Star Wars : mon impossible relation avec la princesse Leia
Je ne dois pas être intelligente. Pas suffisamment pour comprendre les tenants et aboutissants de Star Wars.
Idem pour Star Trek, voire pour d’autres grandes sagas adulées aux quatre coins du monde. Je ne juge pas Star Wars, je saisis qu’on puisse aimer, autant peut-être que j’adore la série anglaise Downton Abbey, et que c’est un puissant divertissement, voire une passion qu’on entretient en achetant des produits dérivés, mais personnellement, je trouve cette histoire lourdaude avec ses matériaux technologiques, ses pitons, ses plateaux intergalactiques, ses lasers, ses pouvoirs fantastiques, ses images sublimes et effets spéciaux exceptionnels (wow!). Ça me donne mal à la tête, ça manque de personnages féminins signifiants, de cynisme, de baisers sous le gui, de névroses ou de complexités émotives à décortiquer. N’allez pas penser que je suis plus du type comédies romantiques… Nah. N’importe quel film indépendant d’ici qui se passerait entre deux êtres nostalgiques ou affligés autour d’une tasse de thé dans une cuisine beige de Laval m’exciterait plus que Star Wars. Peut-être même que je pleurerais pendant le générique de fermeture.
Paralysie hémisphérique
Je soupçonne que l’hémisphère gauche de mon cerveau soit paralysé depuis ma naissance en 1978. J’ai beau faire des exercices mentaux rationnels comme des satanés sudokus, cette zone cervicale refuse de se déployer, si bien que je me demande comment j’ai réussi à finir des études universitaires et à gérer un prêt hypothécaire (ah! le mot peu poétique!). Les seules affaires qui attirent mon attention avec Star Wars, c’est l’étrange lien filial entre Luke et le méchant, qui est en fait son père biologique. La coiffure de sa sœur Leia a aussi quelque chose de pas mal original que j’aimerais reproduire devant ma glace, mais encore là, comme je ne suis pas manuelle (je me rabats sur des sacs pour ne pas emballer mes cadeaux de Noël), c’est peine perdue. Hélas donc, même Leia, femme politique et Jedi, qui pourrait être mon alliée Star Warsienne, m’échappe. Voilà, mon cerveau fonctionne seulement à 50%. Pas hâte de vieillir…
Ils ont vécu le siècle
S’il y en a une dont le cerveau fonctionne à plein régime, c’est la journaliste Mélanie Loisel, qui a fait paraître un formidable essai intitulé Ils ont vécu le siècle – De la Shoah à la Syrie, soixante-deux témoins racontent (éd. de l’Aube). Originaire du Grand Nord québécois, celle qui œuvre dans les médias depuis plus d’une douzaine d’années a parcouru le monde et usé de beaucoup de psychologie et de persévérance pour réussir à obtenir de 62 personnes qui ne la connaissaient pas le témoignage de leurs implications dans les plus grands événements du XXe siècle, comme la Shoah, Hiroshima, la guerre de Yougoslavie, la révolution cubaine, le 11 septembre 2001, Charlie Hebdo, la crise des migrants, etc. Ces êtres blessés ou changés à tout jamais, qui n’ont rien à vendre ni d’envie particulière de briller ou d’avoir de l’attention, lui ont fait confiance, à commencer par Phan Thi Kim Phuc, la «petite fille de la photo», brûlée au napalm, et qui court nue au beau milieu d’une rue en 1972 au Viêt Nam…
C’est d’ailleurs cette même survivante qui signe la préface de cet ouvrage écrit d’une manière claire et limpide, sans photographies ni fioritures, témoignant d’atrocités, de traumatismes, puis de résilience ou de renaissance, en se souvenant de l’inoubliable. J’admire les questions directes de Loisel, ses délicates et sensibles mises en contexte de quelques lignes précédant les entrevues durant lesquelles elle ne se met pas en vedette, comme tellement d’autres gros egos le feraient, laissant toute la place aux mots des humains derrière l’Histoire.
De tous ces passages-chocs, pour terminer 2015, je vous en citerai un de Chil Elberg, un homme d’origine juive, né en 1924 en Pologne et qui a survécu à l’Holocauste après avoir passé trois ans de sa vie dans une douzaine de camps de concentration nazis. Après que Loisel lui eut demandé ce qui lui avait permis de survivre, il répondit: «Je ne pesais que 35 kilos et je n’avais plus que trois dents en sortant de cet enfer. Je n’avais pas mangé un vrai repas depuis trois ans! […] J’en suis sorti vivant par une multitude de hasards, et c’est tout ce qui compte. Il est temps maintenant, mademoiselle, de boire un peu! Vous devez goûter aux bières belges, qui sont les meilleures! Il faut savourer la vie à tout instant parce que l’on ne sait jamais de quoi demain sera fait.» Quatre mois plus tard, Chil Elberg s’éteignait.
Lectrices et lecteurs d’Avenues, que demain puisse vous permettre de goûter aux plaisirs que la vie nous offre parfois: un verre de vin, une terrasse en décembre, un câlin d’enfant, un massage, un spaghetti bolognaise, une partie de jambes en l’air… Faites-le donc sans culpabilité ou remord, juste parce que rien ne dure. On se retrouve bien beaux et fringants en 2016.
Je craque pour…
J’admire la mère, Manon, fille du peintre et signataire du Refus Global, Marcel Barbeau, et elle-même cinéaste et «mère» de la Wapikoni mobile. J’admire tout autant sa fille Anaïs, qui est de ma génération, réalisatrice et auteure, notamment du splendide La femme qui fuit, qui sera certainement primé plusieurs fois dans les semaines à venir. Les deux artistes engagées ont donné à Anne-Marie Dussault une entrevue inspirante, sincère, qui va hors des sentiers battus.