La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le photographe et la magie

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Photos trouvées, Jacques Nadeau, Éditions Médiaspaul

«Je me suis fait voler chez moi. On m’a pris l’essentiel. [Toutes] mes photos sur disques durs. Si vous en voyez passer, prévenez-moi. Dure réalité…» Tels étaient les mots que nous pouvions lire sur la page Facebook du grand photojournaliste du quotidien Le Devoir, Jacques Nadeau, autour de 21 heures, le 14 juillet dernier. Ces propos sont rapportés dans Photos trouvées, album-choc qui paraît en ce jour du Souvenir… Hasard ou pas, Nadeau est à sa façon un soldat au combat. Toujours au poste pour prendre LE cliché dont tout le monde parlera, celui qui change un peu le monde aussi, parce que sinon, à quoi bon faire ce boulot? Nadeau est un vrai obsédé du métier, avec en prime une dégaine bien à lui, qui m’a toujours fait penser à celle d’un gamin de dix ans qui aurait la même obsession, mais pour les dinosaures ou les avions. «De nature introvertie dans sa jeunesse, c’est armé de ses appareils photo que Nadeau a appris à ne plus craindre personne, apprend-on dans ce livre dirigé par la journaliste Marie-Andrée Lamontagne. Parce que pour faire des photos qui parlent, qui témoignent réellement d’une réalité, il n’a eu d’autre choix que d’aller vers les gens, de s’intéresser vraiment à eux, à ce qu’ils vivent, à ce qu’ils ressentent.» Bien sûr, il n’est pas mort, tout va bien, mais n’empêche que c’est une partie de sa vie qui lui a été dérobée, d’autant plus qu’on lui a pris les cinq disques durs (ils étaient cachés…) sur lesquels venaient d’être gravés 35 ans de carrière, ainsi que des photos imprimées de René Lévesque…

Pareille histoire frappe l’imaginaire. C’est aussi arrivé il y a quelques années à Victor-Lévy Beaulieu, qui n’avait qu’une version d’une imposante création télévisuelle dans sa voiture… disparue! L’auteur de la populaire série télé Les Parents, Jacques Davidts, n’avait pas de back-up lorsqu’il s’est fait voler l'ordinateur qui contenait la moitié des textes de la première saison de l’émission mettant en vedette la célèbre famille nucléaire. Grâce au flair d’un policier à la retraite qui a pris le voleur en filature, il a heureusement pu retrouver ses épisodes. À travers l’Histoire, c’est aussi arrivé aux écrivains Robert Ludlum, Malcolm Lowry et Ernest Hemingway (tout est arrivé à Hemingway) de perdre une création, pour ne nommer que ceux-là.

Digne d’un épisode de Vengeance

Concernant Nadeau, selon la police, l'affaire a les traits d’une histoire de vengeance. À part un téléviseur «pour la frime», rien d’autre n’a été volé. En date d’aujourd’hui, l’enquête est encore en cours. Toujours est-il qu’après avoir encaissé le choc, après aussi le passage des ondes de colère qui l’ont submergé, en reprenant son souffle, il s’est rappelé les grands traumatisés qu’il a photographiés avec respect en cours de sa carrière, comme cette jeune fille endeuillée aux yeux perçants qui avait perdu toute sa famille après le passage du tsunami au Sri Lanka en 2004. Se souvenant de ces portraits et avec cette fameuse résilience en guise de bouclier, il a trouvé la force de se relever les manches et de rassembler dans cet ouvrage 320 photos, dont plusieurs inédites, retrouvées ici et là, dont la plus ancienne datant de 1976, sur laquelle on voit Pierre Elliot Trudeau avec son Justin sur les genoux. En plus de textes inédits de Gratia O’Leary, ancienne attachée de presse de Lévesque et de Lisette Lapointe, ancienne députée et veuve de Jacques Parizeau, pour accompagner les photos, on y trouve des réflexions pertinentes de Nadeau sur la photo, le vol, la perte, les deuils, le temps qui passe et cette sorte de «magie» qu’on ne soupçonne pas et qui opère en nous reconstruisant malgré tout quand on pense à tort qu’on nous a tous pris, même notre âme.

Éculée, la magie?

Photo: Facebook Elizabeth Gilbert
Photo: Facebook Elizabeth Gilbert

La magie. L’écrivaine américaine à succès Elizabeth Gilbert (Mange, prie, aime), de passage au centre-ville de Montréal le 5 novembre dernier, en a parlé lors d’une conférence fort courue. Le mot magie m’énerve en torpinouche. Surtout quand il fait partie du titre du plus récent livre de la conférencière (Comme par magie, version française de Big Magic), riche et célèbre il en va de soi. J’imaginais la voir apparaître sur scène dans une longue robe en soie sertie de diamants avec des paroles préfabriquées d'entrepreneuse aux paupières très maquillées, possédant, elle, la recette du succès en affaires, en amour, en arts, aux fourneaux, et patati et patata. Non, non, non. Gilbert, drôle et sympathique, n’a pas de cassette, elle se révèle avec ses failles, avoue sacrer quand des affaires lui pompent l’air, affiche son autodérision sans l’appuyer, et il n’y a rien de «faux» sous son air accessible.

Qu’on aime ou pas ses livres, dans Comme par magie (ça grince, je sais…), il est question de ce sens de l’humour qui sauve la face, de la non-nécessité de souffrir pour créer (enfin!), des jobs nécessaires pour gagner son pain à travers la création quand on n’en vit pas (encore), des peurs qu’il faut regarder travailler sur soi, de l’œuvre accomplie qui vaut bien mieux que de grands projets brillants qui ne verront le jour que dans la tête de ceux qui les imaginent, qui en parlent abondamment, mais qui ne se mettent jamais à la table de travail pour se mettre à l'ouvrage et, surtout, pour les t-e-r-m-i-n-e-r. Jacques Nadeau a non seulement repris le flambeau, mais il a achevé le travail. La magie n’est pas qu’une affaire de romancière célèbre.

Je craque pour…

Photo: Facebook Half Moon Run
Photo: Facebook Half Moon Run

Sun Leads Me On de Half Moon Run

La formation canadienne rock indie basée à Montréal est incontournable dans l’univers musical anglophone d’ici, mais son succès dépasse aussi nos frontières. Leurs rythmes enlevants, la qualité des textes, la voix plus affirmée du chanteur, la qualité instrumentale des musiciens, tout y est une fois de plus pour enchanter les fans, mais aussi certainement pour en gagner de nouveaux avec cet album qui m’a charmé dans son intégralité. En filigrane, l’aspect aérien des tonalités rend la musique encore plus enivrante et en accord complet avec son époque, sans pour autant faire fi des inspirations des dernières décennies du rock. Majeur.