La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’été des trois fées

Il arrive que les «leçons» d’humanisme surgissent en dehors de la philo, des grandes théories ou de la psycho pop. Cet été m’en a fait apparaître trois, comme Flora, Pâquerette et Pimprenelle, les «trois bonnes fées» du long métrage animé La Belle au bois dormant, sorti en 1959. Mais ici, ça n’a rien d’un conte de fées, justement. Ces trois femmes, banales en apparence, croisées ces dernières semaines, ancrées dans le réel, ont pourtant eu sur moi l’effet de petites bombes désarmantes, ô combien rassurantes, surtout au cœur d’une époque dure, confrontante, déstabilisante. 



Il m’a semblé du coup qu’elles symbolisaient à elles seules la véritable «bienveillance», mot (trop) à la mode et un peu galvaudé. À l’instar du formidable nouvel essai Douces amères – À qui profite notre bienveillance?, de la Québécoise Véronique Alarie, elles, elles l’incarnent pour vrai, sans forcer, sans même sans rendre compte, ce qui ajoute une certaine valeur à leur présence. Voici leur petite histoire aperçue dans l’angle mort de la chaude saison. Je pense que le climat lourd et anxiogène du présent temps a tout à gagner de leur faire la part belle dans l’actualité. 

Nicole à La Ronde

«La philosophe française Simone Weil disait que "l’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité"», cite Alarie dans son essai paru chez Québec Amérique. «Dans une perspective semblable, je dirais que l’acte bienveillant est à mes yeux ce qu’il existe de plus lumineux chez l’être humain. Je juge qu’il nous sauvera toujours», ajoute-t-elle avec raison.

La première «bonne fée», la marraine d’entre toutes, probablement parce qu’elle est l’aînée du groupe, je l’ai croisée au hasard d’une virée avec enfants à La Ronde en août dernier lors de la journée la plus caniculaire de l’été. Mon amie Jaja aussi présente traînait un spray d’eau utilisé pour ses plantes et nous arrosait la figure toutes les deux minutes, en faisant même profiter les autres visiteurs qui se mettaient presque en ligne pour le rafraîchissement, c’est tout dire!

Alors que mes loupiots venaient de prendre place dans Le marécage heureux, ou joyeux – je ne sais trop dans quel état il était le marécage-pas-trop-propre, ça, c’est sûr –, je l’ai vue, elle, Nicole, la soixantaine, aux commandes dudit manège.

Si je l’ai vue, je l’ai surtout entendue, un peu étonnée de la trouver là parmi les jeunes occupant pareil emploi: «Imaginez que vous volez haut, haut, haut, que le ciel est tout à vous, les amis, oh, rassurez vos parents, ils ont peur, eux, de voler…», de mémoire d’éléphante, malgré la chaleur du moment, sa litanie ressemblait à ça, piquant ma curiosité à son sujet.

Malgré le refus catégorique de La Ronde de me voir l’interviewer ou la prendre en photo, bref, que je témoigne de son travail d’une quelconque façon dans cette présente chronique pourtant fort positive, je me permets tout de même, avec droit, de vous rapporter ses propos. «Je m’ennuie, l’été, depuis que je suis à ma retraite, et je voulais voir des jeunes. Je suis bien ici, je raconte des histoires, je fais sourire le monde», m’a déclaré Nicole quand je lui ai demandé ce qu’elle faisait là plutôt qu’au bord d’une piscine, par 43 degrés à l’ombre, dans sa petite cabane d’opératrice, seule baby-boomer à ce poste au célèbre parc d’attractions de l’île Sainte-Hélène, il va sans dire.

Nicole, qui passe ses hivers dans le Sud, aime les jeunes, ça sautait aux yeux, et elle adore parler au microphone, en somme, faire son petit numéro au bénéfice de tous. Inutile de dire que ce manège est devenu le préféré des enfants ce jour-là. Le mien aussi.

J'ai rencontré une «bonne fée», la marraine d’entre toutes, à La Ronde cet été. Photo: Sebastien Cordat, Unsplash

Disco mène la danse

Disco est certainement le plus beau nom de camp d’été. Du moins, dans le cœur de ma fille de 9 ans, qui passe ses journées depuis déjà trois étés consécutifs auprès de cette jeune monitrice du Camp de jour Père-Marquette dans le familial quartier Rosemont à Montréal.

C’est avec cette splendeur expressive et frondeuse de 19 ou 20 ans qu’elle apprend les rudiments de la danse, en plus, bien sûr, de découvrir la vivacité, les modes et discours du début de vie adulte qu’elle a si hâte d’embrasser… De gamine mélancolique, anxieuse et tourmentée, aux côtés de Disco, mon enfant est devenue souriante, souple, moins inquiète, «chill», même, comme sa monitrice-idole qui a été fidèle au poste, toujours polie, solide, présente, jamais lendemain-de-veille.

Ce passage me fait passer pour une «matante», mais qu’à cela ne tienne, je me souviens de mes propres étés comme monitrice et je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, alors qu’on était douze jeunes à postuler pour le même poste de moniteur. Le «camp de sélection» était plus stressant qu’une compétition à Star Académie.

Aujourd’hui, les responsables de camps se battent pour recruter. Alors, qu’elle soit là, été après été, en pleine pandémie de COVID, la belle Disco, tellement aimante, dévouée tous les vendredis pour présenter devant les parents des spectacles peaufinés comme une pro avec les jeunes, m’a rappelé que plusieurs ados ont ce souci de la transmission, la générosité, l’envie de partager sans se prendre la tête dans l’allégresse estivale. Hélas, je n’ai toujours pas réussi à connaître le vrai prénom de Disco. Le secret, ça aussi elle le prend au sérieux!

De gamine mélancolique, anxieuse et tourmentée, aux côtés de Disco, mon enfant est devenue souriante, souple, moins inquiète, «chill», même. Photo: Yan Berthemy, Unsplash

Une compagne contre le cynisme

Tiens, Disco doit connaître la boutique de vêtements, objets et meubles seconde main inclusive et écolo que je viens de découvrir sur la Plaza Saint-Hubert. Une révélation pour moi qui suis adepte de bazars, friperies et jours de poubelle à Outremont.

Avant la mi-août, j’ignorais tout de l’endroit et de Compagnons de Montréal, l’organisme à but non lucratif favorisant des milieux de vie, d’apprentissage et d’inclusion stimulants pour adultes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme.

Parmi eux, il y avait cette jeune pétillante complètement investie qui m’a accostée durant la vente trottoir en voyant mon intérêt pour je ne me souviens plus quelle babiole usagée. J’ai bien vu sa «différence». Ce qui m’a le plus épatée chez elle, c’est que malgré les probables défis auxquels elle a sûrement dû faire face (et encore!), elle soit là, vendeuse convaincante dans une confiance et volonté à toute épreuve, à faire l’apologie de l’OBNL qui l’emploie, m’expliquant aussi le fonctionnement des dons et des achats avec un savoir-faire épatant.

«Le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre», disait Nelson Mandela. Ce courage, je l’ai vu chez elle, motivé par la réelle envie d’entrer en relation avec les gens, de prendre peut-être le risque qu’on ne s’attarde qu’à sa différence, voire qu’on ne prenne même pas le temps de la regarder, de lui accorder une ou deux secondes d’attention. J’ai moi-même failli passer tout droit, faire fi de son interpellation candide sur le trottoir. J’aurais tout manqué. À commencer par cette arme contre le cynisme que cette inconnue m’a tendue gratuitement, seconde main, comme je les aime.

Une partie de l'équipe de L'Annexe, boutique vintage des Compagnons de Montréal, organisme à but non lucratif favorisant des milieux de vie, d’apprentissage et d’inclusion stimulants pour adultes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. Photo: Facebook L'Annexe