La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’été de Valérie et Nora

Cet été est une fête. Une fête pour les grands-parents qui retrouvent leurs petits-enfants, pour les amis trop longtemps privés de soirées à refaire le monde, pour des familles séparées par un océan… Cet été est aussi une fête pour Valérie et Nora, qui se reverront enfin comme avant la pandémie, même si Nora est devenue une ado bien occupée. Entre les deux, les liens sont trop forts pour l’oubli et la négligence. À 16 ans presque 17, on a trop besoin de modèles pour balayer du revers de la main une relation de neuf ans cruciale pour deux femmes que rien ne prédisposait à se rencontrer.



Jadis bien installée dans son célibat et dans sa carrière en enseignement de l’informatique, Valérie, Montréalaise d’origine française, avait 43 ans quand elle a manifesté à l’organisme des Grands Frères Grandes Sœurs son désir de devenir Grande Sœur et d’accompagner une enfant. La demande fut entendue. Après quelques semaines d’attente, un lot de vérifications et d’entretiens de contrôle plus tard, on lui présentait la fameuse Nora, qui avait alors sept ans et demi. À cet âge, le «demi» est important, surtout quand on a hâte de grandir, de se départir de sa peau d’enfant pourtant déjà si vieille. Quand on perd notre maman du cancer dans la plus tendre enfance et qu’on grandit entourée d’hommes dans un Québec qui connaît mal les rites et coutumes du Bangladesh, le pays de nos parents, j’imagine que oui, ça donne envie d’arriver vite dans le monde des grands, de se construire une carapace comme rempart contre les assauts de la vie.

Bien sûr que la tristesse s’est emparée de Nora. À l’école, ça n’allait pas. À la maison non plus. Ça a commencé à devenir clair: Nora avait besoin d’une présence féminine. Pas de celles qui apparaissent et disparaissent comme de fausses joies le temps d’un printemps; une vraie apparition féminine, une femme qui resterait enfin assez longtemps pour que Nora puisse s’abandonner dans une forme de confiance salvatrice. Le contrat dans lequel s’engageait Valérie auprès de sa «petite sœur» n’avait rien de léger, on s’entend là-dessus... L’implication devait être constante, stable et fidèle. En plein ce dont Valérie, qui n’aurait jamais d’enfants, avait envie, une affaire qui lui semblait d’ailleurs assez naturelle. Valérie est de ce type d’humaine. Le «match» eut donc lieu dans une petite salle de l’organisme et, oui, rien d’étonnant, la chimie opéra entre la grande et la petite. «J’ai moi-même grandi avec un seul parent pendant mon adolescence, je savais ce que ça faisait de grandir avec ce manque…», m’explique Valérie, dont la propre mère était décédée tragiquement alors qu’elle n’avait que douze ans.

La première rencontre entre Valérie et Nora, en août 2012.

Celle qui reste

Au début de leur sororité, beaucoup de leurs rencontres eurent lieu dans un parc près de chez Nora. «Je m’en souviens comme si c’était hier. Elle était tellement cute avec ses petites joues rondes. Elle disait toujours «regarde, regarde, regarde, Valérie!», elle voulait me montrer tout ce qu’elle savait faire. J’imagine qu’elle espérait que je reste. Plusieurs femmes se sont occupées d’elle quand elle était petite, mais c’était toujours passager. Au début, elle faisait de l’anxiété de séparation, elle avait peur que ce soit temporaire entre nous et elle n’avait pas la notion du temps; si je lui disais qu’on allait se revoir dans deux semaines, ça ne lui disait rien…» Lentement mais sûrement, Valérie a gagné la confiance de Nora, elles se sont mises à faire du dessin ensemble, de la pâtisserie, à discuter de petites et grandes choses. Beaucoup de discussions. Le père de Nora ainsi que son grand frère se joignaient aussi parfois à elles, comme le jour de son mariage – oui, Valérie a entre temps trouvé l’amour! – et, on s’en doute, Nora a fait une parfaite fille d’honneur.

Pendant qu’elle me raconte son histoire avec sa «petite sœur», je découvre les photos d’elles que l’organisme accepte de partager avec vous sur Avenues.ca. Je suis du genre pleurnicharde de nature, mais en regardant leurs souvenirs, j’ai surtout eu l’impression que plusieurs d’entre nous gagneraient à bâtir ce type de relation avec des jeunes. Surtout au sortir de la pandémie. Tout le monde a besoin de retrouver des assises, des repères, de l’affection, de (re)nouer des liens du cœur.

Noël 2019

Valérie prépare un album de photographies pour les dix ans de leur rencontre, qui approche à grands pas. Elles ne comptent pas mettre fin à leur sororité de sitôt. Elles ont trop besoin l’une de l’autre. Elles caressent même le projet de voyager en France ensemble. Dans l’attente de temps meilleurs pour traverser l’océan, il y a cet été de retrouvailles qui donnera d’autres belles photos. Des albums, il y en aura des tonnes. Je leur souhaite.

Grands Frères Grandes Sœurs est toujours à la recherche de donateurs et bénévoles.