Un toit pour notre littérature
«I have a dream», disait Martin Luther King. En toute humilité, et à plus petite échelle, j’en ai un beau grand rêve rassembleur, élevant et payant aussi. Pas payant pour devenir riche. Avec les livres, on ne le devient qu’en s’appelant, entre autres, J.K. Rowling. Non, surtout payant dans le sens cliché de devenir riche dans le cœur et la tête.
J’ai donc rêvé d’un refuge dans lequel des lecteurs de partout viendraient pour découvrir la littérature québécoise sous toutes ses formes et en tous genres. Un refuge où les étudiants et chercheurs développeraient leurs réflexions sur nos histoires. Un refuge où on se masserait (mmm, ça fait longtemps, je rêve, je rêve…) autour de spectacles, lectures, expositions, discussions, fêtes et lancements liés encore et toujours aux belles lettres. Je rêve d’y voir des enfants courir. Ou assis dans un coin, le nez dans un bouquin. Une affaire de famille aussi. On ne les chicanerait pas s’ils rigolent ou parlent entre eux. Comme je suis une festive hédoniste, j’y verrais de la bouffe et du vin. Il y a du vin dans tous mes projets, et des raisins aussi, je rêve beaucoup aux fêtes romaines. Mais là, je dérape. On a le droit de déraper en littérature. Avons-nous encore le droit? Mettons qu’on peut, on brainstorme là.
Et ce refuge aux mille plaisirs, je le vois où? Bien sûr qu’on me voit venir… Dans la bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis à Montréal, au nord du bar mythique du même nom dont je ne me rappelle plus, comme d’autres sans doute, toutes mes fins de soirées.
Ça fait des années que des idées se brassent, que des projets sont mis sur la table pour que ce magnifique édifice patrimonial reprenne vie d’une manière ou d’une autre. Ça a toujours été repoussé sous le tapis, caché à la va-vite comme un vieux morceau de biscuit, avant que la visite débarque. Ce qui date n’a pas tellement la cote chez nous, on l’aura remarqué, et encore plus depuis un an…
Or, voilà que la fameuse bâtisse à l’abandon depuis 15 ans n’est plus assurée «en raison de son inoccupation prolongée et du fait qu’aucun projet concret n’y est en cours de réalisation», nous apprenait La Presse, il y a quelques jours.
Des gens influents du milieu de la littérature d’ici ont d’ailleurs demandé dans une lettre ouverte de redonner vie à la bibliothèque, qui tombe en ruine, en lui redonnant fière allure et utilité dans le monde des lettres, comme c’était sa vocation initiale. L’exemple de la grande et inestimable réussite de la Maison de la littérature à Québec, qui existe depuis 2015, devrait d’ailleurs servir de modèle pour Montréal avec son offre plurielle qui embrasse slam, poésie, ateliers, cercles de lecture, arts vivants, etc. «À Québec, c’est un vrai succès, ça dépasse les attentes qui avaient été fixées au début et on ne peut pas imaginer à quel point c’est bénéfique, pour la culture, les mots, les artistes, etc.», m’explique au téléphone Dominique Lemieux, son dynamique directeur depuis 2018.
Il faut voir cette Maison, ancienne église méthodiste de 1848, sur la rue Saint-Stanislas, pour comprendre l’aura qui l’entoure et la manière dont elle fait rayonner les artistes du monde des lettres de Québec, certes, mais aussi de partout, grâce à la possibilité d’offrir des résidences et à son habitude de créer des partenariats avec plein de festivals, comme le Festival international de la littérature (FIL), pour ne nommer que celui-là. Avec sa solide réputation, elle a notamment permis à Québec de faire partie du club sélect du réseau des villes créatives de l’UNESCO à titre de «Ville de littérature» en 2017, devenant ainsi la première ville francophone à obtenir ce titre. Dominique Lemieux précise qu’ils sont encore dans une période de croissance avec des projets régionaux, nationaux et internationaux, impliquant des villes de partout dans le monde.
Bien sûr, rien de cela n’aurait été possible sans la collaboration de plusieurs intervenants qui ont cru en cette idée, à commencer par le maire de Québec, Régis Labaume, qui ne cesse d’appuyer les projets liés à la littérature. Valérie Plante, la mairesse de Montréal qui a récemment fait paraitre – avec les illustrations de Delphie Côté-Lacroix – un fort intéressant roman graphique (Simone Simoneau : Chronique d’une femme en politique, éd. XYZ) ne devrait-elle pas être sensible à la cause des mots et des livres comme vecteurs de transmission par excellence d’idées? J’aimerais voir chez elle ce que j’aperçois chaque fois que j’entends le maire Labeaume encenser les écrivains de son coin et la langue française. Il a pour vrai – et ce n’est pas comme s’il manquait de sincérité – les yeux brillants, le cœur léger.
Il est plus que temps que Montréal emboîte le pas et aille de l’avant avec ce type de lieu dans la métropole, à l’image de grandes villes ou régions du monde comme, par exemple, dans plusieurs coins d’Allemagne, où ces maisons deviennent des phares et des symboles de fierté qui accueillent des classes et familles le jour, des grands, le soir, et des tannants, la nuit. Fierté envers les artistes, le monde des connaissances, des idées, des mots. On peut adopter dès maintenant cette philosophie… ou continuer à cacher les bijoux de famille sous le tapis comme de vulgaires morceaux de biscuits. Maudit que ce serait dommage.