L’obsolescence des femmes
Un fil rouge relie entre eux plusieurs titres de la rentrée littéraire qui traitent entre autres de l’obsolescence programmée des femmes dès la cinquantaine, en somme leur vieillissement dans une époque portée sur l’âgisme. À preuve qu’il y a du chemin à faire, ce titre du Paris Match actuellement en kiosque: «Claudia Schiffer: 50 ans sans une ride».
Les femmes peuvent-elles vieillir en paix? Je ne pense pas, sauf exception. Dans Le cœur synthétique (à paraître le 7 octobre au Seuil), l’héroïne, Adélaïde, est nouvellement confrontée au célibat à la mi-quarantaine. Bonne chance pour trouver l’amour, lit-on dans les mots puissants de l’écrivaine. «Elle repère un quadra, il a de la bedaine, elle pense avoir ses chances, elle est plus jolie que lui. Elle s’approche et se pose dans son champ de vision. Il ne se passe rien, son regard la transperce. Adélaïde découvre l’invisibilité de la femme de cinquante ans, avec un peu d’avance.»
Toujours en France, le 21 octobre cette fois, la grande Laure Adler fera paraître chez Grasset La voyageuse de nuit, qui réfléchit aussi sur le vieillissement. «Ce sentiment qu’on est encore dans le réel mais de manière moins acérée, plus brouillonne, avoir à y penser alors qu’avant tout cela nous était donné comme une évidence, serait-ce cela vieillir? Vieillir serait-il divorcer d’avec le monde? En voyant moins clair, c’est tout l’équilibre entre le monde et moi qui se trouve modifié. Comment maintenir ouverte et battante cette porte qui mène vers la vieillesse? Ne pas la refuser. Ne pas s’y habituer.» Tant de questions, mais une ouverture tout de même.
Le pire du vieillissement, c’est qu’il a deux vitesses. Celle des hommes et celle des femmes. Je parlerais même de trois vitesses puisqu’il y a les femmes qui se retouchent par divers moyens plus ou moins invasifs. Pire encore, si celles qui ne se font pas retoucher se font parfois juger de ne pas «prendre soin d’elles», les secondes sont perçues comme superficielles ou vaniteuses. Bref, les femmes, en vieillissant, sont toujours perdantes, ne font jamais «comme il faut». Qu’elles se cachent ou qu’elles se montrent, elles se la jouent trop jeunes ou devraient se botter le derrière pour garder la forme.
Moi, Caliméro en puissance
C’est vraiment trop injuste. Je suis Caliméro. Ce sujet me rend fragile, je sais que je tomberai un jour, que ma coquille moins jeune éclatera en mille morceaux de déceptions. J’espère que ce jour-là ce sera sur la noix de l’aigri et désagréable Yann Moix qu’ils atterriront quand l’obsolescence aura dérobé ce qu’il me restera de potentiel érotique. «On ne peut pas être et avoir été», a un jour dit l’homme de lettres Chamfort, il me semble. Facile à dire pour un monsieur du 18e. J’ai beau me répéter ce mantra, je l’avale de travers. L’homme, lui, peut tout être toute sa vie (placez ici le sacre de votre choix).
Bien sûr que certains hommes vivent l’âgisme aussi et une certaine obsolescence sociale, mais contrairement aux femmes, ils «n’expirent» pas, eux. D’ailleurs, je n’ai jamais rien lu en fiction, en récit ou comme essai sur le sujet. Je serais curieuse… Dans la satanée conscience populaire, l’homme grisonnant au visage marqué de rides d’expression sera toujours plus séduisant que la femme du même âge. Il pourra se voir confier des mandats excitants, voir son salaire augmenter, «dater» des femmes 20 ans plus jeunes, devenir père plusieurs fois, se «réinventer» deux, trois ou quatre fois...
Quand je vois des séries télé québécoises dans lesquelles le mec est avec une femme beaucoup plus jeune, que ça passe comme une lettre à la poste, qu’il y a eu du financement gouvernemental pour ça, qu’aucune critique ne le relève, que personne ne s’insurge jamais depuis des décennies, ça m’écœure. Dans le cas inverse, qu’une femme mature ait un amoureux plus jeune, il faut que ce soit appuyé, caricatural. «Auraient-ils besoin de leur mère? Alors les femmes qui fréquentent des hommes plus vieux qu’elles, auraient-elles besoin de leur père? Même de leur grand-père? Si mes jeunots me prennent pour leur ancêtre, je m’en fiche éperdument. Cela leur appartient. Ils sont si mignons, si attendrissants. Souvent plus respectueux et ouverts que les hommes de mon âge», écrit dans une jouissive revanche Michelle Labrèche-Larouche, octogénaire journaliste, chroniqueuse et auteure, dans son récit Les 40 hommes de ma vie, attendu ce mois-ci.
Je salue aussi avec gratitude, et une bouffée d’espoir aussi excitante que mon optimisme me le permet, le roman Mon (jeune) amant français de l’auteure et chroniqueuse au journal Le Devoir Josée Blanchette, qui brosse le portrait de Jeanne qui, après avoir été larguée pour une plus jeune par son mari des 15 dernières années, retrouve l’exaltation des sens auprès d’un expat français de 25 ans son cadet. Fu** *** Yann Moix. Je suis contente que ces mots de femmes participent à jeter les bases de nouveaux codes sociaux. Si les plus jeunes générations défrichent depuis #metoo, de grâce, n’oublions pas que les «jeunes d’avant» tentent aussi de changer les perceptions sur le vieillissement des femmes. Raison de plus pour les entendre sur plein de tribunes. Elles aussi.