Put Your Heart Under Your Feet… And Walk!, dérangeant mais nécessaire
Si la création peut être salvatrice et apaiser quelques souffrances, la posture du spectateur s’avère aussi parfois assez confrontante ou déstabilisante pour amener ailleurs et transformer. À quoi bon voir un spectacle si on n’en ressort pas un peu différents, voire meilleurs?
Le 27 mai, au cœur du fabuleux Festival TransAmériques (FTA) (jusqu’au 4 juin à Montréal), c’est Put Your Heart Under Your Feet… And Walk! de l’artiste originaire d’Afrique du Sud Steven Cohen qui m’a ébranlée comme rarement l’ont fait des créations dans le passé. Dans ce show sur le deuil, la mort, la vie, rien n’est conformiste, attendu ou classique. Le FTA réussit toujours d’ailleurs à proposer audace et bouleversements, le genre d’affaires dont on se souvient encore dix, vingt ans plus tard, d’où l’importance de tels festivals dans notre société, même si plus marginaux, même si moins «populaires» ou convenus que Mary Poppins.
Steven Cohen est ce chorégraphe, performeur et plasticien reconnu pour ses interventions-chocs dans l’espace public, notamment Coq/Cock qui, «non invité» sur l’esplanade du Trocadéro à Paris, mettait en scène Cohen, déambulant le sexe enrubanné et tenu en laisse par un coq… Qu’on aime ou pas, ça ébranle en titi. Mentionnons quand même que ses interventions ne sont jamais gratuites juste pour flasher ou faire jaser. Le mec de 56 ans est ailleurs que dans la provoc juste pour être dans la provoc. En sachant qu’il est homo, juif, blanc et Sud-Africain, coin du monde assez conservateur pour bannir l’art, on peut imaginer que sa provoc à lui a aussi des visées politiques.
Ce cœur, toujours ce cœur à réparer
Or, ce Put Your Heart Under Your Feet… And Walk! n’est pas que vecteur de messages. Son «utilité sociale» est d’une évidence effarante, cette création panse des plaies ouvertes, répare des cœurs en deuil, à qui sait y trouver son compte, bien évidemment, parce que l’art ne se fait pas toujours en douceur…
À la mort d’Elu, son amoureux depuis longtemps – ils se sont rencontrés en 1997, alors qu’ils travaillaient sur un projet collectif à la prison de Johannesburg –, Cohen a demandé à sa nounou d’enfance comment il continuerait à vivre. «Put your heart under your feet… and walk!» qu’elle lui a dit. C’est ainsi que dans ce spectacle sur la marche après la perte, dans le chaos, on le découvre seul sur scène arborant un masque de ce papillon de nuit appelé l’Atlas et dont la vie est très brève. À ses pieds, des chaussures à talons démesurément hauts posés, eux, sur des cercueils blancs. Bref, rien de très solide sur une scène parsemée de chaussons de ballet juxtaposés à des objets variés, des chandeliers, sans parler de cette très puissante odeur d’encens qui embaume la salle bien avant le début du spectacle.
Les inconforts maintenant. Il y en a. Plein. Et c’est en eux que commence le «faire son deuil», celui du créateur – c’est pour ça que ce spectacle existe – et les nôtres, quels qu’ils soient, si on accepte de marcher aux côtés de Cohen, de côtoyer ce qui s’avère des tabous pour plusieurs, comme cette séquence filmée d’une interminable dizaine de minutes dans un abattoir où le sang d’une vache tuée coule à flots. Cohen y «nage». Au-delà de la représentation de cette violence et de ses victimes, c’est pour évoquer la mort d’Elu par hémorragie qu’il va là. J’ai failli sortir de la salle. C’est difficilement tenable (après un repas). J’ai résisté parce que même devant la mort, et ce que ça a de révoltant, il faut se tenir debout. Cohen avale aussi les cendres d’Elu; Cohen est quasi nu, vulnérable, d’une fragilité qui déstabilise…
On en ressort sans voix. On ne sait plus où on se trouve, quoi en dire. Tant mieux. On dort là-dessus, on y repense dans la nuit ou au matin, comme on revoit nos propres disparus, nos deuils pas tout à fait réglés. Ce spectacle est un premier pas nécessaire vers la guérison, mais il faut les chausser ces souliers inconfortables, quitte à tomber. Le mec s’est relevé. C’est une sacrée leçon d’existence. C’est généreux aussi. Le public est privilégié d’avoir accès à ça. Encore faut-il connaître l’existence de ce type de show plus marginal. GO.
Je craque pour…
Une formidable nouvelle initiative pour les jeunes polyhandicapés
Il y a quelques jours, je suis allée rencontrer Diane Chênevert, fondatrice et directrice générale (DG) du Centre Philou, qui offre des services d’aide et de développement en continu aux enfants polyhandicapés et à leur famille, en complémentarité avec les services publics.
Maman du jeune Philippe, un polyhandicapé qui «prend de l’âge», la DG voyait avec inquiétude, comme plein d’autres parents dans la même situation, arriver le jour où son enfant atteindrait 21 ans, l’âge où l’école ne leur est plus accessible… Quelle est donc l’alternative pour ces derniers quand un des parents n’est pas en mesure d’arrêter de travailler pour s’en occuper? Le CHSLD.
Grâce en partie à leurs récents plus grands espaces sur le Chemin de la Côte-Sainte-Catherine, près de l’hôpital Sainte-Justine, Diane Chênevert a fait le pari d’accueillir ces jeunes adultes. Ainsi, depuis septembre dernier, dix-huit de ces polyhandicapés de 21 à 29 ans viennent passer leurs journées chez Philou dans le cadre d’un volet de poursuite des apprentissages gratuit, en partenariat avec la Commission scolaire de Montréal. Cette première année a si bien fonctionné que le programme se poursuivra encore et encore et pourra accueillir plus d’élèves dans le besoin. Mission réussie pour Philou.