Toutes nos dérives
Cette affaire m’avait obsédée. Le 29 juillet 2011, Chantal Lavigne, 35 ans, est morte à la suite d’une séance de sudation lors de laquelle elle a été recouverte de boue, ainsi qu’enveloppée dans du plastique et des couvertures, avec une boîte placée sur sa tête.
Je me souviens qu’il y avait eu une enquête, un procès, que les médias du monde entier ou presque en avaient parlé. Je me souviens surtout de sa photo sur son avis de décès. On la voyait avec un diadème et des oreilles d’elfe.
Les oreilles d’elfe. Elles avaient nui à la perception que plusieurs ont eue de Chantal Lavigne, comme si elle avait couru «après le trouble», que sans ses fameuses oreilles et sa présence dans ce «grenier de la mort» où elle avait sué sa vie, sa mort aurait été jugée plus grave, plus «respectée» en quelque sorte. Le monde est dur. Je suis ce monde. Pas tellement mieux.
Avec son formidable et «addictif» balado Dérives, présenté en huit épisodes offerts dès maintenant sur les plateformes de Radio-Canada, Olivier Bernard (Le Pharmachien), pharmacien et vulgarisateur scientifique, démystifie cette affaire qui l’avait troublé à un point tel que, de son propre aveu, elle avait peut-être même influencé ses choix de carrière.
Son populaire blogue Le Pharmachien est d’ailleurs né peu de temps plus tard. Lui aussi, il avait vu la photo que plusieurs ont jugée ridicule. Lui aussi, il avait un peu jugé la dame. C’est lui qui le dit. Or, son balado n’a rien de baveux ou de moqueur, bien au contraire. Pour connaître personnellement Olivier, je mettrais mon corps en sudation qu’il ne boit pas de cette tasse-là. Les différentes interventions médicales, scientifiques et autres présentées dans ce balado culminent en fait vers la question suivante: pourquoi ces pratiques peuvent-elles encore avoir lieu en toute légalité en 2020?
Tout le monde le dit, Chantal Lavigne, maman comblée, était ouverte, intelligente, aimante, curieuse, rieuse. Pourquoi donc avoir pris ces risques, s’être rendue là, alors qu’au seuil de la mort, elle aurait pu se retirer (elle n’était pas menottée…)? En partie pour les mêmes raisons pour lesquelles des Québécois refusent de porter le masque en pleine pandémie de Covid-19 alors que des gens meurent, que c’est prouvé, su, vu, entendu.
Est-ce qu’il se pourrait que de croire en quelque chose d’autre que ce en quoi croit la majorité, sortir des rangs et prendre les chemins de traverse soulage et donne des ailes, sorte de miroirs aux alouettes qui élèverait, changerait le mal de place? Ces pièges sont doux pour ceux qui s’y mirent au même titre que la souffrance est rassurante pour les masochistes.
Est-ce que je trouve que ceux qui ne veulent rien savoir de porter le masque sont irresponsables? Absolument, car ils mettent la vie de ceux que nous aimons en danger. Est-ce qu’ils méritent de se faire traiter de tatas par tout le monde? Je ne suis pas certaine que ce soit efficace à court et à long terme.
Je ne suis pas plus vertueuse que personne – ouf non… –, mais je commence à penser que le chemin vers une compréhension mutuelle débute de part et d’autre par une écoute de l’autre, sans attaque, sans mépris, en cessant de se foutre de la gueule de ceux qui fouinent ailleurs. C’est ce que le Pharmachien nous invite à faire avec Dérives. Les dérives s’expliquent, ont une cause, souvent subtile et sournoise. Ce retrait de la masse n’arrive pas du jour au lendemain. Quelqu’un «l’a échappé» quelque part. La personne qui dérive? Ses proches? La société?
Plutôt que de chercher des coupables aux dérives, ne vaudrait-il pas mieux trouver comment éclairer différemment ceux qui en empruntant les chemins de traverse mettent leur vie en danger, ainsi que la nôtre dans le cas des anti-masques, complotistes et compagnie. Ça prend davantage d’arguments convaincants, de la conscientisation, de l’enseignement et une vulgarisation accessible. Pas simple, je suis d’accord, et certains ne sortiront jamais de leur miroir aux alouettes. Néanmoins, pour l’instant, la colère, les invectives de part et d’autre rendent stagnantes les possibilités de changement. Sans changement, le virus reprend/gagne du terrain. C’est lui, le salaud, pas celui qui ne pense pas pareil comme nous. Il n’y en aura pas de facile. Il n’y en a jamais quand il y a dissension. Cogitons plutôt. Ça presse.