Ce que le visionnement de séries criminelles révèle sur vous
Je suis accro aux séries criminelles et policières, au point où mon conjoint s'inquiète de ma santé mentale... Mais je craque aussi pour King Dave, pièce d'Alexandre Goyette adaptée au cinéma par Podz.
«Chérie, tu m’inquiètes, tu regardes beaucoup beaucoup (trop) de séries criminelles et policières… Est-ce que ça va?», m’a récemment déclaré mon conjoint, un brin méfiant après m’avoir vu le «tromper» avec des enquêteurs comme Gillian Anderson ou David Tennant, alias Stella Gibson (The Fall), et Alec Hardy (Broadchurch). Plus récemment, c’était Marcella Backland, interprétée par Anna Friel (Marcella), qui gagnait mon cœur de téléphage en série.
C’est vrai. J’en consomme trop de ces séries criminelles et policières qui pullulent non seulement sur Netflix, mais aussi sur Canal D ou Investigations; attirant des centaines de milliers de téléspectateurs accros à Scènes de crimes, Meurtres en Alaska, Un tueur si proche et compagnie. Hélas, au contact de ces émissions, je n’apprends rien de particulièrement essentiel, ça ne me fait pas grandir comme être humain, ça ne me sert même pas dans mon travail… Et, alors que l’actualité nous montre un lot inimaginable de tragédies, comme les attentats de Nice, la tentative de coup d’État en Turquie ou l’enragé à la hache dans un train en Allemagne, pourquoi un tel engouement pour l’horreur serait, de surcroît, au rendez-vous dans mes «temps libres» et dans ceux de tellement d’autres individus? Je ne pourrais pas me contenter de Once Upon a Time ou de reprises de Friends? Non. Ça me prend de l’angoisse, du sang, des banderoles jaunes, des détecteurs de mensonges, des assassins, des victimes et des policiers. Comme si le réel n’était pas déjà assez dur ainsi…
Cet amour des interdits
D’entrée de jeu, Michel St-Yves, psychologue judiciaire à la Sureté du Québec et enseignant, calme mes craintes: «Vous êtes normale. Vous êtes curieuse, comme plusieurs, et ces histoires fascinent depuis longtemps, sauf qu’aujourd’hui, l’actualité judiciaire est plus étoffée qu’avant et nous donne plus de détails et de précisions, d’abord parce que les techniques d’enquêtes peuvent en fournir en s’étant améliorées. En fait, c’est en partie l’interdit qui vous attire peut-être et devant ces séries, vous allez en quelque sorte au-delà des interdits, vous transgressez, tout en demeurant en sécurité dans le confort de votre foyer…»
«Et ça rassure la "normalité" des gens, m’explique l’auteure Amélie Dubois, ancienne criminologue qui a travaillé en santé mentale et en milieu carcéral. Certains profs à l’école de criminologie disaient que ces fictions insufflent une sorte de "bien être de se comparer et de se trouver si normal".» Celle qui écrit des romans davantage destinés à un lectorat féminin (Oui, je le veux... et vite ! Ce qui se passe au Mexique reste au Mexique, etc.) ajoute que «d’autres profs faisaient des liens entre cette fascination pour les séries criminelles et policières et "le côté sombre inné" de chaque être humain».
Ce Dexter qui dort en vous
Je fais peut-être des amalgames rapides, je l’admets, mais, voilà, que je me dis, il existe bel et bien ce charmant petit Dexter en nous, ce côté sombre qui pourrait émerger et qui, en attendant de sortir ses griffes, se nourrit de fictions. Or, parler avec Patrick Senécal (Sur le seuil, Aliss, Faims, etc.), romancier d’une multitude de romans plus noirs les uns que les autres et grand consommateur de séries policières et criminelles, me rassure du contraire. «Je pense que tout le monde a un petit quelque chose à cacher, des failles, des secrets, des zones d’ombre que personne ne peut entrevoir, c’est bien sûr, mais à moins d’être malade, ce ne sont pas ces histoires qui viendraient briser un équilibre mental. L’humain est trop complexe pour ça, précise-t-il.» C’est d’ailleurs cette complexité humaine qu’il cherche à entrevoir dans la psychologie des personnages quand il regarde une série. Il aime trouver des facettes anthropologiques et sociales aux séries, qu’il ne s’agit pas que de trouver en elles le coupable d’un meurtre. Celui qui se décrit comme «un grand chialeux de téléspectateur, intolérant aux incohérences et un brin maniaque» (tiens, tiens…), aime entrevoir à la fois la noirceur et l’humanité de chaque personnage, ce qui ajoute aux intrigues et donne plus de consistance aux histoires. Les antistars comme la Catherine Cawood (Sarah Lancashire) dans Happy Valley lui plaisent d’autant plus puisqu’elles laissent entrevoir un aspect réel à la fiction.
«Ce qu’on retrouve à la télé ou au cinéma chez les personnages de tueurs n’a souvent rien à voir avec la réalité, si vous saviez… Leur côté un peu "caricatural" attire l’œil, mais ça contraste beaucoup plus qu’on ne peut l’imaginer avec les vrais meurtriers que j’ai pu voir au cours de ma carrière. Je pense à certains petits maigres timides qui n’avaient l’air de rien, surtout pas de personnages télévisuels», note Michel St-Yves, qui a fait partie de l’un des jurys du 7e Festival international du film policier de Beaune, en France. Confronté chaque jour dans son travail de psychologue judiciaire au vrai visage du crime, il confie ne pas avoir tellement d’intérêt pour ces séries, ce qui ne l’a pas empêché de trouver que Body Language (auquel il a collaboré) à Canal D, première série documentaire qui s’intéresse à l’analyse du comportement des suspects lors des interrogatoires policiers, rassemble des éléments qui illustrent bien la réalité.
Du côté de Patrick Senécal, ses palmes d’or des meilleures séries vont à Broadchurch (saison 1 et 2), The Fall (saison 1 et 2 – avec un faible avoué pour la beauté de Gillian Anderson), ainsi qu’à la première saison de Bloodline et Happy Valley.
Pour ma part, dans un précédent billet, je vous avais conseillé Marcella, disponible sur Netflix. Je vous rappelle l’excellence de cette série britannique qui n’a rien à voir avec ce que j’ai vu dans le passé. Aussi, grâce aux commentaires de ces «spécialistes», je peux dormir sur mes deux oreilles en continuant de me gaver de séries sombres sans imaginer qu’il y a un petit monstre qui sommeille en moi…
JE CRAQUE POUR…
La performance d’interprétation puissante, entre tragique et comique, d’Alexandre Goyette dans King Dave, pièce de Goyette adaptée au cinéma par Podz qui, lui, a accompli un tour de force en tournant son film en un seul et unique plan-séquence de 90 minutes. Fallait oser le défi technique…