La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’élégance du bilinguisme culturel

Je me suis toujours tenue loin de l’événement C2 Montréal. Non pas parce que je n’en avais pas envie, c’est juste que, accréditée comme journaliste, je me sens toujours mal de parler d’affaires culturelles et sociales réservées à une minorité de gens. Car, oui, quand ça coûte autour de 1 500$ pour avoir accès à des activités pendant les trois jours que dure un événement, on ne peut pas dire que tout le monde soit bienvenu…



Ainsi, quels ne furent pas ma surprise et mon découragement d’apprendre par la plume de Sophie Durocher, dans le Journal de Montréal du 30 octobre dernier, que les grandes entrevues en anglais à C2 Montréal, entre autres celles avec Jane Fonda ou Gwyneth Paltrow, n’étaient pas offertes en traduction simultanée, et que les vidéos sur demande n’étaient pas sous-titrées.

Aux dires du gestionnaire des relations publiques de C2 Montréal, cité dans l’article du JdeM, cette solution n’avait pas pu être utilisée cette année. Il y aurait néanmoins une volonté de le faire dans le futur. Autant dire que maintenant que ça se sait et qu’on se fait tordre un bras, bah, OK, damn, we gonna do it!

Je rappelle au passage, comme le précise aussi Sophie Durocher, que C2 Montréal jouit de très importantes subventions de nos trois paliers gouvernementaux. Hum. Tant pis pour les francophones qui ne saisissent pas trop bien l’anglais, voire qui ne le parlent pas du tout.

Les grandes entrevues en anglais à C2 Montréal, entre autres celles avec Jane Fonda, n’étaient pas offertes en traduction simultanée. Photo: Facebook C2 Montréal

En français, svp!

Je souligne aussi que selon le plus récent recensement, qui est pas mal plus précis que les sondages sur les élections américaines, dans la population générale québécoise, le taux de bilinguisme français-anglais en 2016 s’élevait à 44,5%. Même pas la moitié de la population provinciale.

Ne pas avoir fait cet effort de sous-titrer en français ou de trouver un moyen de traduire le contenu de ces événements dans la langue dominante de la ville dans laquelle s’organise et se déroule l’événement, si ce n’est pas du mépris à l’égard des Québécois, c’est de l’ignorance crasse, c’est faire fi de l’ADN culturel, social, historique et idéologique de la majorité nationale.

J’insiste aussi sur cette donnée oubliée par trop de gens: non, il n’y a pas deux langues officielles au Québec. Comme le prévoit la loi 101, introduite par Camille Laurin en 1977, le français a été reconnu comme seule langue officielle de l’État et des tribunaux au Québec, et comme étant la langue normale et habituelle au travail, dans l’enseignement, dans les communications, dans le commerce et dans les affaires.

Pendant ce temps-là, chez les autres festivals…

Pendant ce temps, d’autres événements de moins grande envergure, avec de plus petits moyens, réussissent à respecter tous les publics. C’est le cas de Cinemania, festival de cinéma francophone dont la 26e édition bat son plein du 4 au 22 novembre dans une formule réinventée avec une plateforme de diffusion en ligne, et dont tous les films y sont sous-titrés… en anglais!

Fondé en 1995 par la femme d’affaires anglo-montréalaise Maidy Teitelbaum, francophile adoratrice de cinéma et de culture francophone, Cinemania s’est toujours fait un devoir de promouvoir des films en provenance du Québec, de la France, du Luxembourg, du Sénégal, de la Belgique, de l’Algérie, du Maroc, de la Côte d’Ivoire, de la Suisse, de la Centrafrique, avec la réaffirmation continuelle du mandat francophone de l’organisme, surtout cette année, tandis que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) célèbre ses 50 ans.

«C’est important de continuer de s’assurer de l’accessibilité à nos films aux populations anglophones et allophones d’ici, mais aussi de partout au Canada, qui ont accès plus que jamais à notre programmation dans cette édition spéciale en ligne du festival», explique Guilhem Caillard, directeur de Cinemania.

Puisqu’il est impossible d’aller voir des nouveautés en salle par les temps qui courent, je vous invite d’ailleurs à aller jeter un coup d’œil à leur épatante programmation, qui tire très bien son épingle du jeu malgré le contexte actuel, et à moindre coût pour les cinéphiles qui voudraient s’évader en «allant aux vues», sans aucune barrière linguistique, dans le confort de leur salon.

REGARD, le festival international du court-métrage au Saguenay, arrive lui aussi à traduire et sous-titrer en anglais tous les films présentés.

Cela dit, j’avais entendu dire d’amis, que ça vexait – des bilingues de Montréal –, que le Festival du nouveau cinéma (FNC), dont c’était la 49e édition en octobre dernier, présentait trop de films en anglais sans sous-titres en français.

À ce sujet, le directeur général du FNC, Nicolas Girard Deltruc, m’assure qu’il fait tout en son pouvoir pour assurer une programmation accessible en français, la majeure partie du temps, bien que ce ne soit pas aussi simple qu’il le voudrait du point de vue du sous-titrage.

Dans certains cas, les coûts liés au sous-titrage peuvent tourner autour de 2 000$ pour un film qui risque, par exemple, de n’être projeté que deux fois en salle pendant le festival. «On fait des pieds et des mains, mais il reste que nous ne sommes pas propriétaires des films, on cherche des moyens, du financement qui serait dédié à ça. Parfois, le film est trop récent et pour nous, ce serait problématique de le refuser sous prétexte qu’il n’est pas disponible en français», précise-t-il.

À sens unique

Selon Catherine Beauchamp, chroniqueuse culturelle à l’émission Le Québec maintenant au 98,5, mais qui est aussi cinéphile et spécialisée en cinéma, au Québec, on ne sous-titre pas assez en langue française les films tournés en anglais. «Ça donnerait tellement un meilleur accès au cinéma à tout le monde. Souvent, quand les copies sont sous-titrées, on les retrouve dans trop peu de salles… »

Elle me rappelle aussi tous ces visionnements de presse destinés aux journalistes du Québec durant lesquels les films ne sont jamais sous-titrés en français, comme si on tenait pour acquis que tous les représentants des médias comprennent non seulement très bien l’anglais, mais sont aussi capables de saisir les nuances, accents ou expressions de films tournés chez les Anglais, les Australiens, les Irlandais, etc.

Vous dire à quel point je suis concentrée durant ces visionnements, vous dire l’énergie que ça me demande de tout saisir pour rendre justice au travail des créateurs et pour en parler avec le plus de justesse possible… C’est ça, aussi, s’adapter à l’autre langue, y mettre l’effort. Ça s’appelle de l’élégance, de l’ouverture, du respect. Ça ne peut pas toujours fonctionner juste d’un bord…