Les petites robes à carreaux du World Press Photo
Je ne m’endormirai pas aussi facilement qu’à l’habitude ce soir. Je rentre du World Press Photo, événement international fort couru qui se déroule au Marché Bonsecours dans le Vieux-Montréal jusqu’au 27 septembre et qui présente les photographies gagnantes de la plus prestigieuse compétition professionnelle de photos au monde.
Et si on arrive là échevelé, exténué d’avoir contourné 300 cônes oranges, cherché du stationnement, évité des touristes avec visières de Niagara Falls, fait un doigt d’honneur à un camionneur imprudent et prononcé en rafale tous les mots sacrés de la basilique Notre-Dame, quand on quitte l’expo, je vous le jure, ces nuages gris au-dessus de nos têtes de Nord-Américains choyés se dissipent très très vite. On ravale nos tabar… et on avance, un peu changé...
Pour avoir côtoyé quelques photographes de talent, jadis, comme journaliste au Journal de Montréal et à feu Rue Frontenac, j’ai un immense respect pour leur manière sensible de rendre concret un fait d’actualité, en une seule image souvent captée sur le vif, lui donnant une voix en silence, avec humilité, se sachant en retrait de l’action, courroie de transmission comme photographe, certes, mais sans être vu, sans devenir la «vedette» qui rapporte la nouvelle avec des mots ou en montrant son visage à la télé.
Petites robes à carreaux et bonnet de Noël
Cette dixième édition de l’exposition World Press Photo me semble plus foudroyante que jamais. Peut-être que je vieillis, peut-être que j’ai perdu un peu de mon cynisme, je ne sais pas, mais ça m’a ébranlée.
Jamais je n’oublierai les trois petites robes à carreaux bleus de jeunes filles enlevées par les troupes islamistes de Boko Haram au Nigeria alors qu’elles assistaient à leurs cours, dans l’insouciance d’une journée qui s’annonçait comme les autres; déjà pas si facile...
Puis, il y a cette photo d’un vieil homme en Mongolie-Intérieure qui creuse un trou dans la terre pour y déposer le petit cadavre d’un nouveau-né gisant au sol à côté de lui, enveloppé dans une couverture à motifs.
Difficile aussi de ne pas être marquée par le regard effrayé et tellement humain de ce macaque rhésus qui s’apprête à recevoir les coups de machette de son dresseur dans un cirque chinois.
Que dire aussi de Wei, un migrant de 19 ans en Chine qui, la tête recouverte d’un bonnet de Noël défraîchi, fabrique des décorations à la chaîne, 12 heures par jour, pour un salaire de 270 à 400 euros par mois, sans jamais connaître la signification de cette Fête? La connaissons-nous plus que lui?
Un homme encore sanglé à son siège fait partie de ce qui a été retrouvé des restes de l’écrasement du Vol MH17 de l’avion de la Malaysian Airlines reliant Amsterdam à Kuala Lumpur. Autour de lui, des valises éventrées, une chaussure d’enfant, un chandail de sport, un sac pour des cosmétiques…
Les casseuses de candeur
Oui, plus que jamais, nous sommes assaillis d’images qui font mal, certaines peuvent même choquer en montrant «trop». Je sais, parfois je me dis que c’est honteux, qu’il faudrait se garder une petite gêne. En y réfléchissant bien, je réalise que ce n’est peut-être pas si insensé de choisir de montrer beaucoup, pas par sensationnalisme, pas pour faire la morale, mais pour élargir le spectre des informations qui nous parviennent, leur donner un autre éclairage grâce à cette lentille qui capte un œil apeuré, un rictus haineux, une main bienveillante, une petite robe à carreaux…
Si les mots ne s’impriment pas toujours dans le cerveau, les images, elles, peuvent y demeurer prisonnières longtemps, en bonnes «casseuses de candeur». Parce que parfois, c’est bon se de rappeler que les licornes brillantes ne sont pas de ce monde et que nids de poule et cônes oranges n’ont rien d’un champ de mines... Je lance ça sur le coup aujourd’hui, mais je parie que, dans deux ou trois semaines, malheureusement, je me serai remise à sacrer pour pas grand-chose.
J’ai craqué pour…
Roses, le nouvel album de Cœur de Pirate
Ce troisième opus de Cœur de Pirate, alias Béatrice Martin, est marqué par l’assurance, l’expérience et la grâce. Tout ça sur des rythmes beaucoup plus contemporains que ceux présents sur Blonde, son précédent. Surtout anglophone, cet album reste en tête longtemps, autant pour la puissance vocale de l’artiste que pour la forte présence des textes qui évoquent les combats intérieurs, les questionnements, les prises de conscience. Soyez sans crainte, il n’y a rien d’ésotérique ici, juste une franche lucidité. Un bouquet de roses pour Béatrice.
La sixième et dernière saison de la série Downton Abbey
Non, je ne l’ai pas encore vue cette sixième saison de la très populaire série anglaise créée par Julian Fellowes. Dans l’attente, la bande-annonce pas mal vendeuse vient d’être révélée et fait déjà pleurer. Hum hum. Elle laisse présager des départs, des retours, des décès, des scandales… Nous retrouvons les charmants coincés en 1925, soit six mois après la fin de la cinquième saison. Tout de fourrure vêtue, la chère Edith, sympathique au final, semble plus en beauté que jamais. Gageons que ça se terminera sur le dernier souffle de Lady Violet… ITV diffusera les épisodes à compter du 20 septembre. En attendant, je vous laisse sur une traduction d’une célèbre citation de mon personnage préféré, celui de la Comtesse de Grantham, bien sûr: «Ne sois pas défaitiste, chère, c’est très classe moyenne.»
À méditer dans un sourire.