, roi du chocolat qui en fit son lieu de prédilection pour la chasse et la pêche, Anticosti passa au début du 20e siècle sous propriété d’exploitants forestiers successifs, puis fut rachetée par le gouvernement québécois en 1974. Il y créa notamment une réserve faunique, ouverte à la chasse, à la pêche et à la coupe de bois. Depuis vingt ans, Anticosti a aussi «son» parc national qui en protège 572 km2.
Aujourd’hui, Anticosti est demeurée un paradis pour chasseurs de chevreuils (qui prolifèrent) et pêcheurs de saumons, mais aussi pour tous les amants de nature sauvage, campeurs, randonneurs et kayakistes.
Ses atouts touristiques sur plus de 8 000 km2: des canyons et chutes impressionnants (comme la chute Vauréal), une richesse géologique incroyable, des forêts boréales à perte de vue, des grottes à explorer, une centaine de rivières, des fosses à saumon, un littoral ponctué de larges baies, de hautes falaises et de plages désertes; un parc national et une réserve faunique gérés par la SEPAQ.
Parmi les projets «touristiques» de la municipalité, il y a par exemple celui de doter l’île d’un sentier de longue randonnée qui la ceinturerait sur 475 km. Plusieurs tronçons sont d’ores et déjà accessibles aux marcheurs. À terme, on prévoit d’obtenir le label GR de sentier de Grande Randonnée, délivré par la Fédération française de la randonnée pédestre. Ce serait le second au Québec, après le Sentier international des Appalaches. Nul doute qu’avec l’autre «label» prestigieux de patrimoine mondial, Anticosti sera d’ici peu l’un des nouveaux points de mire du Québec à l’échelle internationale.
La municipalité de l’île d’Anticosti devrait tenir une conférence de presse dans les toutes prochaines semaines, en compagnie de différents partenaires et membres du comité qui a piloté le projet d’inscription.