22 janvier 2021Auteure : Claude Deschênes

J’Em, le nouveau livre de Kim Thúy

Cette semaine, c’est la lecture qui a occupé mon couvre-feu. Avec un bon livre, on n’a jamais trop de temps. Qui plus est, avec Em de Kim Thúy, paru l’automne dernier chez Libre Expression, il y a même moyen de relativiser nos malheurs de confinés.



Dans son plus récent ouvrage, Kim Thúy nous raconte le parcours tragique de sa patrie d’origine à travers le destin de différents personnages. Comme le suggère la magnifique couverture du livre (un concept de l’artiste Louis Boudreault), ce sont des fils de vie que l’auteure tire de l’histoire douloureuse du Vietnam, pays marqué par la colonisation française, les conflits fratricides entre le Nord et le Sud, une guerre aussi interminable que cruelle, l’exode d’un million de ses citoyens.

Dans ces pages écrites avec une émotion contenue, Kim Thúy convoque toutes les natures humaines. Il y a ceux qui exploitent sans vergogne, ces autres qui tuent sans sentiment, mais aussi ceux qui agissent en héros, et des âmes charitables qui prennent soin des faibles. On y retrouve des femmes fortes, des enfants résilients, des militaires marqués pour la vie, des immigrants devenus prospères. Ils s’appellent Mai, Tâm, Alexandre, Naomi, Louis, Emma-Jade.

D’entrée de jeu, l’auteure nous dit qu’à partir de tous ces fils, elle a rebrodé l’histoire, pour nous épargner, parce que ce qui s’est vraiment passé a été soit très laid ou proche du miracle.

«Si votre cœur se serre à la lecture de ces histoires de folie prévisible, d’amour inattendu ou d’héroïsme ordinaire, sachez que la vérité entière aurait très probablement provoqué chez vous soit un arrêt respiratoire, soit de l’euphorie. Dans ce livre, la vérité est morcelée, incomplète, inachevée, dans le temps et dans l’espace.»

Bien que dans sa vie elle soit très avide de statistiques et de faits avérés, Kim Thúy écrit plutôt de manière impressionniste, laissant à d’autres l’approche plus stricte du documentaire. Avec une plume que je qualifierais de tropicale, elle nous fait ressentir la touffeur de son pays en forme de S («qui renvoie peut-être à son parcours sinueux», se demande-t-elle), la luxuriance de sa jungle, l’agitation de sa capitale, Saigon.

C’est dans ce décor planté que les personnages ont rendez-vous avec leur destin. Parmi eux, on retrouve un enfant vivant dans une boîte sous un banc de parc, une femme obligée de satisfaire l’appétit sexuel de marines en goguette, une autre, survivant à l’exécution de sa famille à My Lai, des paysans pulvérisés d’agent orange, un veinard héliporté in extremis.

J’avoue que parallèlement à la lecture de Em, j’ai interrogé Google plus d’une fois pour en savoir davantage sur le Frequent Wind (la ronde des hélicoptères pour sortir le maximum de civils américains et de Vietnamiens à risque avant la chute de Saigon le 30 avril 1975), le Ranch Hand (une panoplie d’herbicides arc-en-ciel qui ont empoisonné plus de 3 millions de personnes), le Babylift (évacuation par avion d’enfants orphelins commandée par le président Ford).

J’ai aussi dû faire mes recherches pour prendre la réelle mesure du personnage de Naomi (Bronstein), cette Montréalaise qui a créé Families for Children, une organisation qui a favorisé l’adoption d’enfants vietnamiens par des Nord-Américains.

Le livre s’appelle Em, un mot vietnamien qui peut désigner à la fois le petit frère ou la petite sœur dans la famille, le cadet dans un groupe ou même la femme dans un couple. Kim Thúy a choisi ce mot parce qu’il est un homonyme de l’impératif du verbe aimer. Vous aurez compris qu’à travers la noirceur du tableau qu’elle nous brosse, il y a aussi de la lumière qui donne espoir.

Pour que les Vietnamiennes aient pris le contrôle de l’industrie de la manucure (l’évocation de cette réussite est fascinante), pour que Louis et Emma-Jade (deux personnages du livre) puissent vivre dans notre monde d’aujourd’hui, pour que le pouvoir de réconfort de la soupe pho ait pu se rendre à nous, il a bien fallu un peu de bonté quelque part.

«L’amour, encore », est-il écrit sur le rabat de la couverture, comme un écho à la formidable résilience de l’auteure, capable de voir du beau malgré le souvenir des bombes au napalm, des exécutions sommaires et des exodes douloureux.

«[…] tous les Vietnamiens, peu importe où ils vivent, sont des descendants d’une histoire d’amour entre une femme de la race immortelle des fées et un homme du sang des dragons.»

J’EM le nouveau livre de Kim Thúy!