Jean-Paul – Fenêtres intimes de Huguette Vachon

Récemment, j’ai eu l’honneur d’être invité à l’émission Les enfants de la télé. Quand on arrive sur le plateau d’André Robitaille, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Les archives de Radio-Canada sont tellement riches, qu’on peut y trouver autant la fois où vous avez eu l’air le plus fou qu’un moment oublié qui va vous tirer les larmes. J’ai été très content qu’on ressorte un extrait de ma rencontre avec le grand peintre québécois Jean-Paul Riopelle, que je tiens comme un des moments les plus marquants de ma carrière. Revoir des images de cette rencontre à l’île aux Grues en 1991 a remué chez moi plein de souvenirs forcément un peu flous à cause du temps qui a passé.



Mais par chance, ma mémoire embrouillée a rapidement eu du renfort. Huguette Vachon, dernière conjointe de Riopelle, celle qui a rendu possible ma rencontre avec son homme, publie ce mois-ci chez Leméac Jean-Paul - Fenêtres intimes, un livre qui nous permet d’approcher cette légende comme jamais on ne l’a fait à ce jour. Personnellement, plein de détails de ma visite me sont revenus. Au fil de ces 200 pages de souvenirs restitués, on pénètre dans l’antre du créateur, mais aussi dans cette zone très privée du rapport que le peintre entretient avec ses amis, les animaux, la nature et le milieu des arts visuels.

Leur histoire commence en 1986 par un coup de foudre. Huguette, fille de l’Abitibi, diplômée en histoire de l’art, mère de deux jeunes enfants, travaille chez ABC Encadrement sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Un jour, le mythique Riopelle passe par là. À 63 ans, il sait encore faire la cour.

«Ma rencontre avec Jean-Paul peut se comparer à un ouragan qui serait passé dans nos vies, chamboulant tout, et nous emportant au passage.»

Huguette Vachon entre alors dans la vie d’un artiste qui est loin d’avoir tout dit. Du milieu des années 1980 au début du nouveau millénaire, Jean-Paul Riopelle connaîtra une période très productive dont l’apothéose sera la production de la murale Hommage à Rosa Luxemburg.

Le récit de cette aventure est certainement le plus fascinant de tous. Il y a d’abord l’incroyable besoin de matières premières pour faire le travail. Les tubes de peinture, les bombes aérosol sont commandés en grande quantité. Il faut aussi des clous, des filets de pêche, des fers à cheval, des feuilles de fougères, des cadavres de souris, et toute une variété d’oiseaux, de la corneille à l’oie, en passant par la grue et le harfang des neiges. Oui, un harfang des neiges a été capturé pour les besoins de l’artiste.

La réalisation de cette œuvre colossale se fait dans le minuscule atelier mal isolé de l’île aux Grues. La table de travail qui s’y trouve fait quatre pieds. La fresque, elle, mesure 132 pieds! Imaginez l’enjeu logistique. On frémit à la lecture de la gigantesque opération mise en place par Huguette pour transporter, en plein hiver, les cinq rouleaux de l’œuvre, de ce lieu perdu au milieu du fleuve Saint-Laurent jusque dans les Laurentides. Je vous laisse découvrir tous les noms des gens qui se pressent pour voir cette Rosa Luxemburg présentée en primeur dans sa version brute dans une salle de bingo de Prévost éclairée au néon.

Huguette Vachon nous explique aussi le sens de chacun des grands éléments que Riopelle a mis en scène. On a juste envie de retourner au Musée national des beaux-arts de Québec pour revoir et mieux comprendre cette œuvre magistrale.

Durant les seize années qu’elle a vécu avec son Jean-Paul, Huguette s’est promenée avec lui du Manoir McPherson de l’île aux Grues à la Maison sir-Étienne-Paschal-Taché à Montmagny, mais aussi de l’atelier de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson dans les Laurentides à celui de Saint-Cyr-en-Arthie, en France.

Parmi les confidences sur les gens qu’elle a rencontrés à ces différents endroits, celles sur Joan Mitchell sont particulièrement croustillantes. L’artiste originaire de Chicago, qui a vécu 25 ans avec Riopelle, a continué à habiter en France après sa séparation en 1979. Elle n’a jamais quitté «La Tour», cette résidence de Vétheuil qui a déjà été la maison de Monet, de 1878 à 1881, où il a quand même peint près de 150 tableaux.

Si vous avez aimé l’exposition Un couple dans la démesure présentée au Musée national des beaux-arts du Québec en 2018, vous voulez entendre parler des retrouvailles de Riopelle avec Mitchell, avec la nouvelle venue dans le portrait.

Huguette Vachon évoque aussi dans son livre la tentative ratée de créer en France, dans les années 1990, une Fondation Jean-Paul Riopelle. Il manque des détails pour bien comprendre pourquoi le projet a échoué, mais on peut se rassurer, car l’idée a été relancée ici même au Canada. La structure est en place et l’organisme dit qu’il sera prêt pour célébrer en grand le centenaire de Riopelle et les 75 ans du Refus global en 2023.

D’ici là, il y aura une importante exposition Riopelle au Musée des beaux-arts de Montréal en septembre, et ce livre d’Huguette Vachon qui est une contribution majeure à la compréhension de cet immense personnage de la culture québécoise.