La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Les vilains contes

Enfant, est-ce qu’on vous a lu Le petit chaperon rouge et La belle au bois dormant? Est-ce que ça vous a fait mal, je veux dire, est-ce que ces contes ont fait de vous une vilaine personne?



Si je pose cette question, c’est parce qu’il y a actuellement une tendance qui tend à clouer certains livres au pilori en les retirant des bibliothèques des écoles. C’est le magazine Figaro qui rapportait cette nouvelle le 23 avril, révélant que plusieurs écoles de Barcelone, en Espagne, viennent de supprimer 200 titres de leur collection, dont les deux contes nommés plus haut, les jugeant «stéréotypants et sexistes». C’est ce que Olivier Babeau, l’auteur de Éloge de l’hypocrisie, professeur d’université et président de l’Institut Sapiens en France, OBNL dont l’objectif est de «peser sur le débat économique et social», raconte dans son texte, qui dénonce «l’institution d’une police de l’orthodoxie des livres» qui tente actuellement de convaincre les institutions scolaires espagnoles de censurer certains titres dans leurs écoles.

«Tu es chanceuse, toi, tu es née dans une époque de liberté, tu peux tout lire, y compris Candide de Voltaire», m’avait dit feu mon grand-père, un ancien directeur d’école sévère et rigoureux, pour m’encourager à terminer cette lecture obligatoire qui me donnait des maux de tête à l’école secondaire. Cet intellectuel éduqué chez les Jésuites enviait l’époque dans laquelle j’étais née. Aujourd’hui, la liberté est devenue un concept flou tant elle est mise à mal par une rectitude qui voit le vice et la menace partout. Ça se passe en Europe, certes, mais en sommes-nous si loin, ici, au Québec? J’en doute. Et si j’étais de mauvaise foi, je dirais qu’il est impossible d’en faire autant ici vu le peu de livres de fiction dans nos écoles primaires, où les bibliothèques sont souvent inexistantes par manque d’espace. Lancez-moi pas là-dessus!

Le petit chaperon Rouge, illustration de Jessie Willcox Smith, 1911

Cachez ce sexe…

Bien sûr que nous n’en sommes pas à ce stade de faire taire Le petit chaperon rouge en Amérique du Nord. N’empêche qu’on n’en est pas si loin quand on pense que l’an dernier seulement, à pareille date, les minis «tout-nus» de La tribu qui pue, livre jeunesse écrit par Élise Gravel et illustré par Magali Le Huche, n’avait pas trouvé preneur du côté du marché américain, qui jugeait trop obscènes les illustrations de petits zizis et de petites fesses à l’air chez les personnages.

Concernant le cas des contes jugés «stéréotypants et sexistes», qu’après #metoo on soit plus frileux sur le contenu présenté aux enfants, je comprends, bien sûr. Mais qu’on en soit à revoir, analyser, repasser au peigne fin et trouver des significations, métaphores et symboles parfois surréels à ce qui a été écrit et publié dans le passé – ça vaut pour toutes les formes d’art – me semble d’abord complètement loufoque, puis excessivement dangereux. Dangereux parce que le nouveau monde se construit aussi avec le passé et ses racines, pas en le rayant de la carte pour recommencer à zéro.

Bien sûr qu’on peut remettre le passé en question, le juger parfois grossier ou inadéquat en le regardant avec nos lunettes modernes, mais faire comme s’il n’avait jamais existé, comme si finalement nos ancêtres étaient de parfaits imbéciles, je ne crois pas que ce soit la solution représentative de notre époque et de son évolution. Pourquoi ne pas expliquer ces textes, les remettre en contexte, ouvrir le dialogue sur ces œuvres? Est-ce que ça ne correspondrait pas plus, il me semble, à un monde ouvert et apte à se remettre en question, à réfléchir et à transmettre une nouvelle vision «améliorée» de certains contenus désormais jugés passéistes ou rétrogrades? Ne sous-estimons pas la compréhension des petits, leur capacité à saisir les nuances. Oui, nous pouvons leur faire confiance. Après tout, c’est nous qui les éduquons avec la meilleure volonté. Ça ne peut que fonctionner.

La tribu qui pue, livre jeunesse écrit par Élise Gravel et illustré par Magali Le Huche, n’avait pas trouvé preneur du côté du marché américain, qui jugeait trop obscènes les illustrations de petits zizis et de petites fesses à l’air chez les personnages.

Culte de la purification

Par ailleurs, quelle est cette manie de vouloir lisser, polir, rendre pur, net et propre tout contenu diffusé? Pour protéger la jeunesse du grand méchant loup abuseur d’enfants à caps rouges et croqueurs de vieilles dames qui attendent leur petit pot de beurre? Ce contrôle abusif des écrits pour suivre une ligne directrice sans saveur et épurée de tout ce qui pourrait offenser la bien-pensance radicale m’horripile le peu de poils qu’il me reste sur les jambes. Car oui, je me rase encore. Ai-je le droit ou ça fait de moi une vilaine véhiculant le stéréotype de femme soumise aux diktats de la beauté? J’aime lire Anaïs Nin. Chez Nin, il y a des passages dans lesquels ses héroïnes, dans le plaisir sexuel, sont en posture de soumission face à l’homme. Allons-nous l’interdire elle aussi pour cause de nuisance à l’avancement des femmes? Pourtant, Nin s’est battue à sa manière pour que ses mots – de femme – soient reconnus autant que ceux de son compagnon, Henry Miller. Revenir en arrière et abolir pour un présent «convenable», c’est aussi anéantir le fruit d’efforts et de batailles du passé. Alors, de grâce, sommes-nous vraiment mieux que ceux qui étaient là avant? J’en doute, et encore plus par les temps qui courent... hum. Nous ne sommes certainement pas plus libres en tout cas. 

Je craque pour…

Rock ‘N’ Miaou – Les légendes du rock racontées aux enfants de Melissa Maya Falkenberg (éd. Cardinal)

S’il y a une chose qui me rend éperdument jalouse en tant qu’autrice jeunesse, ce sont les créateurs qui conçoivent à la fois les textes et les illustrations de leurs albums. Marianne Dubuc, Élise Gravel, Guillaume Perreault, Pascal Girard, Orbi et plusieurs autres réussissent ce tour de force avec brio. Je les e-n-v-i-e ! Je dessine comme une pioche.

Voilà que la pétillante Melissa Maya Falkenberg dévoile cet amalgame de talents, elle aussi. Je savais qu’elle pouvait écrire, certes, elle est journaliste, mais qu’elle dessinait aussi, ça, je l’ignorais. Comme elle est spécialiste et amoureuse de rock, elle s’est donné pour mission de raconter les légendes du rock aux enfants. Elvis Presley, Kiss, Patti Smith, Bob Dylan, Janis Joplin, Stevie Nicks, David Bowie et Jimi Hendrix sont les stars de ce livre qui les présente de manière originale, drôle et rigoureuse, toujours en lien avec le monde des chats. Par exemple, Patti Smith devient la chatte poète… Impossible de ne pas craquer pour l’idée et le résultat qui casse la baraque.

Impossible de ne pas craquer pour ce livre destiné aux enfants!