La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La poésie n’est plus un sanctuaire

Il y a 37 ans, Félix Leclerc était l’invité d’honneur de la première édition du Festival international de la poésie de Trois-Rivières. Le Festival avait alors attiré 80 poètes et 5 000 amateurs de poésie. Depuis, plus de 3 000 poètes venus de cinq continents ont foulé le sol trifluvien et l’affluence des visiteurs n’a jamais cessé de croître, à l’exception bien sûr d’en 2020, l’année pandémique. Cette édition-ci, qui se tient du 1er au 10 octobre, risque de retrouver un semblant d’erre d’aller. Il le faut bien, car «[n]ous attendons la suite, nous attendons beaucoup de la poésie», ont écrit Nicole Brossard et Lisette Girouard en 2003 dans Anthologie de la poésie des femmes au Québec.



Il est à prévoir qu’une surdose d’amour à l’endroit de la poésie survienne sur place et ailleurs dans la province, marquée par une augmentation des ventes de livres en tous genres depuis la COVID-19, on le sait, certes, mais aussi par un besoin d’accéder à la poésie, de s’en emparer, voire de s’y accrocher. À ce sujet, il me semble bon de rappeler que la poésie n’a d’ailleurs plus le même visage qu’au siècle passé, ce qui lui permet aussi de trouver un plus vaste lectorat, et un plus vaste public, dans le cas des performances sur scène.

Dans Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000-2020, dirigée par Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose et parue cette année aux éditions du remue-ménage, ces dernières notent que «pendant cette période (2000-2020), on voit apparaître des formes, des styles et des thématiques qui étaient jusqu’alors le propre des littératures anglophones. Loin de se cantonner dans la dyade identitaire français-anglais, la poésie québécoise accueille enfin les voix de plusieurs groupes qui la composent. Les immigrants de deuxième et de troisième génération scolarisés au Québec, tout comme les personnes venues étudier au Québec et qui s’y installent, commencent à publier des recueils qui témoignent d’identités métissées parfois conflictuelles ou douloureuses, parfois plurielles et sereines. Des maisons d’édition comme Mémoire d’encrier et Triptyque (sous l’égide du Groupe Nota bene à partir de 2016) jouent un rôle de pionnières dans la diffusion et la reconnaissance de ces poésies.»

Photo: Aung Soe Min, Unsplash

La poésie est une fête

Vrai. La poésie n’est plus ce sanctuaire formel et classique auquel il ne fallait jadis pas déroger sous peine de jugement et de mépris des puristes. «C’est peut-être plus une célébration qu’un sanctuaire», me dit Vanessa Bell, elle-même poète ravie de constater les possibilités infinies de la poésie québécoise. «Quand je fais des shows en Europe et que je suis sur des line-up avec des poètes français et belges, ils me disent toujours qu’ils admirent la liberté de la poésie québécoise. Eux, ils disent avoir l’impression de créer avec le poids de l’Histoire de la poésie, alors qu’au Québec, il y a un affranchissement de la tradition française, mais aussi de la langue française, en ce sens qu’on réclame la noblesse de cette langue, oui, mais on est aussi capables de se laisser transpercer par ce qui, géographiquement, est près de nous.»

Accompagnée de sa complice Juliette Bernatchez, avec qui elle était à la tête du Mois de la poésie jusqu’en avril dernier, Vanessa Bell fondait ensuite Contours, un OSBL basé dans la ville de Québec qui contribue à la production et à la diffusion d’initiatives artistiques. Avec leur approche intersectionnelle, intergénérationnelle et représentative des multiples identités langagières qui façonnent la poésie actuelle, elles embrassent toutes les manières présentes d’envisager la poésie, sans jamais perdre de vue ce qui a été fait avant, bien sûr. La fabuleuse Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec évoquée ci-dessus témoigne d’ailleurs de l’importance du legs en mettant de l’avant les voix de 55 poétesses d’ici, toutes générations et tous genres confondus, de Martine Audet à Daphné B., en passant par Joséphine Bacon, Louise Dupré, Mireille Gagné, Marjolaine Beauchamp, Élise Turcotte, et bien d’autres encore.

Les mots de certaines d’entre elles (Daria Colonna, Carole David, Roxane Desjardins, Lorrie Jean-Louis, Catherine Lalonde, Sina Queyras et Claudine Vachon) seront d’ailleurs à l’honneur dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL), le 1er octobre à 19 h à BAnQ dans Bruits Textures, un spectacle qui leur donnera la parole, comme il se fait trop rarement.

À Trois-Rivières, à Québec ou à Montréal, voire partout aux quatre coins de la province, la poésie fera vibrer l’automne québécois, saison toute désignée pour l’introspection, peut-être maintenant plus que jamais. Plusieurs auraient, il me semble, tout intérêt à s’en mettre plein les yeux et les oreilles. La poésie emmieute. Puisque Vanessa Bell se verra décerner le prix Félix-Antoine-Savard au Festival international de la poésie de Trois-Rivières pour une suite poétique publiée dans la revue Estuaire sous le titre de Foehn, voici quelques-uns de ses victorieux vers en conclusion:

«je ne suis pas chez moi ici peut-être est-ce ce que je cherche rompre ailleurs que dans mes habitudes ailleurs que dans ce qui est attendu car l’attente est insoutenable oui l’attente dit que je devrai vivre céder vingt-six côtes une solitude non pas celle à laquelle je consens tous les jours mais bien celle dans laquelle j’avais placé un espoir que l’on appelle famille».