Le service de garde en milieu scolaire, ce grand mal-aimé
Les parents de l’école de mes deux enfants viennent de recevoir un message de la directrice du service de garde de l’institution publique fort fréquentée du quartier Rosemont à Montréal.
En apparence, ce message semble banal, vu l’habitude. Le souci, là-dedans, c’est que ce n’est justement pas normal, c’est même honteux qu’une société comme la nôtre en soit rendue à envoyer cette note à sa clientèle:
«Nous vous annonçons quelques changements dans les groupes au service de garde: A.(qui travaille au bureau) est en congé pour un temps indéterminé. C’est B. qui a pris sa place au bureau. C. a pris le groupe de B. C’est D., notre surveillant de dîner, qui fera maintenant le travail d’éducateur dans le groupe des 2e année de C. à partir du jeudi 2 février. E., éducateur des maternelles, nous a quittés pour d’autres projets. C’est F. qui a pris le groupe. Nous attendons que le CSSDM trouve le remplaçant de F. D’ici là, nous aurons des remplaçantes à la journée. G., du service de dîner, nous a quittés aussi, nous attendons un ou une surveillante de dîner pour prendre le poste. D’ici là, il y aura des remplaçantes ou B. ou moi serons avec le groupe.»
Telle est la parfaite illustration d’instabilité, du manque de ressources et de personnel en milieu scolaire.
Je suis aussi écrivaine, j’apprécie certes la fiction, mais je vous assure que je n’ai RIEN inventé dans ce courriel, j’ai juste remplacé les vrais prénoms des gens concernés par des lettres (de A à G) tout en me relisant trois fois, emmêlée dans mes pinceaux. Si je m’emmêle dans mes pinceaux, j’imagine les flos, que je peux bien comprendre d’être souvent désorientés ou à côté de leurs pompes, les pauvres.
Ici, je souligne la réalité d’un service de garde en milieu scolaire, donc un endroit fréquenté avant le début des classes, le midi, et à partir de 15h30 ou autour, par une majorité d’élèves de la maternelle à la 4e année. Les plus vieux s’abstiennent, je les comprends de préférer partir à pied, clé dans le cou.
Les éducatrices font tout ce qu’elles peuvent. Avec le sourire. La plupart n’ont pas de formation en «technique de garde», on s’en doute, et usent donc de leur imagination, patience (oh, que oui!), expérience parentale personnelle pour gérer, organiser et orchestrer des activités, tenter d’aller au-delà du simple coloriage, des visionnements de films ou des jeux de ballon. Les décibels atteignent aussi parfois des sommets tels que, pour vrai, je ne durerais pas dix minutes sans m’enflammer, ô moi, grande maîtresse zen, ahuumm… Les gestionnaires de ces services s’arrachent les cheveux, donnent des heures en surplus pour assurer. Il arrive qu’on demande aussi aux parents qui le peuvent de faire les remplacements, beaucoup à l’heure du lunch.
Cette situation dénoncée présente les dysfonctionnements dans un service de garde près de chez vous, mais ça ressemble à ça aussi en classes du primaire, du côté des enseignants et autres membres du personnel qui, on le sait, on le répète, tombent comme des mouches ou se réorientent à un point tel que ça n’a plus de sens.
Si je tique aujourd’hui sur le fabuleux service de garde, c’est notamment parce que j’ai l’impression qu’il est pris à la légère, que ses lacunes me semblent peu dénoncées ou décryptées par nos gouvernements, comme si tout ce temps passé en dehors de la maison, en moyenne trois à quatre heures par jour pour plusieurs jeunes, comptait pour des pinottes.
Heureusement, certaines villes offrent dans ces créneaux des cours variés à prix plutôt abordables (kinball, échec, impro…) donnés souvent par des étudiants de cégep ou d’université. Ces services devraient être la norme tant ils contribuent à revigorer le tableau. Mais n’en demandons pas trop, commençons par pourvoir les postes, par assurer une constance minimale.
Le bât blesse partout, mais j’en retiens entre autres, que cette tendance à balayer le service de garde sous le grand tapis troué et poussiéreux du système scolaire traduit une fois de plus le grand manque de considération de ces emplois dits du «care», principalement occupés par des femmes, la plupart issues de l’immigration.
Je n’invente rien ici, je n’ai pas de biais non plus. J’en suis témoin chaque jour de ma vie en allant déposer et chercher mes enfants au SDG. Remarquez qu’ils ne se plaignent de rien, eux. Ils sont plutôt bien traités chaque fois, heureux avec leurs potes. On est peut-être trop douillets comme parents, contrôlants, exigeants diront certains. Or, je ne peux pas m’empêcher de trouver que ça fait dur, que ça témoigne d’un système scolaire et éducatif qui ne tourne pas rond, qui ne se formalise même pas que ses gestionnaires soient contraints d’envoyer ce type de message surréel.
Je trouve aussi que ça en dit long sur le respect qu’on a envers les employés du «care» et de l’enfance. Pour vrai, les décideurs doivent descendre de leur bureau pour venir «faire du terrain». GO. Sortez, venez mettre la main à la pâte vous aussi, envoyez vos troupes, cessez de réfléchir en silo ou en comités restreints pendant mille ans, d’émettre des recommandations ou plans structuraux qui n’aboutissent pas, jusqu’au prochain gouvernement, qui reprendra le lasso, brassera de nouveau les cartes, ad nauseam. Ça ne roule plus pantoute là, bientôt, le service ne gardera plus rien ni personne.