La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Notre important devoir de mémoire collective

Pour bien faire avancer la cause du français, encore faut-il connaître ceux qui ont travaillé à sa défense. En cette fin de Mois de la Francophonie, on peut se questionner sur notre devoir de mémoire collective, qui ne devrait pas être pris à la légère.



«Je suis jeune depuis si longtemps que je ne me suis pas vu vieillir», disait feu Johnny Hallyday. Puis, un jour, on sait qu’on n’a plus 25 ans quand on s’entend critiquer les plus jeunes générations, qu’on juge peu vaillantes, trop narcissiques, égocentriques, exhibitionnistes… Et voilà qu’on emprunte les expressions de nos parents pour les définir, expressions qui jadis nous énervaient tant. Ça m’arrive de plus en plus souvent, et je me déteste d’être devenue cette vieille Y ronchonneuse.

Or, ça fait quelques fois que je ravale ma langue concernant les millénariaux, à commencer par ce que j’imaginais à tort de leur vision de la langue française justement, un de mes chevaux de bataille, l’outil premier de ma passion pour les lettres qui me permet aussi de payer l’hypothèque. Bref, qu’on ne touche pas à ma langue… Le documentaire I speak français de Karina Marceau, disponible gratuitement sur le site de Télé-Québec, qui interroge le rapport que les jeunes entretiennent avec le français, donne de l’espoir. Sur l’aspect de la langue, du moins, de ce qu’ils en pensent sincèrement.

À la lumière des entrevues réalisées par Marceau, ils l’aiment, l’honorent à leur manière, l’envisagent assurément pour leur futur et celui de leurs enfants, veulent la façonner, certes, mais la voir disparaître, ô jamais! Bref, ils ne sont pas obnubilés par l’anglais comme je le pensais. J’avoue, j’avais quasiment jeté l’éponge, sûre d’être de la dernière génération (et la première élevée par Passe-Partout) à hurler ma vie pour être servie en français.

Il y a quelques jours, j’éclatais de rage rue Laurier, à Montréal, en voyant une clinique d’optométrie afficher son nom de commerce «in English only», ou quand une employée d’un salon de coiffure du Plateau originaire de Toronto ne peut s’adresser aux clients autrement que dans la langue de Shakespeare, incapable même de baragouiner les mots de base… Suit-elle des cours de français, au moins?

Ça me pompe les nerfs à un point que je ne me connaissais pas, preuve que la capacité d’indignation s’accroît avec l’âge, preuve aussi que comme c’est le cas pour mon rapport au féminisme, si je m’insurge autant, c’est parce que «je me souviens». Il faut se décentrer de son nombril du moment, celui qu’on montre à travers un beau filtre sur les réseaux sociaux, et regarder en arrière, honorer la mémoire de nos prédécesseurs qui ont bataillé en coulisses, sans l’afficher partout pour se glorifier, juste pour qu’aujourd’hui nous puissions jouir de cette langue comme nous le faisons. La moindre des choses, c’est de se souvenir, donc, de poursuivre la lutte pour que le français chez nous ne s’éteigne pas.

Photo: Facebook Télé-Québec

Donc, je me souviens

Je me souviens que le 12 octobre 1889, lors de débats à la Chambre des communes, Henri Bourassa se faisait huer en tentant de s’expliquer en français. On lui a crié «speak white!».

Je me souviens que mes grands-parents, de valeureux Canadiens français, étaient méprisés par les anglophones qui vivaient à côté de chez eux, à Montréal, et que ma fantasque grand-mère faisait du mime (!) dans les années 1960 pour se faire comprendre chez Simpson’s, devenu Simpsons dans les années 1970 – grâce à la loi sur l’affichage en français –, puis Simpson dans les années 1980.

Je me souviens que Michèle Lalonde a créé le poème Speak White en 1968, sorte d’appui tacite au livre Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières, saisi par la police en marge du procès qu’on veut lui intenter. Comme je me souviens:

speak white and loud
qu’on vous entende
de Saint-Henri à Saint-Domingue
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l’heure de la mort à l’ouvrage
et de la pause qui rafraîchit
et ravigote le dollar

Je me souviens qu’en 1968, Les belles-sœurs de Michel Tremblay était présentée pour la première fois sur les planches du Théâtre du Rideau vert et que cette langue française, il l’a «joualisée» pour lui donner les couleurs d’un temps nouveau, symbole de sa vivacité, de sa capacité à se renouveler comme peu d’autres. Depuis, on la joue partout dans le monde. Depuis, on reconnaît les particularités de notre langue et ses accents partout.

Je me souviens de Camille Laurin, ministre du Développement culturel dans le gouvernement péquiste de René Lévesque en 1977 et grand architecte de la fameuse loi 101, adoptée à l’Assemblée nationale du Québec cette même année, qui a fait du français la langue officielle du système judiciaire, qui exigeait aussi que l’affichage et les autres formes de publicités commerciales ne se fassent qu’en français, que tous les enfants fréquentent les écoles primaires et secondaires francophones, sauf ceux dont au moins un des deux parents avait fait ses études primaires et secondaires en anglais au Québec, et qui, enfin, affirmait la primauté du français en milieu de travail.

Arguments de taille

Bien sûr qu’il est devenu primordial de bien savoir comprendre et parler anglais, contexte mondial oblige… mais pour transmettre et cultiver la valorisation du français, il est bon de se rappeler les porte-voix d’avant et de maintenant, bon de se réjouir du fait que c’est la Québécoise Catherine Cano qui vient d’être nommée administratrice de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), que cette langue est parlée par 300 millions de francophones sur les cinq continents, que c’est au Québec qu’elle s’est féminisée avant partout ailleurs, que des mots comme «courriel» ont su remplacer fièrement les «mails» de ce monde. Que je n’entende plus jamais un [Thierry] Ardisson français rire avec condescendance de notre accent…

Comme le rappelait si bien il y a quelques mois mon collègue éditorialiste sur Avenues.ca Jean-Benoît Nadeau, «le quart des professeurs de langue de la planète enseignent le français. Et c’est dans les pays anglophones que la demande est la plus forte. Car si la plupart des francophones du monde, et plus particulièrement dans notre arrière-cour nord-américaine, le sont par choix, c’est dire qu’en général, ils appartiennent aux classes les mieux instruites de leur société. Ils sont francophones par instruction, pour l’argent ou par passion — parfois les trois».

Savourer et promouvoir ces belles victoires permettent de garder le cap, de rester vigilant. Je vous laisse sur ces mots de Michel Plourde, auteur et défenseur de la langue française: «Nous nous sommes donné une loi 101, et peut-être croyons-nous qu’elle possède la grâce miraculeuse de convertir tout le monde et de tout changer. Non! Il nous faut, vous et moi, enseignants et travailleurs, parents et animateurs, citoyens d’aujourd’hui et jeunes citoyens de demain, réinventer patiemment et chaque jour les chemins de notre avenir. Cela demande autant d’effort et autant de joie que d’apprendre à écrire et apprendre à s’exprimer.»

Je craque pour…

Edgar Paillettes de Simon Boulerice, mise en scène de Simon Boulerice et Caroline Guyot, avec Maxime Desjardins, Milène Leclerc et Joachim Tanguay.

Les 6 à 12 ans se réjouiront de cette brillante pièce – à paillettes – inspirée du roman de Boulerice et présentée sur les planches de la Maison Théâtre jusqu’au 31 mars.

L’histoire est celle d’Edgar l’original extraverti qui se costume tous les jours et de son grand frère Henri qui se trouve très banal en comparaison… A-t-il vraiment besoin de devenir quelqu’un d’autre pour briller? C’est ce qu’il apprendra. C’est aussi ce qu’apprennent les jeunes, sans se le faire répéter comme une morale appuyée. Et c’est drôle! Et c’est touchant! Le mélange des deux tons est exaltant pour les petits et leurs parents. Une heure d’exaltation qui change un peu le monde.