Sénateur, moi?, André Pratte
Un livre sur le Sénat, écrit par l’ancien éditorialiste en chef du journal La Presse, mais qu’est-ce qui a bien pu m’attirer là?
Pour tout vous dire, André Pratte et moi avons le même âge. Nous avons commencé dans le métier des communications à peu près en même temps, dans le même réseau, Télémédia, qui était une référence à l’époque. Notre travail de nouvelliste, lui à Montréal, moi à Québec, nous amenait à échanger des informations professionnelles par l’interphone qui reliait nos salles des nouvelles. Nous avions en commun d’être tous les deux étudiants en sciences politiques et d’être très intéressés par les premières élections européennes. J’étais donc curieux de comprendre comment, à partir d’un point relativement commun, on peut prendre des directions si différentes, car pour moi, se retrouver au Sénat à l’aube de la soixantaine est un drôle de destin.
Les 50 premières pages, certainement les plus surprenantes du livre, ont un côté très people. André Pratte nous raconte d’où il vient, comment il a gravi les échelons jusqu’à devenir un jour l’éditorialiste en chef du plus grand quotidien francophone d’Amérique. Il y a dans sa description une volonté de mettre les pendules à l’heure, de montrer qu’il n’est pas l’homme que l’on pense qu’il est. Oui, il est né dans une famille bourgeoise de Québec encline au fédéralisme, mais cela n’a pas fait de sa vie un long fleuve tranquille.
Très jeune, il perd sa mère et doit composer avec un père rigide qui souhaite que son fils devienne avocat comme lui. «Moustique», c’est ainsi que son père l’appelle, n’arrive pas à être à la hauteur. Pas bon à l’école, ni en sport, timide de surcroît, la description qu’André Pratte fait du jeune adolescent qu’il était se révèle peu flatteuse. Il ne cache rien, ni sa tentative de suicide ratée, pas plus que les visites chez le psychiatre qui s’en sont suivies.
Tout au long du livre, l’auteur ne s’épargne pas. Il se bat volontiers la coulpe pour les erreurs de jugement qu’il commet comme journaliste, éditorialiste, chef d’équipe et même sénateur. Il est aussi impitoyable quant à son rôle de père et de mari, se reprochant de n’avoir pas été mieux que son père en consacrant toute sa vie au travail. Pour compléter le portrait, André Pratte s’ouvre sur ses problèmes de migraines qui lui empoisonnent la vie et l’empêchent d’être parfaitement à l’aise en société. Comme vous le voyez, on est loin de l’homme en apparence blindé de certitudes qui signait les éditoriaux de La Presse.
Après une entrée en matière toute en humilité, le lecteur ne peut faire autrement qu’avoir de la sympathie pour l’auteur et de la curiosité pour la suite.
Les 300 pages qui suivent sont principalement consacrées au Sénat, cette institution mal aimée qu’André Pratte a vraiment tenté de réhabiliter aux yeux de la population au cours de ses trois années et demie à la chambre haute. D’ailleurs, une grande partie du livre a été écrite alors qu’il n’avait pas encore décidé de démissionner.
Le sujet peut sembler rébarbatif, mais André Pratte se sert de ses nombreuses années d’expérience comme journaliste dans un grand quotidien pour rendre ça digeste, et même intéressant.
En bon pédagogue, il nous rappelle les principes qui ont guidé les Pères de la Confédération lors de la création du Sénat, une institution qui avait pour but de donner une voix aux régions et aux minorités tout en se tenant à l’écart du jeu électoral. Il explique ce qui a valu à la chambre haute la mauvaise réputation qu’elle traîne depuis des lustres. Il démonte pour nous la mécanique de cette machine créée pour passer au crible les projets de loi soumis par le Parlement. On est surpris par la somme de travail que les sénateurs qui ont à cœur leur mission ont à abattre dans leurs fonctions.
En acceptant l’invitation du premier ministre Justin Trudeau de siéger comme indépendant, André Pratte a cru qu’une nouvelle ère s’annonçait. Avec de multiples exemples, souvent déconcertants, il nous démontre à quel point les sénateurs conservateurs rendent impossible tous changements, campés qu’ils sont dans le mode partisan hérité du passé. Par moment, la chambre haute a plutôt des allures de basse-cour. Devant le cul-de-sac, il a déclaré forfait.
L’ex-sénateur termine néanmoins son livre avec un sursaut d’optimisme en y allant de propositions personnelles pour rendre le Sénat plus efficace et de son temps. À la lecture, il nous convainc presque que le Canada n’a pas le luxe de se priver de ce rempart essentiel à la démocratie.
Sénateur, moi?, André Pratte. Éditions La Presse, 2020. 352 pages.