La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’été autochtone

Dire que la tragédie de Kamloops m’a jetée à terre serait un euphémisme. Puisque le fameux grand projet de «réconciliation» ne semble pas aboutir, j’ai de plus en plus la certitude que c’est par les arts qu’on arrivera à faire ce pas de géant pour la reconnaissance et le respect des peuples autochtones.



Observatrice de la vie culturelle et artistique québécoise depuis deux bonnes décennies, il me semble de plus en plus clair que les artistes – même assommés par la pandémie – surgissent toujours à la rescousse; éclaireurs ou éveilleurs de conscience en regardant une situation donnée, comme le défi de la réconciliation, à travers un autre bout de la lorgnette. Pas celle de la gouvernance, ni celle des pelleteurs de nuages ou idéologues dont les propos restent dans les limbes, encore moins celle de ceux qui font de l’aveuglement volontaire, comme si ça ne les concernait pas, comme si la faute revenait à leurs ancêtres morts et enterrés.

Quand, il me semble, on a atteint le fond du terrible tunnel noir des ignominies, l’art accueille, rassemble et propose une autre manière de faire avec la douleur et les cicatrices pour se tourner enfin vers l’avenir. J’y crois, j’en suis persuadée, l’Histoire nous l’a déjà montré, ne serait-ce qu’à travers les écrits d’Émile Zola, dont la parution de Germinal en 1885, son treizième roman de la série des Rougon-Macquart, a plus fait avancer la cause des mineurs plus que n’importe quoi avant, ne serait-ce que la sortie hyper fracassante du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir en 1949 pour le féminisme, qu’on soit d’accord ou pas avec la manière dont il s’accorde avec l’époque actuelle.

Ce second été pandémique qui nous attend sera peut-être celui des prises de conscience, d’autant plus que contrairement au précédent, il portera dans ses grâces l’espoir du renouveau, celui-là; en sécurité dans les bras de la vaccination rédemptrice. En attendant les grands voyages outre-mer, je le vois (je le souhaite) donc comme l’occasion de regarder en arrière et prendre toute la mesure du monde autochtone à travers d’épatantes propositions artistiques qui élèvent et emmieutent.

Juin, Mois national de l’histoire autochtone, consacré cette année aux enfants disparus, aux familles qu’ils ont laissées derrière eux et aux survivants des pensionnats autochtones, invite aussi à se plonger dans des créations qui remuent.

Du côté des livres

En littérature, ça pleut. Bien sûr, il y a l’œuvre du journaliste et écrivain d’origine innu Michel Jean, entre autres son fameux Kukum, mais aussi Atuk, elle et nous, Le vent en parle encore ou son collectif Wapke, premier recueil de nouvelles d’anticipation autochtone publié au Québec.

Il y a tant de talents autochtones que j’en oublierai, bien sûr, mais d’emblée, j’irais avec les titres suivants: Shuni ou Kuessipan de Naomi Fontaine, Sœurs volées d’Emmanuelle Walter et Widia Larivière, Les visages de la terre de Louis-Karl Picard-Sioui, Je suis une maudite sauvagesse - Eukuan nin matshi-manitu innushkueu de An Antane Kapesh, Bréviaire du matricule 082 de Maya Cousineau Mollen, Croc fendu de Tanya Tagaq, l’ensemble de la poésie de Joséphine Bacon, assurément, et tellement d’autres anciens ou plus récents titres dans tous les genres littéraires, y compris la littérature jeunesse.

Puisqu’il est question de la forte Joséphine Bacon, elle est à l’honneur dans le fabuleux film Je m’appelle humain, de la réalisatrice abénakise Kim O’Bomsawin, qui lève le voile sur sa création, sa trajectoire, l’héritage qui façonne tout ça. C’est à couper le souffle parce qu’il s’agit aussi de la rencontre entre deux femmes marquantes de notre Histoire, l’une qui capte et fait parler les images et l’autre, le sujet, qui ne se sera jamais dévoilée ainsi, avec autant de liberté, il me semble. Ce documentaire de 52 minutes est d’ailleurs en visionnement gratuit sur ICI Tou.tv.

Photo: Radio-Canada

Ici même, j’avais louangé le talent, la lucidité et la vision de l’artiste hyper polyvalente Caroline Monnet, dont la personnalité et l’art m’avaient littéralement envoûtée. Ninga Mìnèh, sa première exposition au Musée des beaux-arts de Montréal, présentée jusqu’au 1er août, évoque de façon métaphorique, mais matérielle, l’inégalité des conditions de vie des communautés autochtones au Canada. C’est fou à quel point elle sait avancer sur la fine ligne entre révolte et douceur, splendeur et indignation. Cette artiste est en véritable ascension ici et ailleurs, saluée et encensée partout.

Vue de l’exposition Caroline Monnet : Ninga Mìnèh au Musée des beaux-arts de Montréal. Photo MBAM, Denis Farley

Dans nos oreilles

Fan de baladodiffusions, je salue l’incroyable travail de la poétesse innue Marie-Andrée Gill, dont j’ai tant aimé le recueil Chauffer le dehors – constamment sur ma table de chevet – et qui dans Laissez-nous raconter l’histoire crochie redresse onze mots lourds de sens (obéir, sauvage, réserve, Pocahontas, Dieu, bannique, école, réconciliation…) pour les peuples autochtones afin de réconcilier le passé et le présent.

Photo: Radio-Canada

Cette fois, dans Ça s’est passé ainsi, ce sont les conteuses Édith Bélanger, Karine Échaquan, Kathia Rock et le conteur Alexandre Bacon qui donnent dans le conte traditionnel autochtone, ceux-là mêmes qui se transmettent de génération en génération. Tout y est: émotions, souvenirs, réflexions, désirs, pulsions, héritage.

Photo: Radio-Canada

Comble de ma joie aujourd’hui d’apprendre que mon amie Elisapie Isaac, autrice-compositrice-interprète Inuk du peuple inuit, était devenue Compagne des arts et des lettres du Québec en compagnie de 17 autres personnalités.

Je vous laisse sur ce que son amoureux, Maurin Auxéméry, a écrit à son endroit sur Facebook. J’ai l’âme à la tendresse, ça doit être la chaleur… «Depuis 8 ans, elle m’ouvre les yeux sur un monde singulier fait de tolérance et d’ouverture. Le jugement n’a pas de prise dans sa réalité. Elle amène toujours mon regard de l’autre côté, pour mieux comprendre les autres et leurs circonstances. Elle m’a offert un accès privilégié à une culture millénaire qui désigne les choses telles qu’elles sont. Quand elle voit passer les oies dans le ciel qui s’en vont vers le nord, elle grogne. Il ne reste jamais de viande autour de l’os. Elle a peur de la forêt (les arbres n’existent pas chez elle). Elle porte sa culture. Elle est une Inuk, du peuple inuit. Et juin est le mois de l’histoire des autochtones. Profitons-en pour en apprendre un peu plus sur nos hôtes. Google a plein de ressources.»