La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Je voudrais être Rebecca Makonnen

Ça y est, je suis démodée. Musicalement.



Je craignais d’en arriver un jour à ce constat et j’ai tout fait pour me «prolonger», pour que jeunesse me dure, du moins en matière de préférences musicales, mais il fut une année, j’ignore laquelle, où j’ai arrêté de suivre le fil à travers un fouillis de nouveaux groupes anglos, francos, de hip-hop, rap, indie pop, folk, rock, metal, electro, techno, house, emo, punk… Je me sens comme ma douce mamie, qui me demandait encore l’année dernière si, pour mon anniversaire, je voulais qu’elle m’offre un renouvellement d’abonnement au Club Columbia. Gloup.

Je ne connais plus les noms des formations naissantes, je ne retiens plus leurs noms, ni les titres de leurs chansons… La groupie en moi est morte. Dire qu’avant, je pouvais dire que le guitariste Chris Machin apparaissait dans l’album de 1999, mais pas dans celui de 2001, que le batteur Dylan Machin faisait tel bruit distinctif qui signifiait telle affaire et que la chanteuse Peggy Machine donnait plus dans les graves avant son overdose qu’après. Bref, je connaissais mes affaires musicales et le métalangage du milieu. Désormais, je laisse rouler des sélections musicales préprogrammées en sifflotant de fierté quand je reconnais quelque chose.

J’aime Dalida, on part de loin

Sérieux, que faudrait-il que j’écoute en 2017 pour être à jour? Je suis restée accrochée à Cold Play, à Half Moon Run ou à PJ Harvey, à la limite. Mon vrai de vrai grand plaisir, je le prends avec Barbara, Dalida (!!!), Piaf, Brel, Gainsbourg ou d’autres génies décédés. Je fais même de la course à pied en les écoutant dans mon baladeur à cassettes jaune (c’est une blague!). J’ai beau essayer sincèrement de m’adapter à mon époque, je ne suis plus. Entre vous et moi, l’écoute de l’album Life for Rent de Dido me procure encore des émotions, je ne me suis jamais remise de la mort de Kurt Cobain et je déforme les paroles anglaises des tubes de l’heure en chantant dans ma voiture.

Pire encore, en juillet dernier, dans le rétroviseur de mon VUS familial (c’est mal parti, mettons…), j’ai même aperçu ma fille… de quatre ans et demi (!!!) rouler des yeux en me voyant hurler – trop de bonne humeur – un quelconque hit populaire à la radio. Le roulement des yeux d’un enfant à l’endroit de sa mère emportée par une chanson est l’ultime preuve de sa date de péremption culturelle, voire de sa date de péremption tout court. À cet instant précis dans mon char de «médame», j’aurais voulu être éternellement branchée, branchée comme Rebecca Makonnen, chez qui le temps n’a aucune emprise et qui restera encore «dans le vent» (même mes expressions sont ringardes) lors de son déménagement dans une Résidence Soleil. Injustice. Je suis sûre que, plus jeune, Rebecca était la gardienne que tous les enfants et ados voulaient avoir, de celles qui s’adaptaient à leurs goûts, sans faux pas. Rebecca ne s’empressait pas de les coucher pour regarder Scoop ou Shehaweh en vidant des boîtes de biscuits…

Être «off» en musique me donne-t-il le droit de chroniquer sur cette merveilleuse Avenue culturelle? Oui, parce que, justement, je me sens si complexée, qu’en grande championne des mea culpa et aspirante reine de l’autodérision, la repentante en moi va vous faire le meilleur des rattrapages à vitesse grand V. Bientôt, je pourrai à la fois jaser Beatles avec mon père, me rappeler Pearl Jam avec mes vieux complices de vodka canneberges et, surtout, rendre fière ma nièce, voire sous peu ma fille, en chantant avec distinction une toune de Bigflo & Oli ou des Dead Obies. Je suis cool, je suis cool, je suis cool. Oups. Non, ça, c’est Gilles Valiquette. J’ai droit à une rechute.

Photo: Facebook Rebecca Makonnen
Photo: Facebook Rebecca Makonnen

On commence par quoi?

Après une petite enquête: Stromae, Katy Perry, Koriass, One Direction, Cœur de Pirate, Émile Bilodeau, Ruth B, Alessia Cara, Artic Monkeys font entre autres partie des choix des jeunes de dix à seize ans. J’ai été rassurée de constater que d’autres vieilles âmes musicales aimaient, du haut de leurs treize ou quatorze ans, entendre Nirvana, The Doors, Jean Leloup, Michael Jackson… Aznavour! Tout n’est pas perdu. Si j’ai la curiosité de saisir leurs goûts, certains d’entre eux l’ont aussi à l’endroit de leurs aïeux.

Vous avoir confié mon retard musical me fait du bien. Et, comme le chante si bien Bigflo & Oli, dont j’apprends les succès – avec un réel plaisir – pour faire bonne figure en prévision des réunions familiales de Noël: «Vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets.» Grand dieu que j’apprends vite. Tralalalalère. Je retourne lire. 

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JE CRAQUE POUR…

La science du cœur, le nouvel album de Pierre Lapointe

J’ai toujours aimé Pierre Lapointe. Il plaît aux mélomanes de toutes les générations. Certains l’ont traité de snob, moi je l’aime ainsi, avec ses airs de dandy tout droit sorti d’une autre époque et sa voix un peu traînante quand il chante avec mélancolie. Il est incontestablement un génie de l’écriture, et les textes des chansons, je les écoute à la lettre près avant tout le reste. Ce talent pour les mots ressort d’ailleurs plus que jamais dans cet opus ancré dans l’époque actuelle, parfait mélange d’amour, d’angoisse, de lucidité. Gros coup de cœur pour Zopiclone et Le retour d’un amour.