La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le virus qui leur vole du temps

Alors que tout le monde y va de ses prédictions hâtives sur la suite des choses au lendemain de la COVID-19, sur l’amélioration ou pas de notre société, s’il y a une chose qui risque fortement de changer, pour le mieux, il me semble, c’est bien notre rapport aux grands-parents, les nôtres et ceux de nos enfants.



Parce qu’une des choses les plus dégueulasses de ce maudit virus, c’est qu’il s’attaque surtout aux plus vieux et, par le fait même, qu’il leur vole du temps avec leur descendance. Je ne suis d’ailleurs pas étonnée quand j’entends qu’Untel ou qu’Unetelle a eu un comportement intrépide, voire qu’il y aurait eu entorse au fameux décret. Ce que certains ne feraient pas pour se délier de ces chaînes les privant de leur progéniture et, par le fait même, de leur liberté chèrement acquise... À une autre époque, plusieurs parmi eux ont d’ailleurs milité pour l’obtenir dans différentes sphères sociales, ce qui nous permet à nous, les plus jeunes, d’en profiter aujourd’hui comme femme, homme, travailleur…

En les voyant «s’essayer un peu» pour faire des apparitions au seuil de la porte où vivent leurs petits-enfants, trouver des prétextes pour venir y déposer des objets retrouvés en faisant le ménage du printemps et qui pourraient être utiles à d’autres, apprendre à maîtriser Skype ou FaceTime à grands coups de «Allô, m’entends-tu? Allô? Coudon, ça marche-tu c’t’affaire-là?», alors qu’en décembre dernier, ça prenait tout pour que certains réussissent à ouvrir une carte de vœux numérique, je me dis qu’il y a beaucoup de grands-parents qui doivent être en train de «grimper din rideaux» ou de «s’arracher les ch’veux d’sua tête» (hommage à mes grands-mères) à force de s’ennuyer de leurs petits-enfants.

Je les comprends donc. Ces tempêtes de petits bisous un peu mouillés qui atterrissent dans le creux du cou, ces fous rires sonores et incontrôlables provoqués par des chatouilles, ces dessins qu’il fait bon d’afficher sur la porte du réfrigérateur parce que, non, ils ne sont pas «ordinaires», ces secrets partagés que personne d’autre ne connaît, la douceur d’un petit cuisseau rosé dans lequel on croquerait volontiers, ces expressions poétiques lancées avec candeur pour tout et rien, pour la vie surtout, et ce qu’on a cessé d’y voir, et même aussi pour cette franchise enfantine qui ne fait pas de cadeaux quand il s’agit d’être fasciné par des rides au visage ou la mollesse d’un bras moins ferme qu’avant… Pour tout ça et plus encore, les petits-enfants manquent à leurs grands-parents.

Je me dis qu’il y a beaucoup de grands-parents qui doivent être en train de «grimper din rideaux» ou de «s’arracher les ch’veux d’sua tête» (hommage à mes grands-mères) à force de s’ennuyer de leurs petits-enfants. Photo: depositphotos.com

Avec eux

En l’absence de leurs aïeux, les enfants aussi s’ennuient. Avec eux, ce n’est jamais comme avec les parents. Avec eux, il y a cette attention décuplée à leur endroit, la permission d’explorer là où on leur refuse habituellement les accès, des sucreries qu’on peut manger sans se cacher, des tiroirs remplis de trésors dans lesquels il est possible de farfouiller, des congés de devoirs, une complicité qui n’est pas tout à fait de l’amitié, mais encore meilleure quant à la fiabilité, exempte de jugement ou de trahison. Avec eux, c’est pouvoir, les paupières closes, s’abandonner aux grâces de la vie. Et pour toujours.

La semaine dernière, je me suis surprise à vouloir appeler ma grand-mère maternelle. Or, ça fait huit ans qu’elle est décédée. Je n’ai jamais oublié ce numéro composé des milliers de fois dans la joie ou la détresse et avec, au bout du fil, sa voix un peu cassée par des années de durs labeurs, de cigarettes et de secrets refoulés. «Quoi d’neuf, ma nouère?». Ce que je donnerais pour entendre encore cette voix…

Privés de ces liens avec «nos vieux», je pense que plusieurs ont pu réfléchir à cette relation, ce qu’on peut désormais en faire; l’approfondir, la transformer, la solidifier, voire peut-être aussi l’enterrer, parce qu’il faut aussi être réaliste, ce n’est pas toujours un conte de fées, malheureusement.

L’espoir du modèle suisse

Bouffée d’espoir! Comme le rapporte L’Actualité, le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, a commenté la décision toute récente de la Suisse, qui estime qu’il est maintenant sécuritaire pour les enfants en bas âge de faire une accolade à leurs grands-parents. «On surveille ça de très près avec nos scientifiques. On veut avoir quand même une certaine assurance [sur cet enjeu] avant [d’autoriser des retrouvailles]. Mais c’est sûr que, dès qu’on a une évidence qu’il y a peu de risque, puis qu’on peut le faire adéquatement, on va le faire», a-t-il commenté.

En effet, dans le quotidien suisse Le Temps, l’épidémiologiste Daniel Koch, délégué pour la COVID-19 de l’Office fédéral de la santé en Suisse, a assuré que les jeunes enfants n’étaient pas infectés et qu’ils ne transmettaient pas le virus parce qu’ils n’avaient tout simplement pas les récepteurs pour contracter la maladie. Toujours selon ses propos, à partir de 10 ans, le risque monte, même si les enfants de cet âge restent très peu affectés. Le cas des jeunes adultes serait, lui, plus problématique.

Or, dans ce pays européen – comme ici, certainement –, ce n’est pas pour demain que les grands-parents pourront garder leurs petits-enfants étant donné le risque que les familles retombent vite dans leurs schémas habituels et que les mesures de distanciation soient complètement oubliées. «Les petits-enfants vont être amenés par leurs parents, et il faut éviter le mélange des générations. Le problème provient principalement des parents qui transmettent généralement le virus, et non des enfants en bas âge», poursuit l’épidémiologiste dans Le Temps.

Dans Le Nouvelliste, un quotidien régional suisse, Simon Fluri, coprésident du groupement et médecin-chef de pédiatrie à l’Hôpital du Valais, a aussi précisé qu’au moindre symptôme ressenti, comme un mal au cou par exemple, les enfants devraient attendre 48 heures avant d’être en contact avec un grand-parent et voir si les symptômes persistent. Pour ôter tout doute, ils pourraient aussi se faire tester, car en Suisse, les tests semblent plus accessibles... Bien qu’il s’agisse du cas de la Suisse, je le rappelle, il y a néanmoins là de quoi insuffler un peu d’espoir, non?

Je craque pour… 

Bibelot et bingo

Depuis le temps que je chiale que je veux qu’on leur fasse plus de place dans les médias! Le concept de Bibelot et bingo sert justement à mettre de l’avant des personnes âgées passionnantes qui ont eu un parcours hors du commun et qui se racontent de manière pas banale.

Capture d'écran ici.radio-canada.ca

À travers cette série de courts portraits, on les découvre ou redécouvre – car l’épatante actrice Béatrice Picard, 90 ans, fait partie du lot – et, surtout, on leur rend hommage d’une manière bien de notre siècle, faisant en même temps un pied de nez à ce satané âgisme qui sévit un peu partout dans nos sociétés nord-américaines. Le point génial du projet, c’est que tous sont aussi invités à présenter un «vieux» extraordinaire en joignant le mouvement #RaconteTonVieux et en rendant visibles les invisibles. Jalouse je suis de cette idée que j’aurais aimé avoir! En souhaitant que ça fasse des petits…