La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Une ogresse à table!

Après mes enfants et les mots, ma principale préoccupation concerne la bouffe.



Manger me rend heureuse; planifier au petit-déjeuner le menu du soir, ainsi que nourrir ceux que j’aime aussi. Je fais quelques séances de Pilates chaque semaine dans l’unique but de continuer à manger. Beaucoup. Je veux dire beaucoup, beaucoup, beaucoup. Comme une ogresse. Depuis toujours. À quinze ans, dans un camp bourré d’ados en croissance, j’ai remporté le concours mixte de la campeuse capable d’avaler le plus de pancakes. Chez l’Italien, il m’est arrivé de commander un plat de pâtes, de le savourer, puis d’en commander tout de suite un autre (je sais…) avant de conclure avec un tiramisu. Mes amis sont aussi de bons mangeurs et c’est autour d’une table que notre vie se vit: divulgation de potins croustillants, crises de rires ou de larmes, souvenirs, refonte du monde. Avec du bon vin, c’est l’ultime joie!

Le manque de gourmandise me semble très louche. C’est comme pour la curiosité, c’est une envie de se combler, de se satisfaire, comme une caresse sur la panse et l’esprit. C’est signe de vitalité, de pulsions saines et attirantes. Bref, je pense que les bons mangeurs sont des êtres charnels fort agréables à côtoyer… de très près. Plus que ceux qui optent pour la salade verte sans vinaigrette avec eau chaude citronnée à la fin du repas pour bien digérer ladite salade verte sans vinaigrette. On apprend autant sur quelqu’un en le regardant manger qu’en fouillant dans sa bibliothèque. Elle lit Colette et commande un tartare de quelque chose relevé avec frites, elle sera mon amie pour la vie. Il lit Bukowski en dévorant une pizza triple fromage, je serai fascinée, mais je craindrai ses excès. Il possède une édition rarissime de Printemps noir d’Henry Miller et savoure un ramen de feu, des à-côtés variés qu’il partage pour le plaisir de me voir aimer cela et ne néglige jamais le dessert sucré de la fin, je le demanderai en mariage illico.

Photo: Caroline Thibault

Célébration immatérielle

C’est à vous, les gourmands impénitents, que je dis de courir (pour mieux manger ensuite) voir l’exposition À table! – Le repas français se raconte au Musée Pointe-à-Callière dans le Vieux-Montréal, près de merveilleux restos… Reconnue récemment par l’UNESCO comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité, la table française n’a rien de banal et cette expo délirante qui a lieu jusqu’au 13 octobre témoigne de cette particularité mondiale qui mérite qu’on s’y attarde, le temps d’une visite à travers les siècles d’un pays cousin qui se déploie et rayonne partout depuis toujours en partie grâce à sa gastronomie.

Si elle donne faim, cette expo dont les objets proviennent autant de la collection du palais des ducs de Lorraine, de la cristallerie de Saint-Louis, du Musée Carnavalet, que de la griffe Hermès, du Musée des beaux-arts de Montréal et du Louvre de Paris est à couper le souffle de faits historiques sur l’art de la table, d’anecdotes gastronomiques ou d’éléments d’informations qui étonnent ou titillent l’imagination.

Photo: Caroline Thibault

On est loin des «conseils» du Guide alimentaire canadien… Pour demeurer en santé, il fallait plutôt respecter la théorie des humeurs qui régnait depuis Hippocrate, grand médecin de l’Antiquité: si vous êtes un sanguin au tempérament bouillant, préférez des aliments froids et secs comme des lentilles et des pois, sans oublier de manger maigre chaque fois que l’Église catholique le prescrit.

Saviez-vous que le plus ancien livre de recettes en Occident est attribué à Apicius, un richissime Romain qui, ruiné à force d’offrir des banquets somptueux, se suicida au Moyen Âge? Plus chanceux, Taillevent, cuisinier du roi au 14e siècle, écrivit Le viandier, un véritable best-seller qui connaîtra 24 éditions avant 1615.

Et ma pauvre tomate adorée… Elle a été boudée jusqu’au 19e siècle, car on la considérait comme un «fruit du Diable»; et on croyait que la pomme de terre donnait la lèpre à cause de son horrible pelure.

Photo: Caroline Thibault

Chocolat et rois libidineux

Quant au chocolat, il est vu (et encore aujourd’hui, non?) comme un aphrodisiaque. Louis XIV convoque la femme qu’il convoite pour la nuit en lui faisant dire qu’il l’attend pour une tasse de chocolat. Et Louis XV, qui en raffole, en prépare pour ses favorites. Qu’on m’apporte des rivières de chocolat!

Quant aux écrivains, des êtres pas plates vers lesquels j’ai une inclination naturelle, ils ne sont évidemment pas absents de cette expo. On y apprend que Voltaire buvait environ 50 tasses de café par jour. Or, on le préparait plus faible qu’aujourd’hui, en faisant couler de l’eau bouillante sur une chaussette remplie de café moulu, d’où l’expression «jus de chaussette». Colette adorait cuisiner, tout comme George Sand qui, dans son château de Nohant, cuisinait les fruits et les légumes de son beau domaine pour régaler ses amis, comme Chopin, Flaubert ou Balzac. Alexandre Dumas, lui, a voulu clore son œuvre de cinq cents volumes par un livre de cuisine. Il a tenu parole puisque son Grand dictionnaire de cuisine a été publié après sa mort en 1870. En 2001, le chef Alain Ducasse en a adapté une cinquantaine de recettes.

Je m’en voudrais d’oublier de vous rapporter l’épatante citation de la romancière d’origine belge Amélie Nothomb: «La France est ce pays magique où le plus commun des troquets peut vous servir n’importe quand un grand champagne à température idéale.» «Je ne bois du champagne qu’à deux occasions, quand je suis amoureuse et quand je ne le suis pas», dira un jour, pour sa part, la couturière célébrissime Coco Chanel.

Je vous mets au défi de ne pas craquer pour une bonne bouffe au sortir de là. Mangez. Pour vrai, mangez, mangez comme s’il n’y avait plus de lendemain. Peut-être qu’il n’y en aura pas.

À votre santé! 

Photo: Caroline Thibault

Je craque pour… 

Brûle sur mes lèvres, album d’Isabelle Cyr

Appuyé par des notes de piano, violoncelle, percussions, contrebasse et quatuor à cordes, cet opus poétique, dont Isabelle Cyr signe les textes et mélodies, est doux et sincère comme une caresse tout le long du canal auditif. La réalisation a été confiée à son mari, le non moins talentueux Yves Marchand, qui a déjà travaillé avec Belvédère et Zébulon. Une tournée entourant ce nouvel album empreint d’humanité s’amorcera en août. C’est à entendre, si ancré dans ce monde de fous qui a besoin de lumière.

Photo: Olivier Lamarre, Facebook Isabelle Cyr