La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Ne plus faire l’amour, qu’importe l’âge, une possibilité à assumer

Qui sont ceux qui ne font plus l’amour? Sujet tabou, s’il en est un, il appert que l’abstinence sexuelle, volontaire ou pas, existe bel et bien à tous les âges de la vie, chez les gens seuls comme chez ceux en couple. Dans une société où le sexe est partout et assez accessible sous toutes ses formes, il peut même sembler surprenant qu’un adulte «normalement constitué», j’entends par là fait de désirs et de pulsions, puisse, de manière délibérée, décider d’être abstinent pour un temps.



«Ne pas ou moins participer revient à être tout de suite perçu comme un perdant de la dictature du jouir, un relégué du capitalisme de la séduction. C’est basculer du côté de la honte et d’une prétendue anormalité», note dans son introduction au nouvel ouvrage Les corps abstinents (Flammarion) l’auteure française Emmanuelle Richard, invitée sur plusieurs tribunes en France pour parler du sujet, qui suscite inévitablement la curiosité, voire une certaine fascination.

Je ne saurais trouver les mots pour vous dire à quel point ce nouveau livre, assez unique en son genre, est bienvenu en cette époque de remises en question bénéfiques de la notion de consentement, de grands procès découlant de #MeToo, d’accès facile à une certaine pornographie, jusque sur Instagram.

Richard, qui a déjà quelques livres à son actif et qui a elle-même pratiqué l’abstinence, a reçu les confessions d’une quarantaine de personnes, des jeunes dans la vingtaine tout comme des quinquagénaires et des octogénaires, bref, de plusieurs personnes de toutes les tranches d’âge de la population, pour nous rappeler que l’abstinence n’est pas qu’un truc qui se vit quand on est seul, âgé et isolé. Oh, que non!

D’ailleurs, rares sont ceux qui ne réagissent pas en entendant quelqu’un «confesser» son abstinence. J’ai fait le test pour voir.

Il y a quelques semaines, lors d’un souper regroupant amis proches et connaissances, j’ai lancé sans préambule que je pratiquais l’abstinence depuis un certain temps. «Eh, oh, tu as un verre dans les mains…», a crié un invité. Évidemment, on a tout de suite pensé à l’arrêt d’alcool, puisqu’après tout, en janvier, plusieurs relevaient le «défi». «Non! Abstinence sexuelle.» Après une rafale de petits rires nerveux, de gloussements et de raclements de gorge, pour couper le malaise, un copain a lancé: «Tu veux punir ton chum?» Une autre y est allée d’un bon: «Tu connais les condoms, Clo? Moins efficaces… mais ben plus l’fun!» Voilà le genre de réactions en boucle qui évacuaient toutes possibilités d’y aller d’explications sérieuses et raisonnées. D’accord, l’occasion avinée était mal choisie pour faire ce genre de «test». Or, ça m’a quand même montré à quel point l’abstinence a quelque chose de louche, comme une bonne blague de fin de soirée, surtout venant d’une femme en couple dans la jeune quarantaine.

C’est justement là que réside l’intérêt de ce livre: il casse les idées préconçues associées à l’abstinence, dont on dispose de toute façon de tellement peu de données ou de statistiques associées à sa pratique. Non, l’abstinence, ce n’est pas comme faire du yoga… Ce n’est pas non plus une mode ou une tendance qui serait pratiquée majoritairement par des fanatiques en quête du Saint-Graal. Ce n’est pas non plus une affaire de vieilles filles/vieux garçons ou de gens âgés vivant dans les centres d’accueil. Dans ces pages, par le biais de ces révélations, en plus de déconstruire des stéréotypes de genre et de relation, c’est notre rapport à la solitude, au célibat, aux obligations, aux normes, aux images qui est aussi remis en question.

Photo: Sylvie Tittel, Unsplash

S’abstenir, c’est aussi être libre

«Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas non plus de quelque chose de nécessairement associé à une souffrance. Cela peut aller avec un temps de recul que l’on prendrait pour soi pour des raisons diverses. Ce retrait étant susceptible de se révéler positif, heureux, et parfois allié à l’idée d’une libération», écrit l’auteure. Parce que, oui, le sexe peut devenir quelque chose d’aliénant, et quand c’est associé à un «devoir», je comprends que l’abstinence soit salvatrice. Et que dire de se «sentir obligé» de le faire pour l’autre quand on est en couple par exemple? Je pense aux gens malades, aux grands fatigués, à ceux qui n’aiment plus l’autre avec le même entrain qu’avant, aux jeunes parents épuisés par des nuits blanches, à la charge mentale qui tue le désir… Dire non et l’assumer, pour un temps du moins, peut effectivement donner de l’air, créer un espace pour rebondir dans le sexe, éventuellement ou pas.

Ce qui revient souvent dans ces témoignages, principalement chez les femmes – mais pas que –, c’est l’envie de ressentir plus que du désir, un véritable sentiment amoureux avant de faire l’amour. En cas d’absence d’amour, l’abstinence survient. Avec l’âge, la nécessité des sentiments entre de plus en plus en ligne de compte, et ça ne m’étonne pas. C’est comme si: « OK. On a donné dans l’expérimentation…» Puis, revient aussi entre ces lignes l’argument assez fréquent et pas con du «Moins on fait l’amour, moins on a envie de le faire», dont traite aussi la psychiatre Marie-France Hirigoyen dans Les nouvelles solitudes. Redémarrer la «machine» peut bien attendre un peu.

En somme, il y a peut-être autant de raisons d’arrêter de faire l’amour que de le faire. Ce qu’il y a de plus percutant, c’est que ce soit admis, écrit, entendu, que l’abstinence puisse ne pas être liée qu’à un devoir religieux, à des croyances ou à une sorte de tare dont on accuse d’en être affublés ceux qui ne «pognent» pas. En 2020, l’abstinence, c’est aussi une prise de position, une affirmation, celle de son corps, de soi-même et l’acceptation que pour un temps bref, long ou éternel, le sexe, et dans certains cas même, la masturbation, ne fasse pas partie de la vie. Et puis après, qu’est-ce que ça peut bien faire? J’aurais envie de dire que le chocolat, c’est souvent bien meilleur (je le pense!), mais les ayatollahs de la bonne alimentation reviendraient contre moi. La littérature, d’abord? Oui, c’est parfois meilleur. L’effet dure plus longtemps en tout cas. Jouir, ça ne se passe pas qu’entre les deux jambes.

Je craque pour…

Bienvenue à Cité-des-Prairies

Connaissant mon amour des balados, mon amie Gina m’a fortement conseillé d’aller écouter Bienvenue à Cité-des-Prairies, produit par Urbania en collaboration avec Radio-Canada, où le balado est diffusé.

Réalisé par Gabriel Allard Gagnon, qui maîtrise comme un roi l’art du «storytelling», ce balado nous transporte entre les murs bétonnés et chargés de sens, de tristesse, de colère, mais aussi d’espoir de Cité-des-Prairies, le centre jeunesse recevant les cas de DPJ les plus complexes et les mineurs ayant commis les crimes les plus graves du Grand Montréal. On suit quelques-uns de ces jeunes, ainsi que des membres passionnés du personnel, en marge de l’organisation de leur Classique hivernale annuelle, un événement très peu banal à organiser en ces lieux.

Captivante, cette série en cinq épisodes est aussi remplie de vertiges, d’instants complètement déroutants, d’inconnus et de grâce aussi. Ce balado fait certainement partie des meilleurs, d’un point de vue humain, qu’il vous sera donné d’écouter. Et c’est fait ici.