La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Quand le journal intime déconfine

N’en déplaise aux détracteurs de l’écrivaine chinoise de Wuhan Fang Fang, accusée de traîtrise à son pays par des nationalistes chinois, elle continuera d’écrire, en dilettante désormais, son journal de confinée entamé au début de la pandémie.



D’autres, comme les auteurs Wajdi Mouawad ou Leïla Slimani, ont aussi pris la plume de la sorte en ces temps moroses, convoquant l’intime et l’universel, et pas toujours glorieusement, d’après les avis plutôt partagés au sujet de leurs textes.

Chez nous, c’est Janette Bertrand, qui vient de fêter ses 95 ans, qui encourageait récemment les gens et particulièrement les personnes âgées, à écrire journaux intimes et mémoires en suivant ses sages conseils en ligne, chaque dimanche jusqu’à la fin mai. Le succès est incroyable. Il n’est d’ailleurs pas tellement étonnant que l’isolement des gens coïncide avec le regain de popularité de la tenue d’un journal. Quel bel héritage à léguer!

Allez savoir, il s’agit peut-être d’un instinct de guérison surgissant chez les plus réceptifs ou créatifs d’entre nous qui, pour conjurer la solitude, l’angoisse, les questionnements, y puisent un réconfort.

Anaïs Nin, par exemple, a insisté dans son Journal 1931-1934 sur l’authenticité du créateur en période dépressive: «Le journal m’a appris que c’est dans les moments de crise émotionnelle que les êtres humains se révèlent avec la plus grande vérité. J’ai appris à choisir ces points culminants parce que ce sont des instants de révélation.»

Je pense en effet que l’écriture offre à l’auteur une lucidité imparable. Quand tout est sur le point de basculer, quand on se trouve en déséquilibre entre la grande fauche et la terre, l’éclat des choses environnantes, des mots dits, le visage des gens, leurs expressions et les sensations sont décuplés, les couleurs exacerbées, luxuriantes, les bruits plus distincts, comme révélés pour la première fois. L’acte d’écrire devient brutal, sauvage, il n’est nullement altéré par un filtre. Rassurez-vous, nul besoin d’être un génie de la création pour ressentir ça, suffit de ne pas trop se regarder écrire, se remettre en question pour un point ou une virgule ou se juger.

Aussi, les mots permettent l’invention d’une autre vie. Et pourquoi pas celles qui se passent à l’extérieur de nos murs, celles qui ne connaissent pas la pandémie? Ces mots envahissent donc ce vide, le comblent d’une façon rassurante, comme pour l’enfant affamé qui se gave ou le boulimique qui mange pour ne plus pleurer. Nous remplissons des pages parce que nous avons peur que le vide ne nous avale. Nous voulons que les mots nous protègent comme des pelures et, à travers l’histoire que nous racontons, qu’ils servent de pansements afin que la plaie ne reste pas à l’air libre, à la vue de tous. La langue devient alors une sorte de seconde peau qu’il faut étaler, triturer, enflammer.

N’oublions pas qu’écrire son journal, c’est aussi laisser une trace, qu’on veuille s’exposer ou non, laisser quelque chose pour qu’on se souvienne encore longtemps de soi ou des événements. J’aurais bien aimé lire les «mémoires» de mes grands-mères, les découvrir autrement qu’à travers ce qu’elles ont bien voulu me dire…

Janette Bertrand incitera-t-elle des gens à se révéler sans tabou, sans retenue? Ce serait le plus beau des legs, une précieuse transmission, sans danger ou charge virale, celle-là, comme un point positif à la COVID-19. Ils ne sont pas légion. Pour les plus âgés qui sont privés du contact de leur famille, quelle belle façon de transmettre leur histoire, l'histoire, leur culture, leurs pensées à leurs enfants, petits-enfants et arrière petits-enfants. Peut-être que la rédemption passera en partie par la bouche de nos crayons. Ce serait déjà ça de pris. 

N’oublions pas qu’écrire son journal, c’est aussi laisser une trace, qu’on veuille s’exposer ou non, laisser quelque chose pour qu’on se souvienne encore longtemps de soi ou des événements. Photo: Kelly Sikkema, Unsplash

Quelques idées de journaux à lire ou relire: