Les enfants ne sont pas des valises et savent nager en culture
Ne prenons pas nos enfants pour des valises. Ils en savent pas mal plus qu’on ne saurait l’imaginer. Ne les prenons pas pour des valises donc, même au sujet de l’Holocauste. C’est du moins ce que s’est dit cette année le Centre commémoratif de l’Holocauste de Montréal, qui, le 23 août, journée du Ruban noir (victimes du stalinisme et du nazisme), tenait son Salon du livre à la mémoire des survivants Montréalais des camps nazis. Or, c’est la littérature jeunesse qui était à l’honneur pour la première fois. Donc, pas de sempiternels livres de princesses et de princes qui vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, ni d’histoire de bonhommes jaunes laids comme des poux et qui portent si mal leur nom, les Minions, c’est bien cela!? Il s’agissait plutôt de présenter des livres de guerre, de camps de concentration, de parents qui meurent, d’enfants qui crèvent de faim, de réel, peut-être brutal à première vue pour des jeunes, mais qui vulgarisés par des écrivains passés maîtres dans l’art du dosage, voire des gens qui ont eux-mêmes un jour vécu les affres de l’Holocauste, deviennent des leçons d’histoire et d’humanité, sans oublier de les divertir… J’insiste à nouveau: ça prend des grands pour faire entrer tout ça dans un même livre sur un sujet pas jojo.
D’autant plus que ce ne sont pas ces livres qui figurent au rang des meilleurs vendeurs en librairies. «Je pense que les parents ont un peu peur d’aborder ce sujet-là. Par contre, ils feuillettent ces livres qui piquent leur curiosité…», estime Marie Charlotte Aubin, spécialiste en littérature jeunesse et responsable de ce secteur à la librairie Raffin de la Plaza Saint-Hubert à Montréal. Si Le Journal d’Anne Frank demeure un classique du genre qui, lui, vend toujours très bien, année après année, et plus récemment avec le succès de mise en scène de Lorraine Pintal au TNM, sur le délicat sujet de l’Holocauste, la spécialiste recommande Le petit garçon étoile de Rachel Hausfater et Olivier Latyk (à partir de 8-9 ans) et Le garçon au pyjama rayé de John Boyne (à partir de 11-12 ans), aussi adapté au cinéma. Tous deux abordent ce thème avec finesse, sans faire dans la dentelle, mais avec une sincérité et un sens du récit captivant.
Les enfants aussi savent nager
Il y a encore dix ans, les livres jeunesse traitaient peu de sujets audacieux ou tabous. Puis, des auteurs et des éditeurs ont fait le pari de donner autre chose aux enfants - même les petits - d’y aller avec des thèmes aussi sensibles que le suicide, le deuil, la séparation des parents, l’adoption, l’anarchie, l’homosexualité, etc. Je recommandais d’ailleurs récemment sur ma page Facebook l’album La princesse qui n’aimait pas les princes de Alice Brière-Hacquet et Lionel Larchevêque dans lequel la drôle et pétillante princesse préfère… la fée! Comme si c’était tout naturel, et bien sûr que ça l’est! Sur le suicide le roman pour ados, Ma vie ne sait pas nager d’Elaine Turgeon en est un de 2006 qui m’a renversé et qui continue de m’habiter encore, même adulte. Il y a quelques semaines, rempli de couleurs pourpre et fuschia, c’est Rosalie entre chien et chat de Mélanie Perreault et Marion Arbona qui débarquait chez moi et qui traite avec poésie – faut le faire! - de la séparation des parents. C’est un peu comme La Guerre des Rose de Danny DeVito en version très jeune public… Marie-Charlotte Aubin me suggère pour sa part Eric cherche un papa de Dagmar Garbe et Marie-José Sacré (adoption), La croûte de Charlotte Moundlic et Olivier Tallec (mort, deuil). Ma maman du photomaton de Yves Nadon et Manon Gauthier reste aussi, selon moi, sur la mort d’un parent, une œuvre inoubliable et apaisante, autant que faire se peut sur ce terrain miné.
Qu’à cela ne tienne, je n’ai jamais entendu parler d’un enfant traumatisé à cause d’un livre. Je ne connais que des petits lecteurs, qui en deviennent de grands grâce à des lectures qui ne les prennent pas pour des cons.
J’ai craqué pour…
* Au secteur adultes, cette fois, le roman Profession du père de l’écrivain français Sorj Chalandon, disponible en librairie au Québec, dès le 28 août.
Ce roman pour adultes de celui qui nous avait donné Retour à Killybegs et Le quatrième mur, respectivement récipiendaires en France du Grand Prix du roman de l’Académie française et du Prix Goncourt des lycéens en est un d’une puissance inouïe, à mon avis plus encore que ses précédents. L’histoire débute brièvement par la mort du père d’Emile avant de revenir sur leur relation filiale, surtout sur l’étrange et terrible comportement de celui qui prétendait être mille et une choses, y compris conseiller de Charles de Gaulle, puis, ardent défenseur de la présence française en Algérie. Quand le père violent commence à impliquer son fils; aveuglé de peur et d’admiration, dans ses aventures mystérieuses, le lecteur, lui, va de surprise en surprise. Du grand grand roman. Ne reste plus qu’à faire des mises sur les prix qu’il obtiendra. À suivre.
* Fais-moi un show d’boucane, la nouvelle chanson des Sœurs Boulay, écrite avec la collaboration de Manuel Gasse.
C’est plein de nostalgie, de rires, d’irrévérence, de franchise adulescente. Ça sent les pommes d’automne, le sucre d’orge et le gros gin tonic à plein nez. J’aime ça. En attendant leur second album à l’automne, cette toune-là «rentre au poste» et fait pas mal son agace-pissette:
«Tout nue su’a bretelle
J’t’ai montré mon corps infrarouge
T’as dit
T’es pas polie»