L’homme derrière. Sylvain Vaugeois, un as de la gestion stratégique

Alors que le développement de Montréal est à pause à cause de la pandémie, voici une lecture pour se souvenir qu’un jour il y a eu des gens qui ont rêvé grand pour Montréal. Sylvain Vaugeois a été un de ceux-là et son grand cousin, l’historien Denis Vaugeois, se charge de nous le rappeler dans un livre qui raconte la vie tumultueuse de cet idéateur hors-norme à qui on doit, entre autres, la venue à Montréal de la firme française Ubisoft.



Sylvain Vaugeois est né à Saint-Timothée (aujourd’hui Hérouxville) en Mauricie en 1957. Après avoir gravité dans le monde des cabinets politiques péquistes, ce fils de garagiste se transforme en consultant qui développe des projets ambitieux et avant-gardistes.

Une de ses premières idées sera de créer un régime d’assurance vie et santé s’apparentant au REER, c’est-à-dire que le cotisant obtient un crédit d’impôt en contribuant à un fonds dans lequel il pourra puiser sans payer d’impôts pour payer ses soins de santé. Le lobby des assurances n’aime pas son projet et le gouvernement hésite à encourager la médecine à deux vitesses. Tant pis, il récidive avec une autre idée dans le domaine de la santé: la construction d’un hôpital ultraspécialisé à Mirabel pour inciter des patients étrangers à venir en avion se faire soigner au Québec.

Autre échec. Qu’importe, Vaugeois rapplique avec, cette fois, la bonne affaire: transformer l’économie de Montréal. Il convainc le gouvernement du Québec (Bernard Landry est alors ministre des Finances) d’investir dans l’individu plutôt que l’entreprise, dans la formation plutôt que les infrastructures. Cela prendra la forme d’un crédit d’impôt associé à chaque emploi créé dans le secteur du multimédia qu’il voit, avant tout le monde, comme un secteur d’avenir. C’est grâce à cette formule qu’Ubisoft consentira à s’installer à Montréal. Banco!

Plusieurs entreprises suivront, et paveront la voie à d’autres idées défendues par le Groupe Vaugeois: la Cité du multimédia et la Cité du commerce électronique. Ces succès dopent la machine à idées de Sylvain Vaugeois. Voilà qu’il veut développer un train à propulsion magnétique permettant de relier Montréal à New York en 90 minutes, et créer une gigantesque place au centre-ville, la place des Amériques, pour accueillir les 15 000 nouveaux visiteurs quotidiens que cette liaison attirera.

Je n’ai pas besoin de vous dire que ça ne s’est pas fait. Sylvain Vaugeois s’est plutôt rabattu sur un immense projet récréotouristique sur les bords du lac Mékinac, en Mauricie. Cette fois, il a un allié aux poches profondes, le groupe immobilier Hines, prêt à investir 200 millions de dollars dans l’affaire, sauf que… Vaugeois meurt subitement à l’âge de 46 ans. L’autopsie révélera qu’il a succombé à une surdose de cocaïne.

Pour écrire son livre, Denis Vaugeois a eu accès aux archives de son petit-cousin et aux confidences de ses proches. On ne peut pas dire que l’auteur est complaisant par rapport à ce membre de sa famille, mais il a quand même débarrassé son récit des scories qui empêchent de célébrer aveuglément son côté visionnaire.

Il faut le dire, ce frimeur, qui combattait la bipolarité, s’est fait beaucoup d’ennemis à vouloir tirer toutes sortes de ficelles pour faire arriver ses idées. Cela étant dit, c’est un livre passionnant à lire, dans lequel, en bon historien qu’il est, Denis Vaugeois se permet des digressions toujours intéressantes sur l’histoire de Montréal et de la Mauricie. Et, disons-le, ça fait du bien de rêver des fois, ce que Sylvain Vaugeois, 17 ans après sa mort, nous permet de faire de manière posthume.

L’homme derrière. Sylvain Vaugeois, un as de la gestion stratégique, Denis Vaugeois. Éditions Septentrion. 2020. 192 pages.