La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Pour la reconnaissance de la culture comme service essentiel

C’est quand même paradoxal qu’au moment même de la sortie du livre Service essentiel – Comment prendre soin de sa santé culturelle (éd. Cardinal), de la journaliste Émilie Perreault, un ouvrage qui vante avec raison les bienfaits des arts, les principales organisations syndicales qui représentent la variété d’artistes qui pratiquent leur art au Québec publient une lettre ouverte dans laquelle ils s’inquiètent avec raison que le gouvernement ne respecte pas son engagement électoral s’il tarde à déposer un projet de loi.



C’est dans la section Débats de La Presse du 7 octobre dernier que Luc Fortin, président de la Guilde des musiciennes et musiciens du Québec (GMMQ); Suzanne Aubry, présidente de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ); Cédric Delorme-Bouchard, de l’Association des professionnels des arts de la scène du Québec (APASQ); Luc Boulanger, président de l’Association québécoise des autrices et des auteurs dramatiques (AQAD); Gabriel Pelletier, président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ); Chantal Cadieux, de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC); Sherane Figaro, des Travailleuses et travailleurs regroupés des arts, de la culture et de l’événementiel (TRACE) rappellent «[...] – même si là n’est pas notre revendication – que les artistes n’ont jamais été couverts, ni par les normes ni par le Code du travail. C’est en constatant ce vide juridique, mais aussi les conditions de pauvreté et de précarité qui prévalaient à l’époque, que l’Assemblée nationale avait adopté en 1987 les deux lois sur le statut de l’artiste. La première loi (S-32,1) a permis aux artistes de négocier des ententes qui établissaient des conditions de travail de base. Le fait qu’une majorité de producteurs reconnaît et met en œuvre des ententes collectives négociées a amélioré, à plusieurs égards, nos conditions de travail et de vie».

Ils ajoutent dans cette précieuse lettre «que ce droit à la négociation collective n’a jamais été conféré aux autrices et aux auteurs du Québec encadrés par la loi S.32.01 dans les domaines du livre ou du théâtre, cette loi n’obligeant pas les éditeurs et les diffuseurs à négocier des conditions minimales de travail et de diffusion. La réforme annoncée des lois sur le statut de l’artiste doit donc corriger cette injustice en protégeant ces autrices et ces auteurs au même titre que leurs collègues d’autres disciplines comme le cinéma et la télévision».

En toute transparence, en plus d’être journaliste pigiste pour gagner ma vie, j’appartiens à trois des regroupements d’artistes signataires de cette lettre. Je suis très consciente de la réalité de mes pairs «sur le terrain», la vivant moi-même en assistant depuis une vingtaine d’années à la dégradation de nos conditions de travail.

Laisser dormir dans les limbes une loi devenue désuète dans le contexte actuel m’effraie plus que ça m’inquiète, à vraie dire. S’il y a une réelle volonté ministérielle envers une demande significative des artistes qui n’a rien de superflu ou de secondaire, les affaires doivent bouger. Une source fiable m’a informée que la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, projette de déposer un projet de loi, qu’elle y travaille en ce moment-même avec les juristes de l’état. À suivre donc.

Il faut comprendre l’exaspération des artistes. On ne se le cachera pas, les préjugés persistent à leur endroit. Des chroniqueurs semblent même prendre un malin plaisir à enfoncer le clou dans des tribunes à grande portée en insistant notamment sur le risque que les éditeurs – pourtant largement subventionnés - prennent en publiant des livres. Comme si on nous faisait une « faveur »… Ça m’a rappelé ces fois que je ne compte plus où, quand il m’arrive de dénoncer nos conditions de travail, on me fait sentir coupable d’avoir choisie d’être autrice : « Heille, la grande, tu t’amuses, toi, dans la vie, c’est pas une job, ton affaire. Tu écris des histoires! Pis tu peux aller faire ton épicerie un lundi après-midi. » Et je peux même partir une brassée de lavage quand je suis en panne d’inspiration. Et me claquer une série Netflix en mangeant du réchauffé de la veille. Et faire l’amour l’après-midi… Un coup partie. Ils la veulent où la claque ? Si ça compte si peu, pourquoi propose-t-on les études en lettres, théâtre, musique, arts visuels, et compagnie dans les institutions collégiales et universitaires ?

Les artistes ne veulent pas faire pitié. Vous savez pourquoi ? Il faut aimer son boulot/sa passion en sapristi pour tenter d’en vivre. Quand on aime, on ne fait jamais pitié. Quand on est « essentiel » non plus. Parce que oui, les artistes sont essentiels. Pas comme celles et ceux qui font des opérations à cœur ouvert, on s’entend. Si c’était le cas, le revenu médian des artistes ne se situerait pas, encore aujourd’hui, sous le seuil de pauvreté. Et ce n’est pas comparable.

Ce que je veux dire, Émilie Perreault y fait référence dans Service essentiel en citant l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le volet européen «a fait une recension de 3 000 études, en novembre 2019, démontrant que les arts pouvaient avoir une influence sur la santé mentale et physique. Il s’agirait de la plus importante démonstration de l’étendue de la recherche scientifique qui relie art et santé», écrit-elle. Pour corroborer ces résultats de recherche, avec de véritables et passionnants exemples à l’appui, Émilie montre clairement de quelle manière «la musique adoucit les mœurs», que la lecture est un safe space, que les arts visuels sont «source d’apaisement», etc. Pédagogues, artistes et scientifiques y vont de leur plaidoyer pour l’adoption de saines habitudes de vie culturelle. Des prescriptions culturelles sont aussi proposées, par exemple, rire en groupe, oser aller seul au théâtre, offrir la culture en cadeau, faire de la place à la poésie dans sa vie, méditer devant un tableau, lire 30 minutes par jour, etc.

Lire 30 minutes par jour. C’est ce que Marie-Ève, l’enseignante de troisième année de ma fille à l’école primaire demande à ses élèves. Défi pas tant insurmontable, n’est-ce pas? François Legault est le premier à vanter le talent de nos écrivains québécois sur ses réseaux sociaux. Ce serait bien que les babines suivent les bottines, que cette loi sur le statut de l’artiste fasse partie de ses priorités. Même en pandémie. À voir l’augmentation du nombre de ventes de livres québécois depuis les débuts de la COVID, il me semble évident que la littérature, comme les arts en général, a répondu à un besoin fondamental de la population affectée par la crise. Une amie fortement éprouvée par la solitude en confinement m’a confié que sans musique et lecture, elle ne sait pas comment elle aurait survécu au confinement. Elle est loin d’être seule dans son cas.

Les artistes n’ont pas à se sentir mal d’exiger une concrétisation urgente de cet engagement électoral du premier ministre François Legault à l’endroit de la culture et de ses artistes. «L’art c’est tout ce qui ne se compte pas, mais qui compte profondément», déclare la romancière et dramaturge Marie Laberge dans l’ouvrage d’Émilie. Si ça compte à ce point aux yeux de notre gouvernance, il est temps d’agir en ce sens. Maintenant.